En Belgique, point de débats sur la constitution d’une « grande profession du droit ». Depuis l’an 2000, le législateur belge reconnaît un statut particulier aux juristes d’entreprise lié à leur adhésion à l’Institut des Juristes d’Entreprise. Paradoxalement, l’établissement par la loi d’un ordre professionnel indépendant a eu tendance à rapprocher juristes d’entreprise et avocats. Ce rapprochement s’étend aujourd’hui à la protection de leurs avis juridiques en cas de perquisition.
Au terme d’un arrêt de principerendu le 5 mars 2013, la Cour d’appel de Bruxelles a reconnu aux avis juridiques des juristes d’entreprise membres de l’Institut belge des Juristes d’Entreprises (« IJE ») une protection équivalente au secret professionnel de l’avocat. Cet arrêt a été rendu dans le cadre d’un litige opposant l’opérateur historique de téléphonie Belgacom au Conseil de la Concurrence belge (« CCB ») survenu à la suite d’une perquisition effectuée dans les bureaux de Belgacom en octobre 2010. A cette occasion, le CCB avait procédé à une saisie informatique de plusieurs milliers de fichiers, comprenant des dizaines de courriels échangés par/avec des juristes d’entreprises. Face au refus du CCB d’écarter des débats une série de documents considérés comme tombant hors du champ de l’enquête (« out-of-scope »), ainsi que la correspondance de ses juristes d’entreprise, Belgacom forma un recours devant la Cour d’Appel de Bruxelles.
Bien qu’il puisse encore faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de Cassation belge, l’arrêt de la Cour d’Appel de Bruxelles a des implications significatives, en ce compris en-dehors du contexte belgo-belge. Certes, l’arrêt confirme tout d’abord, après des années d’insécurité juridique, que la confidentialité des avis des juristes d’entreprise (membres de l’IJE) implique également une interdiction de saisie et donc s’apparente au secret professionnel. Cette protection s’étend en outre aux demandes d’avis, aux correspondances y afférents et aux actes préparatoires. Un raisonnement par analogie conduit également à considérer que la protection conférée aux avis des juristes d’entreprises s’étend au-delà du domaine du droit de la concurrence, dans la mesure où l’article 8 de la CEDH est d’application générale et où ses effets ne varient pas en fonction de la nature de l’action publique (civile, administrative ou pénale).
Cela dit, l’arrêt pourrait aussi avoir plusieurs implications intéressantes au niveau européen. D’une part, il rejette expressément l’applicabilité de la jurisprudence Akzo aux procédures nationales de concurrence[1], même lorsque ces procédures visent à établir une infraction au droit européen. De la même manière, l’arrêt confirme que la loi nationale s’applique (et donc que la protection des avis des juristes d’entreprise doit être garantie) dès lors que l’autorité nationale procède à une inspection à la demande de la Commission européenne (mais pas lorsqu’elle ne fait que prêter assistance aux agents de la Commission dans le cadre d’une perquisition ordonnée au niveau européen).
D’autre part, et plus fondamentalement, le fait que la Cour d’appel ait fondé la protection des avis des juristes d’entreprise sur l’article 8 de la CEDH, en mentionnant son équivalent dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ouvre de nouvelles pistes pour défendre la reconnaissance de cette protection au niveau européen à un moment où l’Union européenne est sur le point d’adhérer à la CEDH. Néanmoins, tant que plusieurs Etats membres n’auront pas décidé de faire évoluer leur cadre réglementaire national dans la direction d’une protection des avis des juristes d’entreprise, un changement de position de la Cour de Justice de l’Union Européenne demeure aléatoire.
L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles démontre enfin la pertinence du modèle belge d’organisation de la profession de juriste d’entreprise autour d’un ordre professionnel distinct du Barreau doté d’une déontologie et de structures propres. Ce modèle est susceptible d’apporter des garanties suffisantes en termes d’indépendance fonctionnelle des juristes d’entreprise de nature à « préserver l’intérêt général en permettant une application correcte de la loi par les entreprises » et, de ce fait, à justifier l’octroi d’une protection spécifique à leurs avis juridiques. Il constitue dès lors une réelle alternative au modèle du rapprochement institutionnel entre juristes d’entreprise et avocats et donc à celui des avocats salariés en entreprise. A cet égard, il est intéressant de constater que la Cour suprême néerlandaise (Hoge Raad) a jugé dans un arrêt du 15 mars 2013 que les avocats pratiquant en entreprise (« advocaat in loondienst ») disposaient des mêmes droits que les avocats indépendants – en ce compris en terme de secret professionnel – dans la mesure où l’employeur reconnait contractuellement l’assujettissement de l’avocat aux règles déontologiques édictées par l’association des Barreaux néerlandais et s’engage à garantir l’indépendance de ce dernier.
La Cour d’Appel en se fondant sur l’article 8 de la CEDH ouvre de nouvelles pistes. Deux modèles différents d’organisation, pour un résultat au final comparable : les avis des juristes d’entreprise soumis à des règles déontologiques strictes garantes de leur indépendance doivent bénéficier d’une protection excluant leur saisie par les autorités publiques.
Damien Gérard, du cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton LLP (Bruxelles)
Pour lire l’intégralité du commentaire de Damien Gerard consacré à l’arrêt du 5 mars 2013 de la Cour d’Appel de Belgique, rendez-vous sur le site de l’AFJE : www.afje.org, à la rubrique « Legal Privilege »
A propos
Cet article provient du numéro 17 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial s'intéresse au droit public des affaires.