Face à la systématisation des risques émergents, appelés aussi risques catastrophiques et rassemblant notamment les risques cyber, les risques climatiques, les risques sanitaires ou encore les risques de guerre, l’assurance traditionnelle doit se réinventer.
Souvent, les solutions apportées conduisent à une exclusion de garantie, au paiement de primes exorbitantes ou à l’application de plafonds inadaptés. Or, les conséquences de ces risques sont le plus souvent destructrices pour l’activité des entreprises assurées, et il apparaît donc essentiel que les assureurs puissent répondre à ces enjeux, sans pour autant s’exposer de manière déraisonnable. Il suffit de se replonger dans les débats consécutifs à la pandémie du Covid-19, concernant la garantie des fermetures administratives, pour se convaincre de l’importance d’une évolution du système vers une plus grande sécurité et une meilleure stabilité tant pour les assureurs que les assurés.
Il semblerait que le renouveau du marché de l’assurance passe essentiellement par deux évolutions :
- Une évolution de l’offre assurantielle en développant de nouvelles méthodes pour anticiper et garantir les conséquences de risques émergents ;
- Une évolution du rôle des assurés en les incitant à mieux anticiper leurs risques et peut-être aussi à davantage les prendre en charge sans nécessairement se tourner vers un assureur.
Ces évolutions sont déjà en marche. Il faut les intensifier.
Tout d’abord, on peut relever deux modalités plutôt récentes de prise en charge de ces risques. La première méthode consiste à recourir à des catastrophe bonds (cat bonds), ce qui doit permettre aux assureurs de reporter une partie du coût du risque sur le marché financier et les investisseurs. Elle consiste pour l’assureur à émettre des obligations (bonds) pour constituer une réserve de fonds disponible en cas de sinistre. La libération des fonds sera néanmoins soumise à la réalisation de plusieurs conditions, notamment liées à la réalisation d’un risque catastrophique. Ainsi, en pareil cas l’assureur fera supporter au moins une partie des coûts par les investisseurs dont l’investissement sera alors consommé par la libération des fonds. La deuxième option concerne un changement d’appréhension du risque avec l’essor de l’assurance paramétrique. Ce modèle d’assurance entend apporter une solution forfaitaire aux conséquences des risques émergents, en se fondant sur des indices objectifs et précis pour déterminer les cas dans lesquels un sinistre dit catastrophique peut être garanti. L’assureur détermine par avance les indices ou les seuils qu’il considère être révélateurs d’un sinistre nécessitant le recours à sa garantie ; et, lorsque ces indices sont réunis ou ces seuils dépassés, sa garantie est automatiquement engagée, suivant un forfait prédéfini, sans que l’assuré n’ait besoin de justifier du quantum de son dommage. L’objectif est donc de permettre à l’assureur de disposer d’une certaine prévisibilité des coûts à engager mais aussi d’assurer l’indemnisation rapide des assurés.
La coopération entre les assureurs et l’Etat est aussi un élément important de la prise en charge des risques émergents puisque, lorsque les conséquences sont réellement catastrophiques, il sera généralement fait recours à la solidarité nationale. Ici, on attend de l’assureur de jouer le rôle d’intermédiaire entre les assurés et l’Etat, en prenant à sa charge une grande partie des coûts de réparation, avant de se retourner vers l’Etat pour obtenir le remboursement des sommes versées. C’est par exemple le modèle choisi par la loi du 2 mars 2022 relative à l’assurance des dommages causés aux récoltes que d’aucuns souhaiteraient dupliquer à d’autres risques catastrophiques. La réforme prévoit en effet une fusée à plusieurs étages : d’abord la prise en charge des risques de faible intensité par les assurés eux-mêmes ; puis celle des risques moyens par une assurance MRC étendue, financée notamment par les territoires et départements ; et enfin celle des risques dits catastrophiques par une solidarité nationale via la CCR prévoyant que l’assureur serait le guichet unique auprès de qui les assurés ont vocation à s’adresser, ce qui devrait permettre une indemnisation plus rapide.
In fine, on ne peut exclure que les assurés seront nécessairement mis à contribution, soit par la nécessité d’une anticipation accrue de leurs risques (politiques claires de prévention et de résilience), soit par la constitution de réserves aux fins d’auto-assurance; cela pouvant passer aussi par la constitution de sociétés « captives » dont l’objet est à la fois d’accueillir les fonds de la société mère pour constituer une réserve disponible en cas de sinistre, et de renforcer sa position dans les négociations avec les assureurs/réassureurs en internalisant, par exemple, les compétences propres aux courtiers. En France, un projet de réforme du statut de ces sociétés est toujours en discussion.
Emmanuèle Lutfalla, Associée, et Gaëtan Defer, Stagiaire, Signature Litigation Paris