Reprendre une entreprise en difficulté
Par Cédric Hetzel et Guillaume Masseron, Directors, département Restructuring.
Duff & Phelps, cabinet de conseil financier aux entreprises.
Dans une conjoncture défavorable aux opérations à effet de levier, les reprises d’entreprises en difficulté font l’objet d’un intérêt particulier pour les professionnels
du Private Equity et les Corporates. Ces investissements présentent des avantages évidents, au nombre desquels un prix d’acquisition généralement très décoté, le vendeur n’étant pas dans une position de force pour négocier.
Le repreneur dispose par ailleurs de leviers pour assainir le bilan de la cible, avec une marge de manoeuvre pour négocier des abandons de créances (dettes fournisseurs,
fiscales et sociales, financières) ou des dispositions plus avantageuses (rallongement des délais de règlement, franchises fiscales et sociales, accès au
crédit à des conditions de marché, etc.). On assiste même actuellement au financement de la restructuration de certains sous-traitants automobiles par des
constructeurs.
Si la reprise d’entreprises sous-performantes se caractérise par un prix d’acquisition faible, le projet doit cependant être analysé au regard des principaux risques inhérents
à l’état de la cible, pour éviter de sous-estimer le besoin de financement
après acquisition.
1. Perte de confiance des tiers
Le prolongement de l’impasse de trésorerie est fortement dommageable à l'entreprise. L’accroissement des retards de paiement alerte les fournisseurs, et
se traduit généralement par un durcissement des conditions de règlement voire des difficultés d’approvisionnement (l’éventuelle décote des assureurs-crédit en amplifie les effets). A cela s’ajoute une réduction ou une perte des financements existants (en particulier sur les lignes court terme, avec une augmentation des réserves du factor ou une dénonciation des autorisations de découvert).
Plus dommageable encore pour le repreneur, la diffusion de rumeurs de difficultés auprès des clients peut impacter négativement l’image de marque de la
société et ainsi dégrader fortement la valeur de son fonds de commerce.
2. Redémarrage de l’activité à financer
Il est évident que le besoin en fonds de roulement lors de la reprise est impacté par de nombreux éléments non normatifs : niveau d’activité faible, retard fournisseurs
compensé partiellement par un paiement comptant sur les achats récents, gel d’échéances fiscales et sociales, etc.
Après acquisition, le retour progressif à un niveau de besoin en fonds de roulement normatif peut se traduire par un besoin de financement additionnel significatif (auquel s’ajoutent la remise en état ou le renouvellement du parc machine qui aurait pu être délaissé). Dans le cas particulier du plan de cession, la majeure partie du besoin en fonds de roulement est d’ailleurs à reconstituer et à financer.
3. Inadéquation des attentes du vendeur et des partenaires financiers
Beaucoup de transactions achoppent faute d’adéquation des attentes du vendeur ou des partenaires financiers avec l’état réel de l’entreprise, et notamment des besoins financiers pour assainir la situation et assurer la relance de l’activité.
La prise de conscience intervient parfois de façon trop tardive dans un contexte de trésorerie dégradée. La valeur de l’equity ou de la dette est alors proche de zéro, voire négative.
4. Qualité de l’information et des équipes de management
L’information financière disponible s’avère souvent inadaptée ou peu fiable. Dans le plan de retournement, aux risques d’exploitation, vient ainsi s’ajouter le risque d’une mauvaise estimation de la situation réelle de l’entreprise (trésorerie réelle disponible pouvant diverger du solde comptable, sous-provisionnement de
litiges sociaux ou commerciaux, surévaluation de la valeur du stock, absence d’identification des actifs nantis, etc.).
De plus, le repreneur doit évaluer la capacité du management en place à s’investir dans un projet de reprise ainsi que sa capacité à remettre en cause ses méthodes
de travail.
Ces risques ont pour conséquence commune un accroissement du besoin de financement de la cible après acquisition. Pour les limiter au mieux, il convient de
respecter les règles suivantes :
a. Qualité du diagnostic
Le diagnostic de la situation réelle de l’entreprise est primordial. D’une part, le vendeur et les partenaires financiers doivent avoir conscience de l’état réel de
l’entreprise et accepter de revoir la valeur de leur equity ou de leur dette par rapport à la trésorerie actuelle et les besoins à financer ; d’autre part, le repreneur doit pouvoir structurer l’opération sur la base de données objectives et ne pas sous-estimer les besoins financiers postérieurs.
