Le Dossier de la douzième édition du JEM a pour thème « le juriste prescripteur » c’est-à-dire les relations entre les juristes d’entreprises et leurs prestataires externes.
Cela couvre bien entendu les relations avec les avocats mais pas seulement. En effet, afin d’accomplir pleinement sa mission, le juriste d’entreprise doit être en mesure de s’appuyer sur un réseau de partenaires externes le plus large et complet possible comprenant des notaires, huissiers, assureurs, traducteurs, recruteurs, experts, fournisseurs de systèmes d'information, coach, experts en intelligence économique, détectives, etc...
Afin d’illustrer la diversité et la richesse de ces relations, 15 responsables juridique ont accepté de témoigner. Ces témoignages sont à l’image de notre belle profession car ils illustrent bien la diversité des styles et stratégies retenues.
L’approche est en effet fort différente entre Claude Amardeil (SACEM) dont le recours à des tiers est volontairement limité versus Nicolas Narbel (CAREFUSION) ou Jonathan Truelove (HAEMONETICS) qui ont organisé des « beauty contest » ou mis en place des « virtual lawfirms ». Cela peut même aller jusqu’à la mise en place de systèmes très sophistiqués de suivi de projet de type « Legal Professional Outsourcing » comme l’a fait Alexandre Menais (GROUPE ATOS).
Ces témoignages nous permettent également d’apprécier l’importance de pouvoir compter sur un notaire efficace et réactif comme ce fût le cas pour Elodie Pouet (ASSYSTEM) à l’occasion d’un appel d’offre international. Les conseils en organisation et en stratégie ont aidés Frédéric Blasi (INA) a mieux positionner le droit dans la chaîne de valeur au sein de son organisation. Forte d’une collaboration réussie avec un courtier d’assurance, Caroline Lé (BOURBOU) a réussi à positionner la gestion du risque juridique comme un outil d’aide à la décision. Enfin, Benjamin Castaldo (PARTOUCHE), juriste RH, bien au-delà du rôle de juriste spécialisé en droit social, travaille étroitement avec toute une série de conseils en matière d’avantages sociaux, de protection sociale ou encore de prévention des risques. Les cabinets de recrutement tiennent également une place importante au sein du réseau des juristes d’entreprise comme le souligne justement Martine Walliman (EUROPCAR).
Finalement, la relation avec les avocats est la plus complexe à appréhender. Certaines directions juridiques considèrent avoir trouvé le bon équilibre comme Bruno Chauvet (STEINER), François FIERENS (TOTAL PETROCHEMICALS) concernant la propriété intellectuelle ou encore David Mignéco (GROUPE G7).Valérie Aigreault-Turcas (GALERIES LAFAYETTE) nous alerte toutefois sur le fait qu’il est parfois difficile d’obtenir d’un avocat une consultation pragmatique allant au-delà de l’énoncé de généralités. Ce manque de pragmatisme des avocats francophones est également souligné par Volker Tiermann (OWENS ILLINOIS), juriste allemand basé en suisse romande en charge de la direction juridique Europe d’un groupe américain. Finalement, le mot de la fin revient à Philippe Cohen (WALL DISNEY COMPANY), qui, non sans humour, illustre le positionnement des professionnels selon le métier exercé à un moment donné de leur carrière et nous rappelle que le juriste prescripteur d’aujourd’hui peut demain devenir l’avocat prestataire et vice-versa !
Nous avons eu beaucoup de plaisir à préparer ce dossier et à appréhender la diversité des contributions, tant dans la langue (en anglais), l’origine (juristes français, belges, américains, allemands, basés en France, en Suisse, en Belgique), la taille, le secteur et la nationalité des entreprises représentées. Au-delà de cela, l’approche de chacun des intervenants est unique, leur angle de vue particulier.
En conclusion, Philippe Mélot partagera sa vision sur la façon dont les conseils extérieurs perçoivent leurs relations avec les juristes d’entreprise.
De ces différentes contributions, nous pouvons retenir que certes, le juriste d’entreprise est utilisateur de prestations de services variées, apportant une réponse ou solution spécifique à un besoin identifié. Il est par ailleurs – heureusement – flagrant que le rôle du juriste d’entreprise va largement au-delà d’un rôle peu valorisant de « coordonnateur de prestations extérieures » pour s’imposer comme un véritable apporteur de solutions opérationnelles pour gérer l’activité et le risque de l’entreprise.
1. Le juriste, simple utilisateur de services ?
1.1 Le directeur juridique, décisionnaire ou utilisateur de prestataires pré sélectionnés ?il apparait évident à la lecture des expériences partagées par nos 15 contributeurs qu’une approche non différenciée des prestations fournies est vouée à l’échec. Comprendre ce que chacun des prestataires apporte, au-delà parfois du caractère rassurant du nom ou de la taille de son cabinet, de ses qualifications professionnelles, est essentiel. En un mot, reconnaitre l’individu et non sa structure.
