Le Conseil d’État a publié son étude annuelle 2022 intitulée « les réseaux sociaux : enjeux et opportunités pour la puissance publique ». L'ambition est de permettre le rééquilibrage des forces en faveur des utilisateurs, armer la puissance publique dans son rôle de régulateur.
En 2022, près de 60 % de la population mondiale est active sur les réseaux sociaux (4,2 milliards d’utilisateurs) et le temps moyen qui y est passé est de 145 minutes par personne et par jour. Les réseaux sociaux sont incontournables. Ils sont porteurs du meilleur comme du pire.
Quel doit être le rôle de la puissance publique dans ce domaine ?
Le Conseil d'État s'est penché sur cette question et publie son étude annuelle sur les réseaux sociaux au moment même où l'Union européenne vient de se doter d'un cadre juridique avec le Digital markets Act (DMA) et le Digital services Act (DSA). Ces deux textes fixent le cadre général de régulation des marchés et des services des plateformes numériques en Europe.
L'ambition de l'étude est de mobiliser des leviers d’actions visant à favoriser un usage plus raisonné et plus équilibré des réseaux sociaux.
Rééquilibrage des forces en faveur de l'utilisateur
L’étude met en exergue la nécessité de rééquilibrer le rapport de forces entre les utilisateurs et les grandes plateformes, dont certaines ont acquis la puissance économique d’États. Ce rééquilibrage doit se faire notamment au niveau contractuel. Aujourd’hui, l'utilisateur n’a pas d’autre choix que d’accepter l’ensemble des conditions générales d’utilisation (CGU) qui lui sont proposées, sans pouvoir les négocier.
Aussi, la Haute juridiction administrative recommande la création au niveau de la Commission européenne d’une instance de concertation regroupant l’ensemble des partenaires (associations d’utilisateurs, plateformes…) afin de permettre d’élaborer conjointement des standards minimums pour les CGU et les politiques de confidentialité. L’objectif à terme serait l’instauration d’un véritable « droit à la participation » des utilisateurs ou de leurs représentants.
Par ailleurs, l'étude préconise d’aider les utilisateurs à mieux maîtriser les réseaux sociaux en facilitant les paramétrages afin de permettre à chacun de connaître ses droits et de contrôler l’usage qu’il souhaite faire du réseau social, en particulier sur les contenus recommandés, bloqués ou notifiés.
Améliorer l'organisation de la puissance publique
Le deuxième axe des propositions traite de l’amélioration de l’organisation de la puissance publique qui doit assurer la réussite du cadre de régulation des réseaux sociaux institués par le DSA et le DMA. Pour ce faire, le Conseil d'État recommande la mise en place rapide d’un groupe de travail informel réunissant régulateurs nationaux et Commission européenne ainsi que la création d’un comité de suivi transversal auprès de la Commission. Il propose, au niveau national, la création d’un service interministériel d’expertise, disposant d’une compétence technique renforcée en la matière, ainsi que d’un réseau national des régulateurs du numérique afin de permettre une meilleure coordination des différents acteurs compétents (Arcom, Cnil, Arcep, DGCCRF, etc.).
Protection des droits et des victimes
Pour améliorer la protection des mineurs et des victimes d’infractions sur les réseaux sociaux, le Conseil d'État propose la généralisation du recours aux solutions d’identité numérique et aux tiers de confiance.
Le Conseil d'État dresse le constat que le dispositif actuel de plainte et de signalement, trop dispersé et trop peu lisible, n’est pas satisfaisant. Par conséquent, il recommande une coordination entre les différentes plateformes de signalement par la création d’un portail unique de signalement, mais aussi en rendant plus accessibles les boutons de signalement sur chaque application.
De même, l’étude estime nécessaire d’investir dans la recherche pour améliorer les outils techniques permettant de détecter les infractions et de prendre en compte les signalements.
Enjeux de demain : sobriété énergétique, publicité ciblée, messageries privées, métavers, droit à la mort numérique
Le Conseil d'État considère qu'il faut engager la réflexion permettant d'anticiper les prochaines évolutions.
Il lui semble important de poursuivre les chantiers sur la publicité ciblée, les messageries privées et les métavers
Certaines, comme celles relatives à l’encadrement de la publicité ciblée et la régulation des messageries privées, sont déjà en cours et doivent dès maintenant faire l’objet d’une attention particulière au regard des enjeux majeurs qu’elles représentent pour l’avenir.
Il parait également nécessaire de poursuivre les chantiers sur la publicité ciblée, les messageries privées et les métavers qui interrogent notamment la continuité entre le monde réel et le monde virtuel.
En outre, les auteurs estiment que le droit à la mort numérique ou le droit pour les héritiers d’accéder aux données du défunt doivent aussi faire l'objet d'une attention particulière.
Enfin, le Conseil d'État suggère que la France prenne l’initiative, avec quelques partenaires proches, de proposer l’ouverture d’une négociation, à tout le moins européenne, sur les droits de l’homme à l’ère du numérique.
Arnaud Dumourier (@adumourier)