La mobilité des sociétés de capitaux au sein de l’Union européenne donne aux entreprises et à leurs groupes la souplesse utile pour s’adapter à l’évolution du marché et à leurs besoins. La réglementation qui le permet est relativement récente[1] et a donné lieu, en 2023[2], à la refonte des dispositions du code de commerce français lors de la transposition des modification apportées à la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés (la « Directive 2017/1132 »)[3] par la directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019[4]. Explications avec Pierre Birotheau, avocat, of Counsel, PwC Société d'Avocats.
1 - La fusion des sociétés de capitaux[5] au sein de l’Union européenne n’a pas vocation à s’appliquer aux sociétés qui sont des fonds d’investissement
Une exclusion de principe
Depuis 2005, les dispositions européennes en matière de fusion transfrontalière de sociétés de capitaux excluent de leur champ d’application toute « […] société dont l'objet est le placement collectif des capitaux recueillis auprès du public, dont le fonctionnement est soumis au principe de la répartition des risques et dont les parts sont, à la demande des porteurs, rachetées ou remboursées, directement ou indirectement, à charge des actifs de cette société. Est assimilé à de tels rachats ou remboursements le fait pour une société d'agir afin que la valeur de ses parts en Bourse ne s'écarte pas sensiblement de leur valeur d'inventaire nette ».[6]
Ainsi, les sociétés d’investissement à capital variable (SICAV)[7] et les sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (SPPICAV)[8] ne peuvent fusionner avec une société de capitaux d’un autre pays de l’Union européenne dans le cadre de la Directive 2017/1132.
Il y a toutefois une nette différence entre les organismes de placement collectif en valeurs mobilières (« OPCVM »), dont relèvent les SICAV, et les fonds d’investissement alternatifs (« FIA ») dont les SPPICAV font partie.
Si les OPCVM (actions, obligations et autres titres de créance, monétaires …) sont exclus du champ d’application de la Directive 2017/1132, ils bénéficient néanmoins d’un régime de fusion transfrontalière harmonisé résultant des articles 37 à 48 de la directive « OPCVM IV »[9]. Ce régime s’applique tant aux OPCVM constitués sous forme sociétaire que sous forme contractuelle (fonds commun de placement), et à leurs compartiments[10].
Les FIA, régis par la directive « AIFM »[11] ne bénéficient pas d’un régime harmonisé de fusion transfrontalière, quand bien même ils existeraient sous la forme d’une société de capitaux.
Ainsi les OPCVM et les FIA ont-ils un traitement égal à l’égard de la directive 2017/1132, qui les exclut en principe, mais ils ne sont pas placés sur un pied d’égalité entre eux puisque seuls les OPCVM bénéficient d’un régime harmonisé de fusion transfrontalière.
Le cas particulier des « Autres FIA »
Les FIA sont des organismes de placement collectif (« OPC ») qui lèvent des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir dans l’intérêt de ces investisseurs, conformément à une politique d’investissement que ces FIA ou leurs sociétés de gestion définissent, et ne sont pas des OPCVM[12].
La catégorie des FIA inclut des fonds dont les règles d’organisation interne sont déterminées par le code monétaire et financier, qui sont alors des FIA « par nature », ainsi que des fonds dont les règles d’organisation interne ne résultent pas du code monétaire et financier mais dont l’objet les assimile à des FIA, dits FIA « par objet », appelés « Autres FIA »[13]. Les Autres FIA peuvent prendre la forme sociétaire la plus adaptée à leur mode de gestion, notamment celle d’une société de capitaux ».[14]
Dans l’ordre interne, un FIA peut participer à une fusion (par ex. une fusion entre deux SPPICAV), dans les conditions prévues par le code monétaire et financier et par la réglementation de l’AMF. Un Autre FIA peut participer à une opération de fusion dans les conditions prévues par le code de commerce.
En revanche, les FIA ne peuvent aisément participer à une fusion transfrontalière, en l’absence de régime harmonisé pour des OPC de ce type.
La question a pu se poser de savoir si un Autre FIA créé à l‘initiative de quelques investisseurs, voire même d’un seul investisseur, peut fusionner avec une société de capitaux[15] établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne.
En effet, pour qu’une société soit exclue du champ d’application de la Directive 2017/1132, trois critères cumulatifs sont requis[16] :
- son objet est le placement collectif des capitaux recueillis auprès du public,
- son fonctionnement est soumis au principe de la répartition des risques,
- ses parts sont, à la demande des porteurs, rachetées ou remboursées, directement ou indirectement, à charge des actifs de cette société.
Dès lors que l’une de ces conditions n’est pas satisfaite, l’exclusion n’opère pas.
Autrement dit, un Autre FIA (pour autant qu’il revête la forme d’une société de capitaux) et qui ne satisfait pas à l’un (ou plusieurs) de ces trois critères devrait pouvoir participer à une fusion transfrontalière avec une autre société de capitaux.
