A grands pouvoirs, grandes responsabilités : les limites du pouvoir disciplinaire de la LFP

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Tours Football Club 1 - LFP 0. Le Tribunal administratif de Paris a récemment renvoyé la Ligue de Football Professionnel (LFP) dans ses buts, dans un jugement en apparence complexe, mais en réalité très simple et dont la portée est n’ayons pas peur des mots, historique.

Mais commençons par le commencement. Les relations entre l'État et les fédérations sportives, dont la Fédération Française de Football (FFF), sont matérialisées par ce que l’on appelle une délégation de service public. Cette dernière est accordée en vertu de l'article L. 131-14 du Code du sport qui prévoit que ”dans chaque discipline sportive et pour une durée déterminée, une seule fédération agréée reçoit délégation du ministre chargé des sports. Un décret en Conseil d'État détermine les conditions d'attribution et de retrait de la délégation, après avis du Comité national olympique et sportif français”. Elle prend, techniquement, la forme d’un arrêté du ministre des sports. Et a elle a, en général, une durée de 4 ans. La gestion de chaque discipline sportive est donc déléguée à une fédération qui peut elle-même créer une ligue professionnelle, chargée notamment d'organiser les compétitions professionnelles.

Pour ce qui relève du football, la ligue en question est la Ligue de Football Professionnel (LFP). Par cascade de délégations, cette dernière se retrouve en charge d’une mission de service public qui est limitée au football professionnel. La LFP représente, gère et coordonne les activités sportives à caractère professionnel des clubs qui lui sont affiliés. L'État, en déléguant la plupart de ses compétences à la FFF, qui dispose d'une grande autonomie, et en ouvrant la possibilité à cette dernière de créer la LFP, s'est en réalité largement désengagé de la responsabilité de l’organisation du football dans notre pays.

Les limites du pouvoir disciplinaire de la LFP

Mais il existe une condition, cependant, pour que tout cela fonctionne. Comme vient de nous le dire le Tribunal administratif de Paris : toutes les mesures disciplinaires de la FFF et de la LFP doivent s’inscrire dans le cadre de leur délégation, et plus précisément dans le cadre de la défense des intérêts du service public.

En l’espèce, 1 entraîneur et 12 joueurs du Tours Football Club (Tours FC) avaient saisi la Commission juridique de la LFP suite à la décision unilatérale de leur club de leur imposer des congés sans solde. Le Tours FC fut enjoint par Commission juridique, puis par la Commission paritaire d’appel de la LFP, de verser aux joueurs et à l’entraîneur le solde de leurs salaires. Face au refus du TFC de se plier à cette décision, la Commission juridique de la LFP infligea au club tourangeaux une amende de 10 000 euros pour non-versement de l’intégralité des salaires de son entraîneur, et douze amendes de 3 000 euros pour non-versement de l’intégralité des salaires des joueurs. Ces décisions furent confirmées par la Commission supérieure d’appel de la FFF. Et le Tours FC décida, alors, de saisir le Tribunal administratif de Paris. Ce dernier examina les articles 2.1. d) du Règlement disciplinaire annexé aux règlements généraux de la FFF et 259 de la Charte du football professionnel, ainsi que la légalité des décisions prises par la LFP et la FFF. Et dans un jugement en date du 20 mai 2021, à la stupeur de la LFP comme de la FFF, les juges... firent droit aux demandes du club.

Avec un raisonnement simple. En tant que délégataire, la FFF est chargée de l’exécution d’une mission de service public à caractère administratif. Elle dispose, par conséquent, du pouvoir de sanctionner disciplinairement les associations et les licenciés qui ne se conforment pas à ses règlements,

notamment disciplinaires, conformément aux dispositions de l’article L 131-14 du Code du sport. Or, le Tribunal estime que les sanctions disciplinaires visant le club ne rentrent pas, en l’espèce, dans le cadre de la mission de la FFF et de la LFP et ne relèvent pas de l’intérêt du service public. Et de conclure en expliquant que si l’article 259 de la Charte du football professionnel donne bien compétence à la LFP pour traiter des manquements aux obligations des clubs en matière salariale, il revient aux seules instances judiciaires - et donc en l’occurrence au Conseil de Prud’hommes en première instance - d’en tirer les conséquences.

Où commence et où finit le droit du sport

Comment interpréter ce jugement ? Interprété in extenso, ce dernier pourrait laisser penser que la FFF comme la LFP ne peuvent ni ne doivent étendre leurs pouvoirs au-delà de ce qui est strictement nécessaire à la bonne réalisation de leur mission de service public. Mais comment les clubs peuvent-ils apprécier les limites de ces pouvoirs ? Quand un club, employeur, effectue des retenues sur les salaires de ses joueurs ou des entraîneurs, cela relève-t-il de la bonne organisation du football français et du droit du sport, ou cela relève-t-il du seul droit social ? En d’autres termes, jusqu’où va la mission de défense de l’intérêt général du football français ?

De deux choses l’une. Soit le pouvoir disciplinaire de la FFF et de la LFP doit être limité aux questions sportives et administratives et il faudra dès lors bien en fixer les contours, pour que ce pouvoir disciplinaire reste dissuasif. Car qu’est-ce qu’une règle si elle n’est pas accompagnée d’un régime de sanctions ? Soit la décision du Tribunal administratif de Paris a vidé de sa substance la mission de défense de l’intérêt général déléguée à la FFF et par ricochet à la LFP, et il est urgent d’infirmer cette décision. Mais dans les deux cas, les juges administratifs ont mis le doigt sur le problème auquel les fédérations sportives font face de manière récurrente: celle des limites de leurs pouvoirs.

C’est cette question qui a par exemple amené la FIFA et l’UEFA à penser qu’elles pouvaient adopter des règles dérogatoires du droit commun pour encadrer les transferts internationaux des joueurs. Avant que la Cour de Justice de l’Union européenne ne leur rappelle dans le cadre de l’arrêt Bosman, daté du 15 décembre 1995, qu’il fallait que leurs règlements s’adaptent au droit commun... et non l’inverse. C’est la même Cour qui a leur a rappelé 15 ans plus tard, dans le cadre de l’arrêt Olivier Bernard cette fois-ci, que la même hiérarchie des normes s’appliquait aux joueurs en formation.

La litanie des arrêts défavorables aux fédérations sportives serait trop longue à exposer ici. Mais le Tribunal administratif de Paris ne vient-il pas d’ouvrir une nouvelle brèche qui pourrait, à terme, de nouveau faire reculer les fédérations et limiter les pouvoirs qu’elles se sont octroyés, dans le cadre de délégations bien souvent trop largement définies ? Il est peut-être temps d’y mettre de l’ordre.

Thierry Granturco, Avocat au barreau de Paris et Bruxelles


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