A la lumière des premières décisions de justice, analyses et leçons de trois acteurs au cœur du contentieux.
Dans le cadre de la 9ème édition des Débats du Cercle, qui s'est déroulée le mercredi 8 septembre à Paris, un atelier animé par Matthieu Guerineau, Directeur de la Direction du Contentieux, Groupe Servier et membre du Cercle Montesquieu, a permis d'étudier l'impact de la crise sanitaire sur les contrats en droit français.
La Covid-19, cas de force majeure ?
Quoiqu'inédite, la pandémie de Covid-19 n'a pas fait jouer les clauses de force majeures dans les affaires jugées à ce jour, hormis un cas : le contentieux EDF / Total Direct Energie, où le Président du Tribunal de commerce de Paris, Paul-Louis Netter, a ordonné à EDF d’accepter la suspension de l'accord-cadre entre les parties.
L'occasion pour le juge de rappeler les termes de l'article 1218 du code civil : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. »
Ces trois conditions : extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité n'ont donc pas été réunies dans l'immense majorité des contentieux, qu'il s'agisse des assureurs face aux pertes d'exploitation des restaurateurs, de bailleurs opposés aux preneurs ou bien des affaires impliquant des agences de voyages, sans oublier le contentieux des droits de diffusion du football.
Ce que confirme Stéphanie Smatt Pinelli, Directrice Juridique Contentieux, Groupe Orano, qui a pu constater que la notion de « caractère irréversible » a été plus opérante que la force majeure dans sa pratique d'entreprise.
Suspendre, résilier, renégocier ?
Après une phase de sidération, la volonté de l'entreprise de « poursuivre l'activité coûte que coûte » a poussée cette professionnelle du droit à faire preuve d'agilité et analyser chaque situation in concreto, en fonction notamment du statut de l'entreprise dans le contrat (client ou prestataire) et des jalons prévus.
La pandémie étant parfois instrumentalisée, il a fallu distinguer ce qui relève effectivement de crise sanitaire et ce qui découle d'une défaillance du prestataire.
Résultat, peu de contentieux mais beaucoup d'interprétations et de renégociations, ne serait-ce que pour quelques mois, en interrompant notamment les pénalités de retard. Ce qui ne signifie pas que l'on ne s'oriente pas vers un durcissement des contentieux, comme le pressent également Paul-Louis Netter.
Dans cette perspective, Stéphanie Smatt Pinelli rappelle aux entreprises cherchant à anticiper ces contentieux qu'une plateforme de tierce conciliation leur est dédiée.
Contrairement à ce qui s'est passé en droit français, Céline Leroy, Associée Litigation & Forensic, Eight Advisory, n'a pu s'appuyer, dans sa pratique des contrats internationaux, sur des mesures dérogatoires permettant de gérer cet événement brutal et imprévisible.
C'est ici qu'interviennent les clauses de hardship (clauses de sauvegarde), destinées à « prévoir l'imprévu » et les clauses MAC (material adverse change, ou clause d’événement défavorable significatif), qui permettent à l'une des parties de se désengager.
Identifier les contrats à risque
Céline Leroy signale avoir vu apparaître dans certains contentieux des représentants de secteurs ayant tiré parti de la crise, tels les laboratoires d'analyse médicale, faisant preuve d'opportunisme en mettant en œuvre des stratégies de conquête de parts de marché.
La pandémie a bouleversé les rapports de forces à un tel point qu'une OPA hostile peut se transformer en négociation amiable d'acquisition !
Forte de sa triple casquette contentieuse/opérationnelle/financière, Céline Leroy s'est attachée à identifier les contrats à risque (notamment ceux pour lesquels les jalons de paiement sont à court terme), construire une modélisation financière pour évaluer l'impact de la crise (y compris des scénarii de sorties, pour faute ou pour inexécution rendue impossible du fait de la situation) et justifier le cas échéant les renégociations.
« Aucun contrat n'épuisera jamais la réalité »
Riches de leurs expériences, les trois intervenants se sont interrogés sur la question de l'efficacité des contrats : une évolution est-elle souhaitable dans la manière de rédiger ces actes ?
Paul-Louis Netter nous met en garde : quand bien même un contrat comprendrait mille pages, il ne pourra tout prévoir. Ceci dit, il convient néanmoins d'être « le plus explicite possible s'agissant du but du contrat, de l'objectif poursuivi dans le cadre de ce contrat et de la commune intention des parties ».
Céline Leroy complète cette recommandation s'agissant des clauses pénales : il importe de documenter la réalité économique, soit l'équilibre initial, pour justifier les sommes demandées.
Ainsi, si l'imprévisible ne peut être prévu, il est possible d'en limiter les risques.
Pascale Breton