L'arbitrage, un coup de poker ?

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L’arbitrage est un mode de règlement des différends par lequel la mission de trancher le litige est confiée par les parties à une ou plusieurs personnes dites « arbitres ». 

Contrairement à la justice étatique caractérisée par la gratuité, l’arbitrage a un coût. En effet, outre les honoraires des conseils, les parties doivent payer les honoraires des arbitres et les frais du centre qui administre l’arbitrage, lorsque les parties optent pour un arbitrage institutionnel.  

S’il est vrai que les arbitres peuvent à la fin de la procédure faire supporter l’intégralité des coûts de l’arbitrage à la partie qui succombe, il n’en demeure pas moins, qu’au début de celle-ci, toutes les parties impliquées doivent financer ces coûts en constituant des provisions, dont le défaut de paiement entraine le retrait des demandes.

La plupart des règlements d’arbitrage prévoient que les provisions sont calculées proportionnellement au montant des demandes formulées par les parties et sont dûes en parts égales par le demandeur et le défendeur. Il s’agit d’une provision « globale », calculée sur l’ensemble des demandes (principales et reconventionnelles).

Dans le secteur minier, et singulièrement en Afrique, il est loin d’être inhabituel que des entreprises souvent impécunieuses, mécontentes de se voir retirer leur permis d’exploration/d’exploitation par l’Etat d’accueil, initient des procédures arbitrales contre l’Etat, en invoquant une perte alléguée de profits futurs lesquels auraient dû être générés par un projet (minier) qui n’a jamais vu le jour. Ces entreprises vont même jusqu’à réclamer des dommages-intérêts exorbitants ne serait-ce que lorsqu’ils sont comparés au Produit Intérieur Brut de l’Etat d’accueil. La plupart du temps, il s’agit de petites sociétés, mues par des objectifs spéculatifs et n’ayant aucunement les capacités financières et techniques de conduire elles-mêmes un projet minier.

Financées par un tiers financeur pour les besoins de ces procédures d’arbitrage, lequel paye la quote-part de la demanderesse, elles sont aussi indirectement financées par le défendeur (l’Etat d’accueil), contraint de verser la seconde quote-part, alors qu’il ne soumet aucune demande reconventionnelle, ou en tout cas de très faible montant.

De ce fait, le défendeur subit deux injustices :

  1. Payer à concurrence de moitié la provision pour frais d’arbitrage, laquelle est le plus souvent calculée sur la seule base des demandes excessives formulées par le demandeur ;
  2. Courir le risque de ne pas pouvoir récupérer ces sommes à l’encontre de la demanderesse impécunieuse ayant succombé à l’arbitrage, celle-ci disparaissant (suite à une liquidation) car n’exerçant aucune autre activité et ne disposant d’aucun actif.

Ainsi, l’arbitrage conçu pour être un mode efficace de résolution des différends, dans la perspective de la poursuite des relations économiques, se transforme en une opération de spéculation au cours de laquelle le demandeur ne court aucun risque (puisqu’il ne déboursera pour sa part aucune somme), espérant obtenir une sentence arbitrale favorable.

Le défendeur attrait abusivement à l’arbitrage est confronté au dilemme suivant : payer une provision exorbitante ou refuser de payer de telles sommes au risque de contrevenir au principe du respect de la parole donnée. En effet, en acceptant la clause d’arbitrage, le défendeur a accepté le règlement du centre d’arbitrage, lequel prévoit que la provision doit être payée à parts égales.

Pour pallier cette situation, le défendeur est en droit de solliciter la fixation de deux provisions distinctes, calculées sur la base des demandes respectives de chacune des parties séparément. Concrètement, une première provision sera calculée sur la base du montant des demandes formulées par la demanderesse et une seconde provision sera calculée sur la base du montant des demandes formulées par la défenderesse. 

La plupart des règlements d’arbitrage1, prévoient la possibilité de solliciter la fixation de provisions distinctes, lorsque certaines conditions sont remplies, à savoir :

  • une disproportion entre les demandes principales et les demandes reconventionnelles ; 
  • des demandes reconventionnelles dissociables des demandes principales, de sorte que si une partie non diligente ne paye pas la provision distincte, sa demande sera retirée mais le tribunal arbitral serait en mesure de trancher exclusivement les demandes de la partie diligente.

Il suffit donc aux conseils d’un défendeur attrait abusivement à une procédure arbitrale par des spéculateurs, de solliciter auprès du centre qui administre la procédure arbitrale, la fixation de provisions distinctes en établissant que les conditions précitées se trouvent réunies.

L’arbitrage ne doit pas devenir pour certains opérateurs un coup de poker à jouer contre les Etats d’accueil. Dès lors et pour maintenir à l’arbitrage ses lettres de noblesses, cette faculté de solliciter la fixation de provisions distinctes gagnerait à être plus exploitée. 

Thierry Lauriol, Associé, Jeantet (Département « Arbitrage, Energie et Mines ») et Joséphine Hage Chahine, Collaboratrice, Jeantet (Département « Arbitrage, Energie et Mines »)

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1. Notamment les règlements suivants : CCI, CCJA, CIRDI, DIAC, ICDR, SCC, SCCA, SIAC, KKIAC.


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