Indemnisation de la valeur de jouissance lors des restitutions après annulation des contrats

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Emmanuelle Faivre, Counsel, cabinet Reed Smith commente l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 5 décembre 2024 qui considère que la restitution d’une indemnité d’occupation due aux vendeurs après l’annulation d’une vente immobilière n’est pas subordonnée à l’absence de faute de leur part.

Dans un arrêt du 5 décembre 2024[1], la Cour de cassation a mis en lumière les nouveaux principes du Code civil relatifs aux restitutions lors d’un différend opposant les acquéreurs d’un bien immobilier à leurs vendeurs à la suite de l’annulation de la vente pour dol, les vendeurs ayant dissimulé un important dégât des eaux antérieur à la vente.

Alors que la Cour d’appel[2] avait refusé aux vendeurs cette indemnisation au motif que cette occupation n’était que « la conséquence de leur faute » et du dol qui leur était imputable, la Cour de cassation énonce que « la restitution due aux vendeurs ensuite de l’annulation de la vente immobilière n’est pas subordonnée à l’absence de faute de leur part » et que « la mauvaise foi du vendeur ne peut le priver de sa créance de restitution ensuite de l’annulation de la vente ».

Cette solution illustre la volonté de renforcer l’apport de ces nouveaux textes issus de la réforme de 2016 en matière de restitutions, en refusant un quelconque écart des juridictions du fond.

Cette décision, rendue en matière de vente immobilière, trouve en pratique un champ d’application plus large et pourra concerner l’ensemble des rapports contractuels.

Par le passé, sur ces questions, les règles se trouvaient éparpillées et les solutions jurisprudentielles manquaient de cohérence[3].

En matière de vente, la Chambre mixte décidait en 2004[4] que « le vendeur n’est pas fondé, en raison de l’effet rétroactif de l’annulation de la vente, à obtenir une indemnité correspondant à la seule occupation de l’immeuble ». Cette solution prévalait en matière de crédit-bail[5], mais une indemnité d’occupation pouvait être allouée à un bailleur lors de l’annulation du bail[6].

Ces divergences faisaient le délice des auteurs et le malheur des justiciables. La réforme de 2016 devait permettre de simplifier la situation.

Les auteurs de la réforme[7] rappelaient que le Code civil ne consacrait aucune disposition propre aux restitutions et ne contenait que quelques règles éparses sur la mise en œuvre de ce mécanisme.

La nouveauté tenait à l’instauration d’un chapitre propre aux restitutions, destiné à unifier la matière et à s’appliquer à toutes formes de restitutions, qu’elles soient consécutives à l’annulation, à la résolution, à la caducité ou à la répétition de l’indu.

Dans ce chapitre se trouvent les deux articles servant de visa à l’arrêt commenté.

Un principe général d’indemnisation pour le créancier…

L’article 1352-3 du Code civil dispose que la restitution inclut les fruits et la valeur de la jouissance que la chose a procurée sans distinguer la cause de la disparation du contrat, le type de contrat et la bonne ou mauvaise foi de celui qui se prévaut d’une indemnité à raison de la jouissance ;

L’article 1352-3 du Code civil établit ainsi un principe général du droit à l’indemnisation de la valeur de la jouissance, indépendamment de la bonne ou la mauvaise foi du créancier.

Ce principe général justifie la solution adoptée par la Cour lorsqu’elle casse l’arrêt d’appel ayant refusé l’indemnisation au prétexte que l’occupation du bien est la conséquence de la propre faute des vendeurs, en l’occurrence leur réticence dolosive.

La Cour de cassation s’en tient strictement à la nouvelle règle de l’article 1352-3 du Code civil, qui inclut dans la restitution la valeur de la jouissance et indique expressément qu’en appréciant la situation au regard de la mauvaise foi des parties, la Cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne mentionne pas et a violé les textes susvisés.

… Pour une indemnisation variable dans son quantum selon la bonne ou mauvaise foi du débiteur

L’article 1352-7 du Code civil énonce que « celui qui a reçu de mauvaise foi doit les intérêts, les fruits qu’il a perçus ou la valeur de la jouissance à compter du paiement. Celui qui a reçu de bonne foi ne les doit qu’à compter du jour de la demande ». Cet article fixe à partir de quel moment sont dus les intérêts, les fruits ou la valeur de la jouissance, en distinguant selon que celui qui les a reçus est de bonne ou de mauvaise foi.

Si le débiteur des restitutions est de mauvaise foi, il devra au créancier les fruits, la valeur de la jouissance ou les intérêts à compter du paiement, c’est-à-dire à compter du jour où il a reçu la chose. En revanche, s’il est de bonne foi, il ne devra ces sommes qu’à compter du jour de la demande en justice.

Cette règle est somme toute logique : le débiteur de mauvaise foi connaît dès l’origine le risque de devoir restituer ces éléments, alors que le débiteur de bonne foi ne le découvre qu'au moment de l’assignation en justice[8].

En souhaitant faire respecter strictement ces nouvelles dispositions inscrites dans le Code civil, la Cour de cassation semble s’en être remise à Montesquieu[9] qui, en 1748, écrivait que « les juges de la Nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi »…

Emmanuelle Faivre, Counsel, cabinet Reed Smith

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[1] Civ. 3ème 5 décembre 2024, n° 23-16.270 ;

[2] CA Versailles, 3ème chambre, 30 mars 2023, n° 21/03214 ;

[3] Valerio Forti, JurisClasseur Civil Code > Art. 1352 à 1352-9, Fasc. unique : régime général des obligations – restitutions, par. 1 ;

[4] Chambre mixte 9 juillet 2004, n° 02-16.302 ; voir aussi, dans le même sens Civ. 3ème 2 mars 2005, n° 03-10553, 26 octobre 2005, n° 04-15.354 et 3 mai 2018, n° 17-11132 et 17-14.090 ;

[5] Civ. 3ème 3 décembre 2015, n° 14-22.692 ;

[6] Chambre mixte 9 novembre 2007, n° 06-19508 ; 

[7] Rapport au président de la République relatif à l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ;

[8] Valerio Forti, JurisClasseur Civil Code > Art. 1352 à 1352-9, Fasc. unique : régime général des obligations – restitutions ;

[9] De l’esprit des lois, Montesquieu, 1748 : « Les juges de la Nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, qui n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur ».


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