Sécurité foncière et essor économique

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Le titrement de la propriété immobilière dans les pays en développement, tel était le thème de la grande journée de réflexion et d’échange qui s’est tenue à Paris le 10 novembre dans le cadre des Entretiens de la Tour-Maubourg, organisés par UINL et le Conseil Supérieur du Notariat. Une façon de démontrer que le droit aujourd’hui doit l’emporter sur l’économie.

 

La question du titrement concerne, certes, les notaires mais elle intéresse aussi l’ensemble des professionnels du droit.Propos recueillis auprès de Maître Jean-Paul Decorps, notaire, ancien Président du Notariat Francophone et de Maître Didier Nourissat, notaire, membre de la Mission de l’International au Conseil Supérieur du Notariat.

"Le problème du titrement est un problème mondial et pas seulement celui de la francophonie ou de l’espace francophone. Il concerne de nombreux pays dans le monde, à commencer par les pays d’Asie, où le notariat français a mis en place une coopération très importante notamment avec le Vietnam, mais aussi les pays d’Amérique du sud ou encore les pays d’Afrique. Dans ces circonstances, il est normal qu’une organisation comme Union Internationale du Notariat (UINL), qui est une organisation mondiale, se saisisse du problème.

La crise mondiale que l’on subit actuellement montre que si on laisse l’économiste organiser les relations juridiques, économiques ou sociales, on va à l’échec. L’économiste agit sur des intuitions, sur des sensations, sur des virtualités, alors que le juriste est un homme du concret et du terrain.

Quand on voit ce qui s’est passé pour la finance mondiale, on se dit que travailler dans le virtuel ne peut que conduire droit dans le mur. Nous qui sommes des juristes du terrain, de la réalité, nous avons conscience des valeurs des choses. Si l’on crée trop de virtualité, on crée de l’illusion et on va à la catastrophe.

Si l’économie précède souvent le droit, il est essentiel que le système juridique préexiste au système économique.

Dans cette perspective, le titrement est une étape nécessaire pour donner vie au droit de propriété, ou encore « rendre vie au capital mort » comme l’indique Hernando De Soto, économiste péruvien qui s’est particulièrement intéressé au titrement.

De Soto constate que dans les pays pauvres, les individus ont des maisons mais pas de titre, des récoltes mais pas de bail, des entreprises mais pas d’inscription au RCS : c’est pourquoi ils ne peuvent pas produire assez de capital car ils ne possèdent pas le processus de conversion nécessaire pour « rendre visible l’invisible », car il s’agit pour l’essentiel d’un « capital mort ».

En Occident au contraire, toute parcelle de terrain, toute machine, tout stock est représenté par un titre de propriété qui permet de lever du crédit car, au fil des ans, on a transformé le capital mort en capital vif.

De Soto a notamment démontré que l’ensemble des actifs immobiliers accumulés par les pauvres du tiers-monde représenterait globalement plus de 9.300 milliards de dollars, soit quatorze fois le volume de l’aide des pays riches aux pays du tiers monde au cours des trois dernières années du vingtième siècle et qu’il y a là un gisement phénoménal de richesses … sous réserve qu’on passe de l’économie informelle à l’économie formelle."

Alexandre Vilgrain, Président directeur général du groupe SOMDIAA, acteur économique majeur de l’industrie agro-alimentaire en Afrique, principalement dans les filières sucre, farine, alimentation animale et plus récemment celle du coton, Président du CIAN, Conseil Français des Investisseurs en Afrique, est venu, parmi les nombreux intervenants, apporter sa contribution à cette journée de réflexion.

Il a rappelé qu’il y a 80 entreprises françaises implantées en Afrique à travers des filiales, c'est-à-dire des sociétés africaines qui font travailler directement ou indirectement plus de 80.000 personnes. Les paysans africains sont sans doute les meilleurs du monde, a-t-il souligné, eu égard à toutes les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Le titrement va permettre à ces paysans d’avoir une terre, donc du financement . Pour Alexandre Vilgrain, pas de doute, c’est le point de départ d’une révolution africaine.

