Alors qu’aux Etats-Unis, l’absence de transparence et le manque de clarté de l’encadrement juridique des digital assets (équivalent des crypto-actifs) par la Securities and Exchange Commission (« SEC ») sont soulevées[1], l’Union Européenne se dote d’un cadre unifié et transparent pour sécuriser la fourniture des services sur les crypto-actifs au sein de l’Union Européenne.
Le 20 avril 2023, le Parlement Européen a officiellement donné son feu vert sur le texte définitif du Règlement sur les marchés de crypto-actifs dit « MiCA » (c) (« Règlement MiCA »)[2], réglementation très directement inspirée de la législation française (Loi PACTE).
Après avoir trouvé un accord provisoire sur le texte du Règlement MiCA en juin 2022, l’Union Européenne amorce donc une nouvelle ère de la réglementation unifiée des crypto-actifs et des prestataires de services sur crypto-actifs (« PSCA »)[3] au sein de l’Union Européenne.
Le texte entrera en vigueur vingt jours après sa publication ou Journal Officiel de l’Union Européenne (« JOUE ») et la plupart de ses dispositions entreront en application dix-huit mois plus tard[4].
Le Règlement MiCA a notamment pour objectifs :
- D’assurer la sécurité juridique des marchés des crypto-actifs pour leur permettre de se développer ;
- De soutenir l’innovation et la concurrence loyale pour promouvoir le développement des crypto-actifs et une utilisation plus large de la technologie des registres distribués (DLT) ;
- De protéger correctement les consommateurs, les investisseurs et l’intégrité du marché.
Une des mesures phare du Règlement MiCa concerne l’encadrement des activités des PSCA sur le territoire de l’Union Européenne. Sur le modèle français de la Loi PACTE, le Règlement MiCA vient encadrer l’exercice des services sur les crypto-actifs au sein de l’Union Européenne.
Les PSCA seront désormais soumis à un agrément obligatoire pour la fourniture de services sur crypto-actifs (1). La France a décidé de renforcer le système d’enregistrement des PSAN durant la période transitoire et devrait faciliter le passage de l’agrément optionnel vers l’agrément MiCA (2).
1. L’instauration d’un agrément obligatoire des PSCA par le Règlement MiCA
- Une nouvelle définition des services sur les crypto-actifs
Le texte prévoit que toute personne qui fournit des services sur crypto-actifs à titre professionnel devrait être considérée comme un « prestataire de services sur crypto-actifs » (PSCA)[5]. Le Règlement MiCA fournit une définition des services sur crypto-actifs qui diffère peu de la définition des services sur actifs numériques prévue par la Loi PACTE[6].
Les services sur crypto-actifs couvrent :
- La conservation et l’administration de crypto-actifs pour le compte de clients ;
- L’exploitation d’une plate-forme de négociation de crypto-actifs ;
- L’échange de crypto-actifs contre des fonds ;
- L’échange de crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs ;
- L’exécution d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients ;
- Le placement de crypto-actifs ;
- La réception et la transmission d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients ;
- La fourniture de conseils en crypto-actifs ;
- La fourniture de services de gestion de portefeuille de crypto-actifs ;
- La fourniture de services de transfert de crypto-actifs pour le compte de clients ;
- Un régime unifié pour les PSCA au sein de l’Union Européenne
La fourniture de ces services sur tout le territoire de l’Union Européenne sera autorisée aux personnes morales ou entreprises agréées conformément au Règlement[7]. Le Règlement exige par ailleurs que les PSCA disposent de leur siège statutaire dans un État membre où ils fournissent au moins une partie de leurs services sur crypto-actifs (1) et aient leur siège de direction effective dans l’Union et qu’au moins un des administrateurs réside dans l’Union (2)[8].
La procédure de demande d’agrément est prévue aux Articles 62 et 63 du Règlement MiCA. Les PSCA candidats devront entre autres fournir : un programme d’activité, des garanties prudentielles, une description du dispositif de gouvernance, une preuve d’honorabilité des membres de l’organe de direction du PSCA candidat, une procédure LCB-FT, un plan de continuité des services, la documentation techniques des systèmes TIC et des dispositifs de cybersécurité[9].
L’Autorité européenne des marchés financiers (« AEMF ») et l’Autorité bancaire européenne (« ABE ») élaboreront les projets de normes techniques et lignes directrices afin de guider les PSCA candidats et les autorités nationales en charge de délivrer ces agréments.
