Monaco : l’État de droit en péril ?

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Tribune de Sylvie Petit-Leclair, Magistrat français, Procureur Général de Monaco (2018-2022), Secrétaire d’État à la Justice de la Principauté (2022 à 2024).

Depuis quelque temps, certains comportements et méthodes du nouvel entourage du Prince font débat en Principauté, notamment au sein de la population monégasque, qui voudrait demeurer fière de servir l’État et son Souverain. Or, une série d’affaires récentes laisse à penser que le fragile État de droit à Monaco serait très émoussé ; elles sont le fruit de manigances contre des Monégasques, devenus la cible de campagnes de dénigrement et révèlent l’existence de tentatives de pressions sur la Justice et de la police ou d’instrumentalisation des acteurs du monde judiciaire. Or, la Justice ne doit pas s’accommoder d’interventions, fussent-elles justifiées par une soi-disant raison d’État et elle doit rester ferme face à des individus qui estiment que leur agenda personnel et leurs intérêts de carrière ou de portefeuille peuvent interférer avec la bonne marche de la police-justice.

Lorsqu’on est animé par la ferme volonté de rejeter toute collusion des services de l’État avec ces vindictes, de servir loyalement un État et de souhaiter renforcer ses fondements, afin qu’il soit considéré comme un véritable État de droit, on ne peut qu’être profondément choqué par des comportements, des initiatives et des fixations partisanes qui piétinent les droits fondamentaux. L’exécutif et le judiciaire doivent agir pour le bien commun et ne pas consacrer du temps et de l’argent à ce qui ressemble tristement à la résolution de règlements de compte personnels et ridicules. 

Encore faudrait-il que les victimes de ces agissements aient accès à des recours efficaces, rapides et répondant notamment aux exigences fixées par la convention européenne des droits de l’homme et qu’elles n’aient pas le sentiment de connaître, avant l’issue de la procédure, la décision, qui ne manquera pas d’être rendue. C’est ainsi que le justiciable, qui aura saisi le tribunal suprême, n’attendra qu’une décision d’incompétence, lorsqu’il conteste la validité d’actes directement ou indirectement imputables au Prince, ou encore un classement sans suite, fondé sur l’inviolabilité à vie du Monarque, lorsqu’il aura déposé plainte.   

Considéré comme obsolète par d’éminents constitutionnalistes, l’édifice institutionnel monégasque peut en réalité favoriser l’arbitraire et certaines dérives.

La Constitution monégasque organise, en effet, une trop forte concentration et confusion des pouvoirs, si ce n’est de tous les pouvoirs, entre les mains du seul Souverain. Il exerce non seulement le pouvoir exécutif, mais aussi le pouvoir législatif qu’il partage avec le Conseil National, et le pouvoir judiciaire qui « appartient au Prince » qui le délègue aux cours et tribunaux. L’organisation du système judiciaire même dépend d’ailleurs du seul Monarque qui décide de l’ensemble des nominations, quand bien même concerneraient-elles les chefs de juridictions.  

Ce type de concentration des pouvoirs est unique sur notre continent, car les souverains des monarchies européennes (Royaume-Uni, Pays-Bas, Norvège, Belgique, Suède, Espagne) n’ont que des attributions purement formelles et non exécutives.

De surcroit, l’inviolabilité à vie du Prince (article 3 de la Constitution) décharge le Souverain de toute responsabilité politique. À cet égard, Thomas Clay, Professeur agrégé de droit à l’Ecole de Droit de La Sorbonne, écrivait récemment : « si on peut le comprendre pour le Roi d’Angleterre qui n’exerce aucun pouvoir réel, on le comprend moins pour celui qui concentre les pouvoirs fondamentaux de son État entre ses mains. Tous les monarques ne se valent pas, et plus l’État est petit, plus le pouvoir local est grand ». Mais surtout, cette inviolabilité de la personne du Prince s’étend à ses actes et décisions qui se trouvent donc à l’abri de toute contestation. S’il est légitime de protéger le Souverain de toute vindicte, rendre par principe irrecevable toute discussion de ses actes est très contestable. Cela s’apparente à un pouvoir quasi-absolu.

