Investigations internes : comment éviter l’effet boomerang ?

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Anne-Marie Guillerme et Vincent DufiefAnne-Marie Guillerme et Vincent Dufief commentent la réalisation d'investigations internes au sein d'une entreprise dans le cadre de la gestion du contentieux.

La gestion du contentieux peut conduire à la réalisation d’investigations internes au sein de l’entreprise, afin de recueillir des éléments de preuve au soutien d’une action judiciaire contre un tiers ou dans le cadre de la défense de l’entreprise.
La conduite de telles investigations doit impérativement s’effectuer dans le strict respect de la règlementation.
A cet égard, les juristes d’entreprises sont les interlocuteurs naturels pour guider les opérationnels.

1. Investigation interne vs. saisine de l’autorité judiciaire : quelles frontières ?

Quasi indispensable avant une action civile, l’investigation interne peut également s’avérer utile avant la saisine du juge pénal : en effet, la consolidation des éléments de preuve renforce l’efficacité de la plainte pénale notamment lorsque les faits sont complexes et/ou susceptibles d’être considérés comme un différend civil. Certaines situations ne laissent en revanche pas réellement de temps pour l’investigation interne et engendrent normalement une saisine immédiate des autorités ; l’on pense notamment au cas ou des faits découverts mettent en péril la sécurité de personnes ou lorsque ces faits peuvent constituer les preuves d’un crime. Il est parfois délicat d’apprécier à quel moment la saisine de l’autorité judiciaire s’impose : cette décision doit s’apprécier au cas par cas, après une analyse juridique rigoureuse. En tout état de cause, l’investigation interne trouve normalement son terme avec la saisine du juge pénal ; celui-ci est en effet seul compétent pour conduire son enquête (auprès des tiers, mais également au sein de la société).

2. Preuve et nouvelles technologies : a quoi peut on accéder ?

Le développement exponentiel des nouvelles technologies dans la sphère privée et dans l’entreprise conduit immanquablement à une multiplication du nombre d’informations et de traces laissées par tout individu.

Corrélativement, le nombre de preuves susceptibles d’être utilisées dans un contentieux contre une personne augmente d’autant. L’on pense tout naturellement aux e-mails échangés, aux documents informatiques crées, aux connexions internet ou encore aux informations laissées sur les réseaux sociaux... S’il paraît tentant d’exploiter ces "mines d’informations" en cas d’enquête interne, il convient néanmoins de connaître les limites légales à ne pas franchir, sous peine de voir la preuve inutilisable voire même d’être poursuivi au pénal.

  • Accès aux documents (papier ou informatique) d’un salarié

En principe, tous les fichiers du salarié sont présumés avoir un caractère professionnel et l'employeur est ainsi en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé. Toutefois, hors la présence du salarié, l'employeur n'est pas en droit d’accéder, y compris en présence d'un huissier, aux fichiers identifiés comme personnels (seules des mentions explicites comme "personnel" ou "privé" interdisent l’accès aux documents). L’employeur peut toutefois accéder aux documents personnels d’un salarié en sollicitant l’autorisation d’un magistrat. Une telle autorisation, qui peut être obtenue très rapidement, implique de démontrer qu’il existe un motif légitime justifiant le recours à une telle procédure. Si le juge l’autorise, l’employeur pourra solliciter l’intervention d’un expert ou d’un huissier afin de procéder à l’ouverture de certains documents clairement désignés. Pour ce qui est des données informatiques "réseau" (telles que les logs de connexion, l’historique internet, ...), l’employeur peut en principe y accéder librement.

  • Utilisation de données issues d’un dispositif de surveillance (vidéo, écoute, ...)

En cas d’utilisation de données issues d’un dispositif de surveillance des salariés mis en place, il est indispensable de s’assurer que toutes les formalités relatives à ce dispositif ont bien été respectées (information préalable des salariés, déclaration aux autorités, ...). Si le dispositif de surveillance n’a pas vocation à surveiller l’activité des salariés, les données récoltées peuvent être librement utilisées. Par exemple, il a été jugé possible d’utiliser les données issues de procédés de surveillance vidéo des entrepôts dans lesquels les salariés ne travaillent pas. De même, la jurisprudence admet l’usage d’un relevé de communications téléphoniques fourni par l’opérateur de téléphone à titre de preuve, dans la mesure où ce procédé de contrôle n’a pas été mis en place par l’employeur mais qu’il correspond à un service offert par l’opérateur.

  • Utilisation d’informations obtenues sur internet

S’il est parfaitement envisageable d’utiliser des informations issues de sources publiques (sites internet, infogreffe, ...), l’on ne peut envisager d’utiliser des informations issues de bases de données non ouvertes ou de zones d’échanges privés de réseaux sociaux si l’accès à ces informations implique l’usage de procédés déloyaux (manœuvres, usurpation d’identité, utilisation de mots de passe ou code d’accès, crackage informatique, ...).

Si toutefois ces données sont librement accessibles, il semble en revanche possible d’y accéder (l’on pourra toutefois, par précaution, faire constater par huissier que l’accès à ces données s’est fait librement et sans emploi de procédé particulier).

3. Que faire des preuves récoltées pendant l’enquête ?

En droit français, une preuve obtenue déloyalement (par exemple, l’enregistrement de quelqu’un à son insu ou l’obtention d’un document au moyen d’un stratagème) ne pourra pas être utilisée devant les juridictions civiles ou prud’homales. Elle pourra en revanche être utilisée, le cas échéant, devant le juge pénal. Une preuve obtenue illégalement (c'est-à-dire en commettant une infraction pénale, comme par exemple une intrusion informatique ou une violation du secret des correspondances) ne devra pas être utilisée en justice, compte tenu du risque pénal que cela fait courir sur celui qui utilise cette preuve (ce dernier, même s’il n’a pas commis d’infraction pour l’obtenir, est susceptible d’être poursuivi pour recel). La distinction entre preuve obtenue déloyalement et preuve obtenue illégalement peut être subtil, aussi est il indispensable en cas de doute de demander l’avis d’un juriste.

En tout état de cause, lors d’une d’enquête interne, aucun élément de preuve ne devra être modifié supprimé ou altéré, sous peine de sanctions pénales.

Anne-Marie Guillerme et Vincent Dufief

A propos

JEM11Cet article provient du numéro 11 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré au contentieux.

TÉLÉCHARGER LE MAGAZINE AU FORMAT PDF

AFJE