La procédure d’agrément obligatoire prévue par le Règlement MiCA est donc très proche de la procédure prévue par la Loi PACTE pour une demande d’agrément optionnel[10] auprès de l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF »).
La demande d’agrément devra être formée devant les autorités compétentes[11] de l’Etat membre d’origine du PSCA candidat. Cet agrément permettra au PSCA de fournir les services sur crypto-actifs au sein de son Etat membre d’origine et dans l’ensemble de l’Union Européenne sous réserve d’avoir respecté la procédure prévue pour la fourniture transfrontière de services sur crypto-actifs[12]. Le PSCA pourra alors détenir un « passeport européen » pour la fourniture des services sur crypto-actifs au sein de l’Union Européenne.
2. L’adaptation du cadre réglementaire français (période transitoire)
L’entrée en application du Règlement MiCA est envisagée pour le mois de janvier 2025. Entre l’entrée en vigueur et l’entrée en application du texte, il appartiendra aux Etats membres d’adapter le droit national vis-à-vis des PSCA.
- Le système d’enregistrement obligatoire et agrément optionnel : la France fer de lance de l’accompagnement des PSAN/PSCA
La France a été précurseur pour l’encadrement des services sur actifs numériques. Dès 2019, le régime de la Loi PACTE prévoyait un double système :
- Un enregistrement obligatoire pour certains types de services sur actifs numériques auprès de l'AMF[13];
- Un agrément plus exigeant mais facultatif pour l'ensemble des services auprès de l'AMF[14] qui a inspiré l’agrément obligatoire du Règlement MiCA.
L’enregistrement obligatoire permet la fourniture de services spécifiques sur les actifs numériques en France. La procédure d’agrément optionnel nécessite des démarches plus complexes et la fourniture de justificatifs en plus grand nombre. L’agrément d’un PSAN lui permet en outre de bénéficier de la possibilité de procéder à de la publicité, du démarchage et du parrainage auprès des consommateurs[15], un avantage concurrentiel dans cet écosystème très compétitif. En France, si environ 70 PSAN sont enregistrés à ce jour, aucun PSAN n’est encore agréé par l’AMF bien que plusieurs procédures soient en cours.
L’entrée en vigueur du Règlement MiCA va mettre fin à ce régime national, cependant il était nécessaire pour les PSAN enregistrés et futurs PSAN agréés d’anticiper l’adaptation du cadre national aux exigences du Règlement MiCA.
- En France, un régime transitoire anticipé par la Loi DDADUE
La Loi DDADUE[16] adoptée en mars 2023 a d’ores et déjà prévu une période de transition entre l’adoption du Règlement MiCA et son entrée en application.
En particulier, la loi DDADUE prévoit désormais une procédure d’enregistrement « renforcé » [17].
Le dossier d’enregistrement d’un PSAN doit être complété par des prérequis plus élevés notamment s’agissant de la démonstration de l’existence d’un dispositif de sécurité et de contrôle interne adéquat, d'un système de gestion des conflits d’intérêts, et d’un système informatique résilient et sécurisé.
Ces dispositions seront applicables à compter du 1er janvier 2024 et à compter du 1er juillet 2023, toute demande d’enregistrement auprès de l’AMF sera celle d’un enregistrement « renforcé » conformément au nouvel Article L.54-10-3 du Code Monétaire et Financier.
Malgré l’entrée en vigueur de ces dispositions relatives à l’enregistrement « renforcé », c’est l’agrément optionnel prévu par l’Article L.54-10-5 du Code Monétaire et Financier qui correspond le plus aux exigences du futur agrément prévu par le Règlement MiCA.
Les PSAN bénéficiant d’un enregistrement simple, d’un enregistrement « renforcé » et/ou d’un agrément optionnel délivré par l’AMF pourront pendant la période transitoire (soit jusqu’à l’entrée en application du Règlement MiCA ou jusqu'à ce qu'ils aient obtenu leur agrément en qualité de PSCA en application du Règlement MiCA) continuer à fournir les services sur actifs numériques au public français[18].
Le gouvernement français a par ailleurs été habilité à prendre par ordonnance toute mesure aux fins d’une mise en conformité et cohérence du droit national avec le Règlement MiCA et définir le rôle et compétences respectives de l’AMF et de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (« ACPR ») pour la mise en œuvre du Règlement MiCA[19].