"Les enjeux de cette réflexion sur le titrement de la propriété immobilière dans les pays en développement sont de démontrer que la sécurisation foncière est un facteur de développement économique et de paix sociale.

A partir du moment où vous arrivez à titrer une personne, elle peut donner une garantie. A partir du moment où elle peut donner une garantie, elle peut avoir accès au crédit donc au développement économique et au développement durable.

Le titrement se conjugue aussi avec des sujets qui passionnent, par exemple le droit des femmes.  En Afrique ce sont souvent les femmes qui sont chefs d’exploitations. Or si elles sont répudiées et rejetées de leur famille, elles n’ont plus rien. Si on arrive à les titrer, il y a une continuité dans l’exploitation et une sécurité. Grâce au titrement on lutte aussi contre l’extrême pauvreté.

Ces points étant rappelés, il est important d’expliquer que le titrement repose sur trois piliers : le premier pilier c’est l’identification des sols. Pour sécuriser un titre il faut d’abord identifier le sol.

Le deuxième pilier, c’est l’encadrement juridique autrement dit le lien juridique entre le sol et l’individu. C’est le notaire qui va établir un acte de vente ou de succession, c’est le professeur de droit qui va aider à la rédaction d’une loi foncière, c’est l’anthropologue qui va essayer de comprendre le comportement des populations.

Le troisième pilier, c’est le registre public, qui va répertorier les individus, les terres et les liens juridiques. Ce sera soit un bureau des hypothèques comme en France, soit un guichet foncier comme dans certains pays d’Afrique.

Les réformes foncières qui ont été engagées dans les pays en développement, ont été confiées à des techniciens, rarement à des juristes, et jamais à des notaires.

Ce que l’on essaie de démontrer c’est qu’il faut faire travailler en même temps tous les acteurs du foncier pour éviter les dysfonctionnements. Le juriste doit expliquer à l’ informaticien qu’il ne suffit pas de dire qu’une terre appartient à Monsieur Untel. Si Monsieur Untel est marié, il faut mentionner le nom de son épouse pour que le jour de la vente on sache sans ambiguïté qui vend.

Il y a encore un acteur qu’il est essentiel de faire travailler avec les autres, c’est le politique, lequel doit s’approprier la réforme et convaincre l’élite locale qu’elle a tout intérêt à la suivre parce que la réforme est une source d’enrichissement pour tous. Les commerçants vont vendre davantage, les vendeurs de matériaux aussi, les juristes vont  travailler plus, les architectes, les géomètres également.

Il faut aussi convaincre les populations locales. C’est à ce stade qu’on a besoin des anthropologues, des sociologues et des hommes politiques de terrain.

Et bien entendu convaincre également les administrations, qui sont souvent les moins enclines à suivre une réforme foncière parce que cela perturbe leur système. Ce sont elles les plus grands freins des réformes.

Une fois qu’on a mis en place un projet de titrement et un plan de réforme, il faut trouver des financements, lequels viennent soit de la Banque mondiale, de la Banque européenne ou de l’AFD. C’est pourquoi interviennent dans cette réflexion des spécialistes du financement. Autant de spécialistes dont il est intéressant de confronter les points de vue pour faire avancer l’idée nécessaire du titrement.

A l’occasion de la journée de réflexion menée par UINL et le Conseil Supérieur du Notariat, les messages sont de deux ordres. Le premier en interne vise à faire prendre conscience au notariat mondial, puisqu’on parle de 76 pays membres représentés, du fait que le titrement est un sujet qui le concerne directement.

Quant au message externe, il est simple, le notaire aujourd'hui et partout dans le monde est un juriste de la sécurité juridique et de la régulation. Or sans sécurité juridique et sans régulation, le monde ne peut pas avancer. La sécurité juridique crée la confiance et la confiance crée l’investissement par le crédit. C’est cet investissement qui permet le développement économique et le progrès social. Nous sommes tous concernés."

 

 

Auteur : Axelle de Borger


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