Dans le contexte du contrôle accru du Parquet National Financier (« PNF ») et de l’Agence Française Anticorruption (« AFA »), la maîtrise de la conformité et des dispositifs anticorruption constitue un enjeu essentiel pour les entreprises dans le cadre des opérations de fusions-acquisitions.
La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « loi Sapin II » constitue la pierre angulaire du régime juridique français actuel de la conformité et de la lutte contre la corruption. Elle impose aux entreprises la mise en place d’un dispositif de prévention et de détection de la corruption. Cette loi ne s’impose qu’aux entreprises atteignant, cumulativement, les seuils de plus de 500 salariés et de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Les années 2021 et 2022 ont été l’occasion pour l’AFA de publier plusieurs guides pratiques à destination des entreprises. Pour les sociétés qui ne sont légalement pas contraintes d’instaurer en leur sein des mesures anticorruption, l’AFA souligne, dans son « Guide Pratique Anticorruption à destination des PME et des ETI », que celles-ci ont toutefois fortement intérêt à le faire afin de se positionner plus favorablement auprès de leurs clients, d’augmenter leurs chances d’obtention de financements, de préserver leur réputation et d’accroitre leur compétitivité. En effet, à défaut, une entreprise ayant commis une infraction de corruption s’expose à de lourdes conséquences sur les plans juridique, économique et réputationnel (amende pouvant s’élever à plusieurs millions d’euros pour l’entreprise, peine d’emprisonnement pour le dirigeant, risque de pertes de revenus et de dégradation de l’image de l’entreprise auprès de ses clients, etc.). Les entreprises semblent d’ailleurs avoir pris conscience de l’importance des sujets conformité/ anticorruption (98% des sociétés étant assujetties à la loi Sapin II et 82% de celles y étant non soumises déclarent avoir mis en œuvre de telles mesures).
C’est pourquoi les sociétés menant des opérations de fusions-acquisitions, que ce soit en qualité de vendeur ou d’acquéreur, doivent porter, à chacun des stades desdites opérations, une attention toute particulière aux sujets de conformité et d’anticorruption. L’AFA révèle d’ailleurs dans son « Diagnostic National sur les Dispositifs Anticorruption dans les Entreprises 2022 » établi sur la base d’enquêtes menées auprès d’entreprises de toute taille que les fusions-acquisitions figurent parmi les fonctions les plus exposées au risque de corruption. L’existence de tels faits est susceptible d’avoir des impacts économiques significatifs sur la réalisation de l’opération (notamment une incidence sur la fixation du prix de cession ou sur la valeur de la cible). Les conséquences peuvent également être juridiques puisque dans l’hypothèse d’une acquisition, l’acquéreur pourra, après sa réalisation, être contraint de prendre à sa charge des mesures visant à améliorer le dispositif anticorruption de la cible. En cas de fusion-absorption, l’effet de la transmission universelle du patrimoine emporte transfert, de la société absorbée à la société absorbante, de la dette née ou pouvant naitre d’une condamnation pour faits de corruption de cette dernière.
L’acquéreur devra donc mener, dès le stade de l’audit d’acquisition et avec la coopération du vendeur, des vérifications anticorruption poussées afin de conforter sa décision de réaliser l’opération. Dans l’hypothèse où elle entrerait dans le champ d’application de la loi Sapin II, il devra s’assurer que la cible a bien mis en place les 8 « piliers » de conformité (code de conduite, alerte interne, cartographie des risques, évaluation des partenaires commerciaux, procédures de contrôle comptable, dispositif de formation des salariés, régime disciplinaire en cas de manquement au code de conduite, dispositif de contrôle et d’évaluation interne). Outre les points de vérification usuels, nous recommandons que l’acquéreur s’assure, dans le cadre de ses diligences d’acquisition, que la cible n’a pas conclu de convention judiciaire d’intérêt public (« CJIP ») avec le PNF ou, le cas échéant, fait l’objet d’un contrôle de l’AFA ou d’une sanction prononcée par une autorité étrangère. En effet, les récentes CJIP (notamment celles conclues avec Airbus SE le 17 novembre 2022 et avec Doris Group le 9 juin 2022) témoignent d’une sévérité accrue dans la recherche des facteurs aggravants de l’amende supportée par la société ayant commis des actes de corruption. Le vendeur devra déclarer, dans l’acte de garantie d’actif et de passif, que la cible est conforme à la réglementation anticorruption et, si celle-ci lui est applicable, à la loi Sapin II. Le cas échéant, l’acquéreur souhaitera, après la réalisation de l’opération, harmoniser le dispositif anticorruption de la cible avec celui existant dans son entreprise.
Clément Mogavero, Avocat Counsel, et François Baulu, Juriste, Cabinet Ratheaux