"L’acte contresigné par un avocat répond à une aspiration à la sécurité" : Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a confirmé à l'occasion de la rentrée solennelle du barreau de Paris, le 4 décembre, être "déterminée à obtenir son adoption et sa mise en œuvre dans les plus brefs délais".
L’ACE (Avocats Conseils d’Entreprises), association représentative du barreau d’affaires, à travers la voix de son président Pierre Lafont, appuie résolument cette proposition de loi "comme une main tendue vers le consommateur de droit". Pour autant tous les professionnels du droit n’y voient pas la même utilité ou la même urgence. C’est le cas notamment des juristes d’entreprise.
Ont contribué à ce dossier :
Pierre Lafont, Président de l’ACE (Avocats Conseils d’Entreprise)
François Lhospitalier, Senior Legal Manager, Avanquest Software
Stéphane Canepa, Juriste, Boutillet, délégué régional de l’AFJE pour la région Poitou-Charentes,
Jean-David Sichel, Directeur Juridique, Groupe TBWA\France
Michèle Alliot-Marie a indiqué lors de la rentrée solennelle du barreau de Paris qu’ « avec le Conseil National des Barreaux et les représentants des notaires, [elle] travaill[ait] à un dispositif équilibré ». Les notaires ont-ils toujours des craintes à avoir ?
Pierre Lafont : Les notaires n'ont en réalité rien à craindre d’un acte d’avocat. L’acte authentique a deux caractéristiques : il est obligatoire dans certaines
matières, et il a force exécutoire. L’acte d'avocat n’aura aucune de ces caractéristiques. En vérité, un professionnel du droit n'est pas le concurrent d'un
autre professionnel du droit, mais ensemble nous devons faire valoir la plusvalue qu’apporte aux acteurs économiques et aux particuliers le conseil d’un professionnel compétent et procurant la garantie d'une déontologie précise. L’acte d’avocat est en réalité une idée simple : il est normal que l’avocat contresigne
l'acte qu’il a rédigé.
Quelles seront la force probante et la valeur juridique de l’acte contresigné par un avocat par rapport à celles de l’acte authentique ?
P.L. : Les parties à l'acte d’avocat ne pourront plus contester leur signature, et pas davantage leurs héritiers ou leurs ayant cause. Mais elles pourront, bien naturellement, toujours discuter l'exécution ou l’interprétation de l’acte qu’elles ne contesteront pas avoir signé. Les contentieux seront cependant plus rares car l'avocat n’apposera son contreseing qu'après avoir éclairé ses clients sur les conséquences juridiques de l’acte, et par ailleurs tous les contentieux liés à la signature de l’acte n’auront évidemment plus lieu de survenir. Observez que la situation est rigoureusement identique pour l’acte authentique : quand bien même il aurait été reçu par un notaire, la portée d’un tel acte peut être discutée en justice par les parties, ou même par les tiers. Pour ne citer qu’un exemple, l’Administration fiscale ne se prive pas, en utilisant la théorie de l’abus de droit, de requalifier en donations un nombre important de ventes notariées : la consultation des rapports trimestriels du Comité des abus de droit est à cet égard édifiante.
Un avocat pouvait déjà contresigner un acte, quel est l’apport réel de l'acte contresigné par un avocat tel que prévu dans le futur texte de loi ?
P.L. : Précisons d’abord que le texte du député Etienne Blanc est une proposition de loi, et non pas un projet de loi, même si ce texte bénéficie du soutien du Président de la République, et de madame Alliot-Marie, garde des Sceaux. Certes rien ne fait obstacle à ce qu’un avocat contresigne un acte qu’il aurait rédigé, mais l'apport de cette nouvelle disposition législative est de donner un effet juridique probatoire précis au contreseing de l’avocat. C’est donc un renforcement de la sécurité juridique, et là est l’essentiel. L’intérêt de cette proposition de loi n’est pas au bénéfice de la profession d’avocat, mais à celui du consommateur de droit.
Un autre apport essentiel serait que la signature de l’avocat dispense les parties de recopier les longues et fastidieuses mentions manuscrites que la loi rend
fréquemment obligatoires – par exemple en matière de cautionnement - lorsqu’il s’agit de démontrer que le signataire s’est engagé en parfaite connaissance de la portée de son acte.
Quel est le point fort de l’acte contresigné par un avocat : un instrument de prévention des conflits ? Un instrument de concurrence par rapport aux systèmes juridiques qui utilisent le « deed » ?
P.L. : C’est assurément un instrument efficace de prévention des conflits, donc une plus-value importante pour la sécurité juridique de notre société. Que les parties se rapprochent d’un ou de plusieurs avocats, c’est la garantie que leur consentement sera éclairé, voire que leur négociation sera approfondie, et que le contrat reposera sur un accord plus constructif et pérenne. Il faut placer ceci dans l’évolution de notre société, qui, peut-on dire, a soif de droit. L’évolution de notre société s’accélère vers une société du contrat, et l’acte d’avocat deviendra le ciment d’une sécurité juridique renforcée. Naturellement aussi, l’acte d’avocat permettra aux avocats français d’être mieux armés dans la concurrence internationale par rapport à ceux de leurs confrères britanniques qui disposent déjà du « deed ». Et ceci est d’autant plus important que cela se fait sans aucune concession de notre droit au droit anglo saxon : l’acte d’avocat ne sacrifie nullement à la Common law, au contraire il s’enracine parfaitement dans la cohérence de notre droit continental et de notre système juridique.
Quelles répercussions sur le fonctionnement de la profession : en matière de responsabilité, de déontologie, de formation ?
