La charge de travail, objet sensible régulièrement mis en lumière dans le cadre du télétravail, mais également très présent dans les contentieux, questionne les organisations privées et publiques.
La charge de travail, objet sensible régulièrement mis en lumière dans le cadre du télétravail, mais également très présent dans les contentieux, questionne les organisations privées et publiques.
L’illustre parfaitement la décision de la Cour de cassation en date du 14 décembre 2022. Dans cette affaire, les juges estiment que les dispositifs prévus aux termes de l'accord du 5 septembre 2003, attaché à la convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012, n’instituent pas de « suivi effectif et régulier permettant à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, n'est pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et à assurer une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé ». La convention de forfait en jours mise en place à l’aune de cet accord est donc entachée de nullité (Cass. soc., 14 décembre 2022, n°20-20.572).
S’intéresser à ce sujet impose néanmoins de prendre en compte les aspects liés à la prévention de la santé des travailleurs au prisme de la performance. Nul ne peut ignorer la métamorphose du monde professionnel provoqué par l’ubiquité et la rapidité de développement du numérique. Le salarié ou l’agent du service public doit, aujourd’hui, nécessairement s’associer à un logiciel, un robot ou autres objets connectés pour exécuter sa prestation de travail. Ces changements sont certes nécessaires pour assurer la compétitivité des organisations, mais touchent frontalement la charge de travail et les risques sur la santé des travailleurs n’en sont que démultipliés : troubles musculosquelettiques, fatigue visuelle, troubles anxieux, stress chronique, syndrome dépressif, épuisement professionnel, etc.
Les chiffres publiés par l’Assurance Maladie attestent de l’ampleur de la problématique relative à une charge de travail excessive : 22 744 accidents de travail reliés aux troubles et risques psychosociaux en 2021 (Rapport annuel 2021 de l’Assurance, Risques professionnels, éléments statistiques et financiers, 17 novembre 2022).
Conjuguer la recherche de performance des organisations en maintenant une charge de travail raisonnable nécessite de dessiner les contours du concept de charge de travail pour ensuite en définir son cadre. Présent discrètement dans le sillage juridique depuis plusieurs siècles, comme dans le Rapport Villermé (L.-R., Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, Jules Renouard et Cie (Libraires), 1840), ce concept sera inscrit dans le Code du travail qu’à compter de 2016. Cependant, reste un écueil : la charge de travail n’a pas de définition légale.
Comment alors protéger les salariés d’une charge de travail excessive dès lors que celle-ci n’est pas définie ? Circonscrire cette notion dans une définition objective reste difficile car ce concept polysémique est empreint de subjectivité. La charge de travail peut être physique, psychique, cognitive, voire émotionnelle. Dès lors, son évaluation et sa régulation restent complexes. Dans le champ de l’ergonomie, la charge de travail dissocie le travail réel, prescrit et les variables inhérentes au contexte des organisations et à l’état de santé des travailleurs. Toutefois, il semble préférable d’envisager la charge de travail selon une approche globale puisque la charge physique et la charge mentale sont intrinsèquement liées dans le monde professionnel.
Le concept légal de la charge de travail pourrait alors correspondre à la mise en concurrence des moyens temporels, matériels, financiers et humains mis à la disposition du salarié ou de l’agent du service public en fonction de ses capacités physiques et mentales, avec les exigences de l’organisation collective et individuelle de travail.
L’exigence fondamentale de protection de la santé des individus au travail est prévue aux termes de l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. L’article 151 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne suit par ailleurs cette logique en se référant, dans un premier temps, à la Charte sociale européenne révisée du 3 mai 1996 et, dans un second temps, à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs de 1989.
Graver au cœur du Code du travail une définition légale de la charge de travail offrirait de nouvelles possibilités dans le champ de la santé au travail : d’un concept dissout dans des dispositions nébuleuses du droit du travail, la question de la charge de travail pourrait devenir un sujet structurel du droit de la santé au travail. Mettre en place des actions de prévention à partir de la question de la charge de travail pourrait répondre aux maux du monde du travail.
Sébastien Demay, Docteur en droit privé