Le tribunal correctionnel de Paris a relaxé les deux avocats pénalistes poursuivis pour complicité d’escroquerie au jugement et a confirmé qu'un avocat n'a aucune obligation d’authentification des actes qu'il soumet au juge.
Me Xavier Nogueras et Me Joseph Cohen-Sabban étaient poursuivis pour complicité d’escroquerie au jugement, pour avoir produit, fin 2018, de faux documents lors du procès aux assises de leur ancien client, le narcotrafiquant Robert Dawes.
Ils ont produit une ordonnance espagnole présentant comme illégale une écoute téléphonique capitale pour l’accusation, dans laquelle leur client revendiquait la propriété de la drogue acheminée par avion de Caracas jusqu’à Paris. Les avocats avaient demandé supplément d’information et renvoi du procès. La Cour a refusé et écarté les écrits qualifiés de "faux". Ce qui a été confirmé par une enquête par la suite.
L'accusation arguait que les deux avocats avaient "fait le choix de cacher leurs doutes, exprimés entre confrères, sur l’authenticité de ces pièces" et a dénoncé des manquements à "l’obligation d’alerte et de vigilance" des deux avocats. Elle soutenait que par sa qualité, l’avocat contribue à "renforcer la crédibilité d’une pièce" et qu'en tant qu’"homme de l’art", il "est présumé avoir procédé aux vérifications élémentaires que commande sa profession".
Le parquet a requis à l’encontre de Me Joseph Cohen-Sabban, trois ans de prison dont un avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer et à l'encontre Me Xavier Nogueras deux ans dont un an de prison avec sursis et cinq années d’interdiction d’exercer.
Les deux avocats avaient plaidé qu’ils ignoraient complètement que les pièces versées étaient falsifiées. Ils ont mis en avant qu'ils avaient été manipulés par leur client.
En outre, les avocats ont rappelé que la seule règle qui s’impose à eux est que celle selon laquelle l’avocat "ne doit pas sciemment donner au juge une information fausse ou de nature à l’induire en erreur". Or, ni Xavier Nogueras ni Joseph Cohen-Sabban n'étaient poursuivis pour faux. Et, en effet, l’enquête a démontré qu’ils ignoraient que les pièces versées étaient falsifiées.
Dans un jugement du 18 avril 2023, le tribunal correctionnel de Paris a relaxé les avocats concernant la complicité de tentative d’escroquerie au jugement.
En effet, les deux avocats avaient fait preuve de "graves négligences", de "désinvestissement" et de "manque criant de professionnalisme" dans ce dossier, mais, bien que coupables au plan déontologique, ces éléments ne constituent pas en droit pénal un "élément intentionnel", contrairement à ce que soutenaient la juge d’instruction et le parquet.
Le tribunal correctionnel précise (§ 334) que "s’agissant d’une qualification de complicité, par aide et assistance, d’escroquerie au jugement impliquant l’usage de faux en écriture publique ou authentique, l’élément intentionnel requis par la loi, qui ne peut donc être à bon droit constitué par la seule reconnaissance d’une négligence – même particulièrement grave eu égard à la qualité de professionnel du droit des deux prévenus – ni de la validation intellectuelle de la probabilité d’un subterfuge, doit procéder de la connaissance acquise de la fausseté des documents litigieux conjuguée à la conscience concomitante de participer ainsi à la réalisation de l’action frauduleuse des auteurs principaux".
Il ajoute (§ 337) que "la circonstance que M. Nogueras et M. Cohen-Sabban n’aient pu que nourrir un scepticisme, fût-il flagrant, quant à la parfaite légalité de la stratégie de défense conçue par M. Dawes et aient même acquis l’intime conviction que ce dernier était, à tout moment, susceptible de concrétiser son action frauduleuse grâce aux agissements délictuels de M. Hughes [(l'homme de main de leur client)] et à son positionnement central dans l’équipe de défense ne peut caractériser le dol général du délit de complicité lequel se compose de la connaissance de la prohibition légale et de la volonté de la transgresser. Autrement dit, la seule conscience d’une réalité factuelle et juridique est insuffisante à la vérification d’un dol général à défaut de la démonstration de la volonté d’agir en dépit de cette connaissance".
Ainsi, les seules poursuites qui pourraient être envisagées sur ce point relèvent de l'instance disciplinaire, qui peut être saisie par le procureur général de Paris ou le bâtonnier de l’Ordre des avocats.
En revanche, le tribunal correctionnel a déclaré les deux avocats pénalistes coupables de violation du secret professionnel, considérant qu'ils ont "délibérément trahi leur serment d’avocat en violant tant la loi pénale que l’obligation déontologique impérieuse de respecter le secret professionnel". En effet, ils avaient partagé avec Evan Hughes, l'homme de main de leur client, des informations couvertes par le secret professionnel.
Pour cela, le tribunal correctionnel les a condamnés à 15.000 € d’amende et à la peine complémentaire de trois ans d’interdiction d’exercice professionnel, avec sursis.