P.L. : La responsabilité de l’avocat rédacteur d’acte est déjà particulièrement importante, et de ce point de vue, le recours à l’avocat procure actuellement aux parties une garantie considérable : certaines décisions vont même jusqu’à sanctionner la responsabilité de l’avocat simple rédacteur d’un projet d’acte sans qu’il ait relevé lui-même les signatures des parties... Le contreseing de l’avocat apportera évidemment la preuve de l’intervention de l’avocat, mais il n’augmentera pas l’intensité de sa responsabilité. La déontologie de l’avocat rédacteur d’acte est déjà particulièrement précise, et la formation – initiale et continue – s’est maintenant largement orientée vers l’activité juridique. Par conséquent, on ne voit pas en quoi l’acte d’avocat conduirait à des évolutions notables de notre déontologie. Nous pourrions même dire que c’est en réalité le contraire : c’est parce que le travail de fond du Conseil national des barreaux a pu parvenir à unifier notre déontologie et à rénover notre formation que la profession dispose des outils qui optimiseront la mise en oeuvre de la réforme. C’est parce que notre déontologie est adaptée et notre formation opérationnelle que nous pouvons aujourd’hui, grâce à l’acte d’avocat, légitimement prétendre renforcer sécurité juridique de nos concitoyens.
Les notaires, comme les avocats ont abondamment réagi au principe futur d’un acte contresigné par l’avocat, même si, comme le rappelle Pierre Lafont, « le concurrent d’un professionnel du droit n’est pas un autre professionnel du droit ». Les entreprises, consommatrices de droit, sont également concernées. Mais le sont-elles au même titre que les particuliers ? Qu’en pensent leurs juristes ?
François Lhospitalier (Senior Legal Manager - Avanquest Software) : Nous ne savons pas encore grand chose de l’acte contresigné par l’avocat pour le moment.
L’acte d’avocat aurait peut être une utilité pour les particuliers, mais il n’est pas certain que cette utilité existe pour les entreprises. Le conseil juridique donné à l’entreprise n’est pas de même nature que celui donné à un particulier :
l’intervention d’un acte d’avocat au profit d’un particulier ne connaissant ni ne maîtrisant les subtilités juridiques peut être bénéfique alors qu’elle n’a pas lieu d’être dans les entreprises dotées de juristes ou avocats en entreprise. Pour les particuliers en dehors de la vie des entreprises, on peut concevoir une utilité de l’acte d’avocat pour les actes « de la vie courante » (droit immobilier, droit de la consommation, droit bancaire, droit de la famille, etc...). Par ricochet et indirectement, les entreprises en seraient néanmoins impactées.
En revanche en entreprise, l’acte d’avocat présenterait sans doute moins d’utilité.
On peut l’imaginer pour « certifier » une transaction fiscale, des contrats de financement d’un LBO, des contrats liés à un financement de projet, à une opération d’externalisation informatique, une cession de bail commercial, un contrat de production audiovisuelle, etc.... Mais la signature d’un avocat sur un contrat permettrait-elle d’éviter les contentieux ? On peut en douter et être sceptique à ce stade. « Il n’est pas certain que le système juridique français soit plus lisible pour les entreprises et les professionnels en général, pour autant il peut permettre une amélioration de la sécurité juridique, une responsabilisation accrue des avocats dans l’accomplissement du devoir de conseil, une coopération plus développée entre professionnels du droit. Serait-ce une phase transitoire avant la création de la grande profession du droit ? s’interroge Stéphane Canepa (juriste - Boutillet et délégué régional de l’AFJE pour la région Poitou-Charentes).
Les juristes d’entreprise se posent en effet la question de l’utilité pour eux de l’acte d’avocat, dont l’apport n’est pas significatif par rapport aux outils dont ils
disposent déjà, y compris dans leurs relations avec les avocats
Jean-David Sichel (Directeur Juridique - Groupe TBWA\France) : La proposition de loi insiste sur le fait que l’avocat contrôle l’identité des parties, l’origine des
fonds, la capacité à contracter et formule des conseils aux parties. Or, le conseil donné à l’entreprise n’est pas de même nature que celui donné à un particulier : a priori, l’intervention d’un acte d’avocat au profit d’un « néophyte du droit » n’a pas lieu d’être en entreprise dotée d’un juriste.
Ensuite, la signature d’un avocat sur un contrat permettra-t-elle de réduire les nombreux contentieux portant sur le devoir de conseil, de loyauté, d’information
pesant sur l’entreprise ? En clair, est-ce parce qu’un contrat de prestations informatiques a été contresigné par les avocats du client que le client ne pourra jamais
reprocher au prestataire un manque à son devoir de conseil ? A voir...
Par ailleurs, dans nos activités, la preuve du conseil d’avocat n’a pas besoin de l’être par une contresignature : il l’est par les échanges entre directions juridiques et les conseils car les avocats interviennent déjà sur ce type d’actes en collaboration avec les juristes d’entreprise.
Enfin, si un conseil spécifique sur une opération complexe est nécessaire, nous connaissons tous l’importance des legal opinions émises par les avocats. Celles-ci sont d’habitude si circonstanciées, si bordées, qu’il est peu probable qu’un avocat accepte de les remplacer par une simple signature au bas de contrats complexes. Quoi qu’il en soit, il conviendrait également pour les directions juridiques d’anticiper les coûts liés à cette intervention spécifique des avocats.
Dernier point : si le statut d’avocat en entreprise devait être créé à la suite du rapport Darrois, il devrait être envisagé que ces derniers puissent avoir également la possibilité de contresigner les actes et faire bénéficier leur entreprise de cette nouveauté, tout en étudiant bien sûr le régime de responsabilité (spécifique ou non) que cette possibilité implique. Qu’en serait-il effectivement de l’acte contresigné par l’avocat, si les juristes d’entreprise devenaient avocats en entreprise ?