Transition vers une économie circulaire : un bilan contrasté, 4 ans après la loi AGEC

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Le 10 février 2020, le législateur adoptait la Loi n°2020-105 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « Loi AGEC », avec l’ambition d’opérer une transition vers de nouveaux modes de production et de consommation plus durables, tout en veillant à préserver l’activité des entreprises. Après quatre années d’application, un récent rapport parlementaire dresse un bilan mitigé de son impact[1], autour de deux axes symptomatiques de l’approche française de la transition écologique.

Des mesures complexes aux résultats incertains

Afin d’améliorer le tri des déchets – identifié comme un des vecteurs clé de la transition vers une économie circulaire – le Législateur s’est efforcé de concevoir un dispositif visant à mieux informer les ménages et à simplifier le geste de tri, en imposant aux producteurs d’apposer une signalétique sur les produits, leurs notices ou leurs emballages. Le résultat parait cependant éloigné de l’objectif initial, pour au moins deux raisons probables.

D’une part, l’obligation d’apposer les signalétiques de tri a été déployée de manière désynchronisée pour chacune des filières de responsabilité élargie du producteur (REP), alors pourtant que de nombreux produits relèvent de plusieurs filières REP : un petit jouet emballé est par exemple soumis à la REP Emballages Ménagers et à la REP Jouet. De nombreux professionnels ont ainsi été contraints de procéder à des modifications répétées de leurs produits, notices et emballages, au gré des entrées en vigueur successives de différentes nouvelles signalétiques. Cette mesure destinée à améliorer la gestion des déchets a donc pu provoquer une hausse de la production de ces derniers.

D’autre part, la multiplication des signalétiques de tri en fonction des filières REP et des produits s’est avérée peu lisible pour les consommateurs, le rapport parlementaire relevant même que « les associations environnementales considèrent que ces logos complexifient les consignes de tri »[2], sans encore rappeler que les modalités de tri ne sont pas totalement harmonisées sur l’ensemble du territoire. Le constat est amer pour les industriels qui, non seulement avaient anticipé et annoncé ce risque mais qui, en outre, ont mobilisé de très importantes ressources pour assurer la mise en conformité de leurs produits dans des délais particulièrement brefs.

Une concertation adéquate avec les filières concernées aurait peut-être permis de s’épargner ce risque.

Une articulation insuffisante avec les réformes européennes

Par ailleurs, si la Loi AGEC traduit une volonté française d’accélérer la transition écologique et de se positionner en moteur de cette dynamique, cette ambition se révèle toutefois inopportune lorsqu’elle nuit aux efforts d’harmonisation et remet en cause la libre circulation sur le marché unique.

Ce constat s’impose notamment en matière de lutte contre l’écoblanchiment des biens et services. Les mesures d’interdiction d’allégations environnementales issues de la Loi AGEC s’articulent ainsi difficilement avec les dispositions européennes issues de la Directive relative aux pratiques commerciales déloyales[3], révisée récemment[4], qui procèdent à une harmonisation exhaustive des allégations environnementales interdites. De même, la législation nationale crée des frictions avec les dispositions du Règlement du 25 septembre 2023[5], qui définissent des critères de biodégradabilité… tandis que la Loi AGEC interdit l’utilisation de l’allégation « biodégradable ».

Ce constat s’impose encore plus durement en matière de gestion des déchets et de tri sélectif. La France est en effet ciblée par deux procédures d’infraction au titre, d’une part, de la réglementation des consignes de tri – qui, d’après la Commission européenne, porte atteinte à la concurrence sur le marché unique et est susceptible d’avoir des effets contreproductifs sur l’environnement – et, d’autre part, de la transposition incorrecte de la directive relative aux déchets[6]. Enfin, faute de s’être concertée avec l’Europe, la France est désormais condamnée à espérer que le prochain règlement européen relatif aux emballages n'impose pas de nouvelles signalétiques, différentes de celles issues de la Loi AGEC. A défaut, les professionnels devraient à nouveau modifier leurs produits.

Dans ces conditions la proposition contenue dans le rapport parlementaire, de création d'un régulateur dédié et chargé de veiller à l'application de la loi AGEC, parait assez contrintuitive (sauf à lui confier comme mission première d’améliorer la mise en œuvre de la loi, pour éviter que la politique nationale de transition vers une économie circulaire tourne en rond !).

Maxime Seno et Matthieu Ragot, avocats associés, Veil Jourde

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[1] Rapport d’information par la mission d’information sur l’évaluation de l’impact de la loi n° 2020‑105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, déposé le 29 mai 2024.

[2] Rapport p.180 § 1.

[3] Directive 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur

[4] Directive 2024/825 du 28 février 2024 « modifiant les directives 2005/29/ce et 2011/83/UE pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition verte grâce à une meilleure protection contre les pratiques déloyales et grâce à une meilleure information.

[5] Règlement (UE) 2023/2055 du 25 septembre 2023 modifiant l’annexe XVII du règlement (CE) n°1907/2006

[6] Directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)


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