S’agissant du critère de la levée de capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir dans l’intérêt de ces investisseurs[17], ce critère consiste « à prendre des mesures directes ou indirectes pour obtenir le transfert ou l’engagement de capitaux par un ou plusieurs investisseurs »[18], étant rappelé que, pour l’AMF, une société de capitaux dont les statuts « n’interdisent pas de lever des capitaux auprès de plus d’un investisseur doit être assimilée à une entité levant des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs au sens de l’article 4, paragraphe 1, point a), de la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, et ce, même en présence d’un seul investisseur. »[19].
Ainsi le fait qu’un Autre FIA ne comporte qu’un seul investisseur de sa création à sa liquidation n’interdit pas de considérer que cet Autre FIA lève des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs[20] ; il est vrai qu’une levée de fonds auprès d’un unique investisseur peut suffire pour constater l’existence d’une offre au public.
Toutefois, le critère de l’offre au public disparaît lorsque c’est l’investisseur lui-même (ou un groupe préconstitué d’investisseurs) qui prend l’initiative de solliciter une société de gestion de procéder à la création d’un FIA ou d’un Autre FIA, aux fins d’y investir, ce qui se constate en pratique et évince le critère de l’offre au public.
Dans ce contexte, un Autre FIA dont les titres n’ont jamais fait l’objet d’une offre au public devrait pouvoir participer à une fusion transfrontalière avec d’autres sociétés de capitaux.
Il en est de même lorsque l’Autre FIA n’est pas soumis au principe de la répartition des risques, ce qui se constate pour un Autre FIA (mais cela peut aussi concerner un FIA) dont la quasi-totalité du patrimoine est constitué d’un seul actif (ou d’un seul type d’actif). Là encore, l’Autre FIA devrait pouvoir participer à une opération de réorganisation transfrontalière (fusion, scission, apport partiel d’actifs) dans le cadre de la Directive 2017/1132 précitée.
2 – La nouvelle rédaction de l’article L.236-32 du code de commerce
En France, la participation d’un Autre FIA à une fusion transfrontalière n’est plus possible depuis la nouvelle rédaction de l’article L.236-32 du code de commerce relatif au champ d’application des opérations transfrontalières, qui dispose désormais : « Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables : » […] « 3° Aux organismes de placement collectif agréés conformément à la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 ainsi qu'aux fonds d'investissement alternatives [sic] tels que définis par la directive 2011/61/UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011. ».
Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de la directive de 2005 sur les fusions transfrontalières[21], le législateur français a entrepris de transposer l’exclusion actuellement prévue à l’article 120 point 3 de la Directive 2017/1132.
Ce qu’il a fait en des termes nets qui ne donnent aucune prise à l’interprétation. Si l’on considère sa formulation, cette exclusion est plus claire et précise, mais également moins souple que celle figurant à l’article 120 point 3 de la Directive 2017/1132.
Ainsi, en France, le régime de la fusion transfrontalière exclut-il toutes les sociétés de capitaux de droit français qui sont des OPCVM, des FIA ou des Autres FIA.
S’agissant des OPCVM, cette exclusion se comprend puisque (comme cela a été précédemment indiqué) la Directive OPCVM permet la fusion transfrontalière entre OPCVM conformes à cette même directive. La Directive AIFM ne le prévoit pas, probablement parce qu’elle ne s’applique pas aux fonds d’investissement alternatifs mais à leurs sociétés de gestion[22].
Il en résulte qu’il n’existe pas en droit financier de disposition permettant de manière explicite à un Autre FIA (non plus qu’à un FIA) de participer à une fusion transfrontalière.
Cela n’interdit pas en principe de réaliser une telle opération, pour autant que les législations nationales ne l’interdisent pas, que les autorités compétentes ne s’y opposent pas et que la forme des véhicules d’investissement s’y prête au regard des législations concernées. La possibilité de réaliser une fusion transfrontalière impliquant un FIA, un Autre FIA et le cas échéant une société de capitaux s’apprécie au cas par cas, mais sans pouvoir faire référence aux dispositions harmonisées de la Directive 2017/1132.