1.2 Les prestataires, éléments clés du succès de l’entreprise : l’identification des prestataires est essentielle, notamment dans les secteurs hautement spécifiques : qui n’a jamais cherché un avocat de droit ferroviaire qui n’ai pas de conflit d’intérêt avec la SNCF, d’avocat contentieux spécialisé en aéronautique acceptant, de vous représenter dans un contentieux contre le leader européen de l’aéronautique ?
1.3 Le contact personnel, clé de voute des relations de confiance. Gérer un panel inamovible de cabinets alors que tel conseil en droit de la concurrence qui à, par exemple, bâti une connaissance approfondi de l’environnement concurrentiel, change de cabinet, déclenche une perte d’efficacité et donc des coûts et des risques pour l’entreprise. Les prestataires sont des professionnels qui ont bâti une connaissance profonde des mécanismes, attentes et spécificités de l’entreprise. Qui n’a pas eu d’expérience malheureuse avec un traducteur ne connaissant pas les acronymes ou les produits de l’entreprise, n’apportant qu’une traduction littérale sans être capable de transmettre les intonations, les agacements, les non-dits ? La vrai différence entre une personne qualifiée et un professionnel incontournable est là, parfois dans ces « petits plus » qui font toute la différence.
2. Juriste, bien au-delà du rôle de prescripteur de services ?
2.1 Juriste, prescripteur mais surtout acteur de la gestion du risque : le juriste à en sa possession une trousse à outils faite de compétences techniques internes, de connaissance approfondie des métiers de l’entreprise, de son environnement concurrentiel, des pratiques de marchés, des options stratégiques, du mode de décision du PDG, du Comité de direction. Cette trousse a outils est largement optimisée par la capacité du juriste à bien s’entourer, à savoir apporter des réponses à des questions sensibles, sur la réputation d’un apporteur d’affaire ou sur l’origine réelle d’un désaccord commercial par exemple. La gestion des risques, sans parler de la gestion de crise, est le domaine de prédilection du juriste, à lui de s’extraire de la revue classique des risques (garantie donnée sur les produits, contentieux de fin de contrat commercial ….) pour pro activement identifier la matrice des risques de chaque métier de l’entreprise et mettre en place, notamment avec l’aide de ses prestataires, assureurs notamment, des pare feux efficaces dès la création des relations commerciales. Les formateurs notamment ont un rôle critique à jouer pour aider le juriste à créer au sein des équipes commerciales, les réflex qui vont permettre de gérer les risques très en amont.
2.2 La Conformité versus soutien aux opérations, le périlleux équilibre : chacun d’entre nous, et notamment les juristes intervenants dans des industries réglementées et/ou des groupes cotés et/ou des sociétés américaines, sont constamment tiraillés entre d’une par le support aux opérations, raison d’être du juriste d’entreprise, apporteur de solutions, soutien au business et de l’autre le juriste gardien des principes, parangon de la conformité. Pour réussir ce subtil équilibre, le juriste pourra faire former ses équipes (par des conseils en communication pour renforcer l’impact de leur message), pour apprendre à « vendre » des programmes de conformité, par essence arides et perçus – à tort – comme n’apportant pas de valeur (au sens commercial du terme) à l’entreprise. Cette capacité à communiquer de manière efficace, voir ludique, renforce fortement l’impact du message. Les « mises en scène » de dawn raid par exemple (par scénettes notamment) permettent de déclencher une forte adhésion des participants.
2.3 Le Juriste, contributeur direct à la stratégie de l’entreprise : outre le cas, de plus en plus rare heureusement où le(s) dirigeant(s) a son propre conseil extérieur auprès de qui il prend (au mieux) conseil, au pire revalide les options de son directeur juridique, les entreprises performantes ont bien compris combien il est bénéfique d’impliquer le juriste à la stratégie de l’entreprise. C’est une évidence et, dans ce cadre précis, le juriste devra prendre garde à apparaître seul, gardant ses prestataires et conseillers informés au cas par cas mais aussi et surtout «en seconde ligne ». Outre l’aspect hautement confidentiel des discussions stratégiques, il est important que le juriste s’impose comme « l’homme ou la femme de droit » mais aussi et surtout comme un interlocuteur interne, un « sparring partner » des discussions stratégiques.
Au-delà de l’équilibre entre l’utilisation et la prescription des services aux directions juridiques, nous vous proposons de partager avec vous les contributions de juristes ayant participé à ce dossier. Ces contributions apportent une diversité de vues et d’expérience qui expriment au mieux la complexité des interactions entre les juristes et leurs conseils.
Benoît Dutour, Directeur Juridique Groupe, Rexel et Xavier Schops, Directeur Juridique, PPG Industrie Europe
A propos
Cet article provient du numéro 12 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré à la 42 ème AG de l'AFJE.
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