Transfert, partage de données de santé et pratiques anti-concurrentielles

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Tribune de Gaël Hichri, Avocat Associé, Magenta ; Agathe Simon, Associée, Mercure Avocats ; François-Maxime Philizot, Associé, Mercure Avocats.

Nous sommes de plus en plus sollicités par les industriels du secteur de la santé (laboratoires pharmaceutiques / fabricants de dispositifs médicaux (« DM »), biotechs / medtechs) sur la question des données de santé, sur leur appropriation et leur valorisation. L’utilisation secondaire des données de santé, au potentiel encore sous-exploité en France notamment, est cruciale pour les filières industrielles.

Le potentiel de ces données de santé est fortement perçu pour les phases de R&D et développement des médicaments et des DM, mais il existe dans d’autres domaines du secteur de la santé (épidémiologie, accès au marché, etc.). Dans le domaine du médicament, et lors des phases de R&D, les laboratoires pharmaceutiques s’appuient de plus en plus fréquemment sur l’analyse de données de santé au moyen de technologies d’IA (internes, mais souvent externes). Pour une molécule donnée, ces analyses permettent par exemple de gagner en efficacité dans l’identification des indications thérapeutiques d’intérêt.

La Commission européenne, dans un rapport publié en 2022 (Study on health data, digital health and artificial intelligence in healthcare), anticipe une forte augmentation de l’usage secondaire des données de santé dans les années à venir. Cette augmentation est également portée, du reste, par les plateformes publiques de mise à disposition des données (telles que le Health Data Hub (« HBH ») en France).

Nous avons constaté que les industriels du secteur de la santé se focalisent sur des considérations, déjà très techniques, liées à la réglementation (conditions nécessaires à l’utilisation secondaire des données) et l’IP des données de santé.

Or, nous identifions des problématiques « antitrust » aussi complexes mais encore ignorées, liéesaux modalités d’accès et de partages deces données, ainsi qu’aux conséquences de leur utilisation et de leur réutilisation. Les enjeux pour les parties prenantes du secteur de la santé (laboratoires privés, établissements de santé publics, organismes professionnels etc.) sont non seulementjuridiques mais également, très business

En effet, les acteurs sont fortement incités à collecter et exploiter les donnéesdesanté,enparticulierdanslecadredesprocéduresdemisesurlemarchédérogatoires et desmédicamentsdethérapieinnovante. Se conjuguent ainsi intérêts collectifs (favoriser le développement de nouvelles thérapies et leur accès aux patients) et individuels (disposer d’un avantage concurrentiel par des données susceptibles de permettre le développement de nouvelles thérapies).

Ainsi, tout l’enjeu économique est de trouver le niveau de partage opportun entre un modèle ouvert comme le HBH, où la donnée est accessible à tous mais sans contrôle de la destination ou de la valorisation de son usage, et un modèle fermé, offrant un contrôle et une valorisation de l’usage de la donnée partagée mais dont le périmètre est restreint aux parties à l’accord.

Or, cet enjeu de partage « semi-ouvert » (ARIIS, Bilan et enjeux du partage de données des industriels) appelle des précautions au regard du droit de la concurrence.

En effet, les données de santé ou, à tout le moins, une base de données, peuvent être considérées comme des données économiques stratégiques pour les industriels et/ou établissements de santé, au même titre que les prix ou les niveaux de stocks de produits.

Rompus à évoluer dans un environnement fortement réglementé et mus par un objectif louable de favoriser le développement de modèles de partage des données rentables et vertueux pour la santé publique, les industriels et les établissements de santé pourraient être tentés de se rapprocher pour définir les conditions et modalités de partages des données. Ainsi, ils pourraient convenir, sous un format « normatif » établi par des parties considérées comme représentatives du secteur, que l’accès à des bases de données est conditionné à l’interdiction de certaines utilisations suivant la position des laboratoires sur le marché et leurs situations concurrentielles (par exemple, restriction d’une utilisation de données cliniques par un concurrent pour remettre en question le produit sur lesquelles portent les données collectées et partagées). De même, ils pourraienttrès naturellementdéfinir de manière sectorielleles modalités de valorisation des partages de données en cas de développement d’un produit par exemple (exclusivités et/ou partenariats commerciaux, etc.).

Le caractère stratégique d’une base de données invite également à s’interroger, pour définir ses conditions et modalités de partage, sur le point de savoir si elle peut être considérée comme une infrastructure essentielle, ou encore si ses conditions d’accès et/ou de partage ne sont pas discriminatoires (par exemple si l’accès à une base de données est conditionné à l’interdiction de recourir à une base de données concurrente[1]).

On le voit donc, s’il est stratégique d’un point de vue business, le partage valorisé de données de santé, en particulier dans les modèles « semi-ouverts », appelle une grande vigilance au regard du droit de la concurrence, qu’il résulte d’un accord entre opérateurs ou de pratiques unilatérales.

Gaël Hichri, Avocat Associé, Magenta ; Agathe Simon, Associée, Mercure Avocats ; François-Maxime Philizot, Associé, Mercure Avocats

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[1]Voir par exemple en ce sens dans lesecteur voisin des bases de données d’informations médicales, Aut. Conc., déc. n°14-D-06 8 juillet 2014«Cegedim».


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