La fusion (ou la réorganisation) transfrontalière de FIA reste à créer
De manière prospective, la participation d’un Autre FIA[23] (ou d’un FIA) à une opération de fusion transfrontalière avec une société de capitaux pourrait être appréciée en considération des enjeux en cause :
- dans la mesure où la directive AIFM permet à un gestionnaire agréé établi dans l’Union européenne de commercialiser des parts ou actions de FIA auprès d’investisseurs professionnels dans des Etats membres autres que l’Etat membre d’origine du gestionnaire[24], il serait envisageable de prévoir que seuls les Autres FIA dont les parts ou titres sont exclusivement détenus par des investisseurs professionnels peuvent participer à une fusion transfrontalière (tout en renforçant, pour ce type d’opération, les obligations d’information et de transparence de la part de la société de gestion dans ce contexte). Cela permettrait de tenir les investisseurs non professionnels à l’écart de ce type d’opération ;
- il pourrait être prévu, par exemple, i) la faculté, pour les titulaires de parts ou d’actions du fonds absorbé qui ne souhaiteraient pas détenir, à l’issue de la fusion, de parts ou d’actions dans une société de capitaux régie par le droit d’un autre Etat membre, de demander le rachat de leurs parts ou actions[25], ii) que l’approbation de l’opération par les associés de chaque Autre FIA participant requière un quorum et/ou une majorité renforcés[26],
- il ferait sens qu’un Autre FIA ayant la forme d’une société de capitaux puisse être absorbé par son unique investisseur et associé lorsque ce dernier est une société de capitaux établie dans l’Union européenne, et qu’il en soit de même lorsque les investisseurs de chaque fonds d’investissement alternatif participant à l’opération approuvent l’opération à l’unanimité.
* * *
[1] La première directive sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux date du 26 octobre 2005. Elle fut transposée en France par la loi n°2008-649 du 3 juillet 2008 portant diverses dispositions d’adaptation du droit des sociétés au droit communautaire. Cette directive a été abrogée par la directive (UE) 2017/1132 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 relative à certains aspects du droit des sociétés, qui est une directive de codification (Considérant 1).
[2] Ordonnance n° 2023-393 du 24 mai 2023 portant réforme du régime des fusions, scissions, apports partiels d'actifs et opérations transfrontalières des sociétés commerciales, ratifiée par la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole
[3] La « Directive 2017/1132 ».
[4] Directive (UE) 2019/2121 du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières.
[5] Société anonyme, société en commandite par actions, société à responsabilité limitée, société par actions simplifiée – Annexe II de la Directive 2017/1132.
[6] Cf. article 120 point 3 de la Directive 2017/1132.
[7] C. mon. fin. art. L.214-7-3 al. 2 : « Les fusions transfrontalières des SICAV ne sont pas régies par les articles L. 236-25 à L. 236-32 du code de commerce. ».
[8] C. mon. fin. art. L.214-67 al 2. : « Les fusions transfrontalières des sociétés mentionnées au présent sous-paragraphe ne sont pas régies par les articles L. 236-25 à L. 236-32 du code de commerce. ». Comme pour les SICAV, la référence aux textes du code de commerce est erronée depuis l’ordonnance n° 2023-393 du 24 mai 2023 précitée.
[9] Directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 portant coordination des dispositions législatives réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières.
[10] C. mon. fin. art. L.214-15 et 411-44 à 411-63 du RGAMF.
[11] Directive 2011/65/UE du Parlement européen et du conseil du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs et modifiant les directives 2003/41/CE et 2009/65/CE ainsi que les règlements (CE) n°1060/2009 et (UE) n°1095/2010.
[12] C. mon. fin. art. L.214-24 I, 1° et 2° et art. 4, 1, a) de la directive AIFM.
[13] C. mon. fin art. L.214-24 III. Cf. N. Mordaunt-Crook et M. Carissimo, “Les fonds d’investissement alternatifs à la française », RDBF 2013, étude 17 ; A. Tehrani, « Les « Autres FIA », Mélanges en l’honneur de Jean-Patrick et Michel Storck, Dalloz Joly éditions 2021, p. 723 et s.
[14] Pour la suite de ces commentaires, toute référence à un (des) Autre(s) FIA désigne un (des) fonds qui a (ont) la forme d’une société de capitaux visée à l’annexe II de la Directive 2017/1132.
[15] Qui ne serait pas nécessairement un fonds d’investissement.
[16] Art. 120 3 de la directive 2017/1132 précitée.
[17] C. mon. fin. art. L214-24 I 1°.
[18] Position AMF n°2013-16 « Notions essentielles contenues dans la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs », point 4 p. 3.
[19] Position AMF n°2013-16 « Notions essentielles contenues dans la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs », point 5 p. 3.
[20] Ce nombre serait-il réduit à un seul investisseur.
[21] Directive 2005/56/CE précitée.
[22] En effet, la diversité des FIA est telle, même si l’on ne considère que le seul marché européen, qu’il aurait été difficile de parvenir à les harmoniser. Cf. Considérant 10 de la directive AIFM précitée.
[23] C’est le cas le moins complexe à traiter puisqu’un Autre FIA n’est pas, par lui-même, réglementé. Ce qui n’interdit pas d’examiner les conditions qui permettraient de fusionner des FIA, ou certains types de FIA, qui ont la forme d’une société de capitaux.
[24] Art. 32 de la Directive AIFM.
[25] C. com. art. L.236-40. Cf. également le droit de sortie sans frais dans les fusions d’OPCVM.
[26] La perspective d’une obligation de rachat et d’un quorum plus élevé et/ou d’une majorité renforcée supposerait d’anticiper l’appétence des investisseurs à participer à une telle opération.