Ce parfum d’ancien régime trouve aussi sa traduction dans le fait que le gouvernement princier n’est pas responsable devant l’assemblée parlementaire, mais seulement devant le Monarque qui est donc la source de tout pouvoir en Principauté…

De son côté, le Conseil National, qui est la seule institution démocratiquement élue, dispose de pouvoirs limités au vote du budget et des textes. Jean-Louis Grinda, vice-président de l’assemblée, déclarait récemment : « nous votons un budget primitif, un budget rectificatif, mais nous ne votons pas le résultat final, la clôture étant prononcée par le Prince. Nous sommes donc le seul pays d’essence démocratique à refuser d’accorder ce droit au parlement. C’est absolument inexplicable ». Tout est clairement dit.

Par essence, cette concentration des pouvoirs peut donner à l’entourage du Monarque un espace et une marge de manœuvre considérables, notamment lorsqu’il est constitué d’individus sans logiciel démocratique, dépourvus de clairvoyance d’un sens aigu de l’État et incapables de jouer les garde-fous contre toute velléité de dérive ou de piétinement de l’État de droit.  Ce fut aussi la volonté du Prince pendant des années. Malheureusement, certains évènements, certaines décisions, certains propos, alimentent aujourd’hui les inquiétudes et les interrogations en Principauté.

Lors de son avènement en juillet 2005, le Prince Albert avait déclaré que Monaco devait devenir « une puissance de l’éthique ». Vingt ans après, alors que la Principauté a été mise en liste grise et que l’État de droit semble comme entre parenthèses, une évolution institutionnelle favoriserait une maturité démocratique qui fait tant défaut à Monaco. Aligner la Principauté sur les monarchies parlementaires européennes aurait l’avantage de mettre fin à l’omerta et de transformer ce micro-État en pays vertueux, en termes de séparation et d’équilibre des pouvoirs. Le Prince gagnerait à lancer ce projet structurant. Il renouerait ainsi avec la vision prometteuse qu’il avait exprimée quand il est monté sur le trône. Il se positionnerait alors comme un Souverain éclairé au sens des Lumières. La France, partenaire privilégié de Monaco, pourrait également peser pour favoriser un tel changement.

Aujourd’hui, Monaco traverse l'une des périodes les plus difficiles de son histoire contemporaine et, malgré d'indéniables progrès, la lutte contre la délinquance en col blanc et la répression contre la corruption restent très perfectibles. Des mesures simples et efficaces, comme la ratification de conventions internationales, la création d’infractions financières, les poursuites systématiques, pourraient être rapidement prises…   

Sylvie Petit-Leclair, Magistrat français, Procureur Général de Monaco (2018-2022), Secrétaire d’État à la Justice de la Principauté (2022 à 2024).

DROIT DE REPONSE DES AUTORITES MONEGASQUES

Les Autorités monégasques font part de leur plus vive condamnation des propos tenus par Mme Sylvie Petit-Leclair dans la publication « Le Monde du Droit » en date du 28 février 2025 sous l’intitulé « Monaco : l’Etat de droit en péril ? ».

S’exonérant de la réserve qui est une règle au titre de ses anciennes fonctions, Mme Petit-Leclair se livre à des attaques indues et d’une violence inouïe contre les institutions de la Principauté, leur fonctionnement et même contre Son Altesse Sérénissime le Prince Albert Il.

De tels propos, qui tentent de porter atteinte aux fondements même des institutions de la Principauté de Monaco, sont d’autant plus choquants qu’ils émanent de quelqu’un qui a eu l’honneur de servir la Principauté pendant de nombreuses années, d’abord comme Procureur général de Monaco puis comme secrétaire d’État à la Justice, Directeur des Services judiciaires et Président du Conseil d’État. Mme Petit-Leclair est donc mieux que nul autre en mesure de connaître la réalité de l’incontestable État de droit en vigueur dans la Principauté et, jusqu’à ce qu’il soit mis fin à ses fonctions le 16 septembre 2024, elle n’a d’ailleurs jamais émis la moindre des critiques qu’elle avance aujourd’hui. C’est seulement depuis cette date que Mme Petit-Leclair se livre publiquement à de telles indignes attaques contre l’institution judiciaire monégasque qu’elle était pourtant censée servir avec respect et loyauté.