Dans ce cadre, le recours à un conseil objectif, capable d’expliquer aux différentes parties la situation réelle de l’entreprise, s’avère souvent déterminant.
b. Rapidité et anticipation
Dès l’instant où l’entreprise est dans une situation difficile avérée, les relations avec les clients, les fournisseurs et les partenaires financiers se dégradent rapidement.
La reprise et la restructuration doivent donc être menées le plus rapidement
possible.
Les plans de restructuration et de redémarrage de l’activité sont ainsi à dessiner en amont, en comparant les différents scénarii envisageables. La plupart des leviers de retournement opérationnels et financiers court et moyen termes devront donc être identifiés lors de cette phase.
c. Sécurisation des hypothèses du plan
Le principal écueil consiste à asseoir le retournement sur une croissance significative du chiffre d’affaires en limitant les coûts de restructuration. Dans une approche
prudente, il convient plutôt de dimensionner la structure de la société sur la base du niveau d’activité actuel voire dégradé.
Des discussions informelles avec les principaux clients permettent de limiter le risque d’une chute additionnelle des ventes. Parallèlement, il est préférable d’entreprendre des négociations avec les autres tiers (principaux fournisseurs, établissements de crédit, Etat) avant la reprise pour s’assurer que ceux-ci sont
susceptibles d’accepter les efforts qui leur seront demandés dans le plan de retournement.
d. Forte implication en post acquisition
En phase de retournement, le management va devoir couvrir de front de nombreuses problématiques, avec en point de convergence les impacts financiers qui
en résultent :
- organisationnel (dimensionnement optimal, mise en place de nouveaux processus),
- social (mise en oeuvre du PSE),
- juridique (suivi des litiges, de la procédure),
- fiscal (négociation avec l’Etat, déficits fiscaux à valoriser),
- stratégique (potentiel de croissance sur 5 ans).
Sur ces différents chantiers auxquels le management n’est pas nécessairement rompu, il convient d’accompagner les équipes dirigeantes avec une forte implication. Les facteurs clés de succès d’une reprise d’entreprise en difficultés sont :
- la capacité à identifier les leviers opérationnels et financiers à mettre en place,
- la sécurisation de la situation réelle de la société et du chiffrage du plan de retournement,
- la capacité à agir vite et l’expérience de la restructuration,
- l’accompagnement du management dans la phase opérationnelle de retournement.
La maîtrise de ces éléments permettra à l’investisseur d’estimer de manière fiable la rentabilité d’une opération, et de se concentrer sur les dossiers profitables...
Par Jean-Charles Simon, Associé-gérant du cabinet d’avocats Simon Associés et spécialiste des entreprises en difficulté.
L’Etat a mis en place depuis un an une série de mesures sans précédent afin de soutenir l’économie et l’activité des entreprises pour surmonter la crise financière et économique. La crise a progressivement induit une mutation des services de l’Etat et une prise de conscience de la nécessité de mobiliser l’ensemble des ressources et des connaissances pour faire face aux nouveaux enjeux liés à la crise.
Ces actions de l’Etat ont été significatives en région, au-delà d’affaires médiatisées qui reflètent un désespoir compréhensible, et il faut notamment relever en région l’action fédérative des Préfets, des autres représentants des services de l’Etat (TPG, Directeurs de la BDF, etc..), ou encore du Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI) particulièrement sollicité pour les dossiers concernant les entreprises les plus importantes.
1. Adaptation des textes
Les évolutions de la Loi de Sauvegarde de 2005, préconisées par les professionnels, repoussées pendant plusieurs mois en 2007 et 2008, devaient être mises
en oeuvre au plus vite ; cela a abouti dans un premier temps à l’Ordonnance du 18/12/2008 puis aux ajustements du Décret du 12/2/2009.
Dans le même temps, la Loi LME imposait le raccourcissement des délais de paiement,
mesure dont la mise en oeuvre aurait pu être cependant différée de quelques mois, tant elle est apparue contradictoire avec la situation des entreprises sur le terrain.
Il faut que les textes continuent à évoluer ; ainsi par exemple, les plus importants dossiers, les plus grosses entreprises doivent faire l’objet d’un suivi particulier, à
l’instar de ce qui se fait dans certaines matières ; pourquoi ne pas ainsi regrouper
ces dossiers (au-delà d’un seuil de salariés concernés) vers des juridictions commerciales
centralisées au plan régional.