L’AMF a quant à elle annoncé que son règlement général sera adapté pour faciliter la transition entre la Loi PACTE et le Règlement MiCA[20] :
- Un alignement des dispositions sur les fonds propres de l’agrément PSAN avec celles prévues aux termes de MiCA ;
- Un alignement des documents demandés dans le cadre de l’agrément PSAN avec ceux demandés pour l’agrément des PSCA ;
- Des clarifications sur le champ d’application de la politique de conflits d’intérêts prévue par l’agrément PSAN ;
- Des précisions sur la politique de conservation d’actifs numériques ;
- La définition des compétences de l'AMF et de l’ACPR pour l'application de MiCA.
Une réflexion est par ailleurs menée pour un éventuel agrément facilité (ou « fast-track ») modulaire entre le statut de PSAN agréé et le statut de PSCA dans MiCA, en application de l’article 123, paragraphe 3 de MiCA.
L’AMF devrait accompagner les acteurs qui fournissent les efforts suffisants en termes de transparence et de conformité pour faciliter la transition vers le statut de PSCA. En janvier 2023, elle appelait à une « accélération du calendrier de passage à l’agrément obligatoire »[21]. Il est donc probable que la procédure de « fast-track » envisagée pour obtenir un agrément MiCA en tant que PSCA facilite l’accès à cet agrément aux PSAN qui auront fait l’effort de demander un agrément optionnel en France.
Il conviendra de veiller aux publications des futures normes techniques et à la mise à jour du règlement général de l’AMF afin d’adapter les prochaines demandes d’enregistrement/agrément dans la perspective de l’agrément du Règlement MiCA qui donnera le bénéfice du passeport européen.
Anne Maréchal, associée et Julie Bader, avocate, De Gaulle Fleurance
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NOTES
[1] SEC – SEC Charges Crypto Asset Trading Platform Bittrex and its Former CEO for Operating an Unregistered Exchange, Broker, and Clearing Agency (Apr. 17. 2023) https://www.sec.gov/news/press-release/2023-78
Forbes – Why Taylor Swift And Gary Gensler Agree On Crypto—And Why Congress Pushed Back (Apr, 22. 2023) https://www.forbes.com/sites/digital-assets/2023/04/22/why-taylor-swift-and-gary-gensler-agree-on-crypto-and-why-congress-pushed-back/?sh=6d4d2dd55d9d
[2] Résolution législative du Parlement européen du 20 avril 2023 concernant la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant la directive (UE) 2019/1937
COM(2020)0593 – C9-0306/2020 – 2020/0265(COD)) – P9_TA(2023)0117
[3] Dénommés Prestataires de Services sur les Actifs Numériques (PSAN) dans la Loi PACTE – Articles L54-10-1 à L54-10-5 du Code Monétaire et Financier (CMF)
[4] Certaines dispositions, notamment relatives aux stablecoins entreront en application de façon anticipée.
[5] Considérant 22 – Règlement MiCA
[6] Cf. liste prévue à l’Article L.54-10-2 du Code Monétaire et Financier
[7] Article 59 1. a) du Règlement MiCA – NB : sont également autorisés à fournir ces services : les établissements de crédit, un dépositaire central de titres, une entreprise d’investissement, un opérateur de marché, un établissement de monnaie électronique, une société de gestion d’OPCVM ou un gestionnaire de fonds d’investissement alternatif autorisé à fournir des services sur crypto-actifs »
[8] Article 59 2. du Règlement MiCA
[9] Article 62 a) du Règlement MiCA
[10] Article L.54-10-5 du Code Monétaire et Financier
[11] Autorités compétentes désignées par chaque Etat membre conformément à l’Article 93 du Règlement MiCA.
[12] Article 65 du Règlement MiCA
[13] Article L.54-10-3 du Code Monétaire et Financier
[14] Article L.54-10-5 du Code Monétaire et Financier
[15] Articles L.222-16-1 et L.222-16-2 du Code Monétaire et Financier
[16] LOI n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture
[17] Cf. Travaux Parlementaire sur la Loi DDADUE – En particulier, le Rapport n° 748 de Mme Laurence Cristol envisageait de transformer l’agrément français facultatif en agrément obligatoire afin d’anticiper le Règlement MiCA. La Loi DDADUE telle qu’adoptée renforce l’enregistrement obligatoire et maintient le système d’agrément facultatif.
[18] Article 8 de la Loi DDADUE
[19] Article 9 de la Loi DDADUE
[20] AMF – Marchés de crypto-actifs : le règlement MiCA adopté par le Parlement européen (21 avril 2023)
[21] AMF – L'AMF publie ses priorités d’action et de supervision pour l’année 2023 (9 janvier 2023)