2. Soutien des acteurs de l’économie
Il est apparu essentiel que les entreprises/banques/assureurs crédits fassent l’objet d’un traitement rapide et immédiat. L’Etat a ainsi soutenu les banques en contrepartie d’une action de leur part auprès des PME/PMI.
Cela a conduit aussi à la création du Médiateur du Crédit concentré au début de son activité sur les relations entreprises/banques ; son champ de compétence
a ensuite été étendu début 2009 aux relations entreprises/assureurs crédit qui posent encore question et sur lesquelles les moyens de levier de l’Etat sont plus
faibles.
Au plan local, l’action des directeurs de la Banque de France (représentants de la Médiation) a été remar-quable et ils ont assimilé l’importance de leurs nouvelles prérogatives.
Face à la crise, les relations entreprises/banques/assureurs crédit ont évolué ; le dialogue, l’écoute, et l’échange ont progressé ; après la crise, il est certain que ces relations ne seront plus jamais les mêmes. En matière d’assurance-crédit notamment, il est possible que l’on s’oriente vers des relations contractuelles
clients/assureurs crédits qui se substitueront au système actuel.
3. Intervention directe de l’Etat
Les banques ne pouvant à elles seules soutenir une économie en défaillance, l’Etat a mis en oeuvre son plan de soutien au financement des PME, renforcé ensuite dans le cadre du plan de relance de Décembre 2008.
L’Etat a aussi progressivement « dopé » l’activité d’OSEO, Etablissement Public, sans lequel un très grand nombre d’entreprises n’auraient pu être soutenues en région.
L’activité d’OSEO a été sans précédent sur les premiers mois de l’année, notamment dans les régions les plus industrielles, tant au titre de la garantie des concours bancaires et des investisseurs en fonds propres que du financement en partenariat.
Des fonds spécifiques ont été créés, qu’il s’agisse du Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), de fonds ayant pour objet de soutenir des filières d’activités fragiles (l’automobile ou le bois par exemple), ou encore récemment du Fonds de consolidation et de développement des entreprises (FCDE), le « FSI des PME », dont les premiers dossiers devraient être concrétisés d’ici la fin de l’année. Ces différents fonds sont en liaison avec les services de l’Etat et la Médiation du Crédit notamment, véritable « gare de tri » des dossiers les plus sensibles.
Enfin, l’Etat a aussi pris un certain nombre d’autres mesures, particulièrement sensibles en région, qu’il s’agisse par exemple du dispositif « Parrain PME », du
Fonds national de revitalisation des territoires (FNRT), du crédit impôt recherche (CIR), de l’activité partielle, du contrat de transition professionnelle (CTP) ou de la convention de reclassement personnalisé (CRP).
4. Mesures fiscales et sociales
Le traitement des créances fiscales et sociales devait aussi s’adapter aux constats de la crise.
Dans un premier temps, le plan de relance a anticipé le remboursement des créances que les entreprises détiennent sur l’Etat.
Progressivement les services de l’Etat ont évolué, notamment au sein des administrations publiques ; des décisions de fait depuis plusieurs mois ont fait l’objet
d’une circulaire importante en date du 27/08/2009 qui réoriente les mesures prises dans le cadre de la commission des chefs des services financiers et des représentants
des organismes de sécurité sociale (CCSF). Sur le terrain, les Préfets ou les Trésoriers Payeurs Généraux ont été très actifs pour traiter des dossiers les plus sensibles.
Il n’est pas contestable que les relations entre les services de l’Etat, Centre des Finances Publiques, URS-SAF, etc... et les entreprises se sont améliorées du fait d’un échange et d’un dialogue renouvelé.
Souvent spectateur par le passé devant la défaillance des entreprises, l’Etat est donc devenu acteur avec la crise.
Cette action doit être poursuivie dans le sens d’une meilleure coordination des acteurs concernés, notamment pour traiter les situations les plus sensibles en termes d’impact sur le bassin d’emploi.
Les énergies et les volontés sont là mais encore faut-il les connaître toutes et il est parfois difficile de les faire agir ensemble et de manière coordonnée.
En ces temps de crises, pourquoi ne pas créer, au moins temporairement, un véritable « ministère de la restructuration des entreprises » coordonnant les orientations, les moyens et les actions.