Lors du débat sur le budget de la justice à l'Assemblée nationale dans le cadre du projet de loi de finances 2021, Eric Dupond-Moretti a conditionné une nouvelle augmentation de l’aide juridictionnelle à des contreparties de la part des avocats, dont une expérimentation de l'avocat en entreprise.
On croyait le sujet enterré depuis le rapport Perben, le voici qui revient à l'occasion du débat sur le budget de la justice à l'Assemblée nationale. Rappelons que ce sujet divise la profession depuis plus de 25 ans. Alors qu'une hausse de l'aide juridictionnelle de 50 millions d'euros est prévue au 1er janvier 2021, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a indiqué que si ce n'était qu'une « première marche », une nouvelle augmentation ne se ferait qu'avec des contreparties de la part des avocats, évoquant des échanges avec les représentants de la profession à ce sujet : « Nous devons discuter de plusieurs de leurs engagements, d’abord en matière de déontologie – mais ce n’est peut-être pas la question la plus importante –, ensuite sur l’expérimentation de l’avocat en entreprise ».
Interrogé par la députée Cécile Untermaier qui a indiqué que « l'avocat en entreprise est un autre sujet» et qu'il ne fallait pas « lier des évolutions que vous pourriez attendre de la part des avocats et le traitement de l’aide juridictionnelle, un problème factuel, concret et immédiat», le garde des Sceaux a précisé sa pensée : « ce sont des contreparties demandées à la profession. Il ne s’agit pas d’imposer de façon caporaliste, mais d’expérimenter. La profession est suffisamment dans la difficulté pour qu’elle y puise le sang de nouveaux possibles.(...). Nous souhaitons conduire cette expérience. Lorsque j’étais avocat, j’ai vécu des périodes difficiles, notamment lors de l’intégration des conseils juridiques dans la profession, ce qui marquait la fin du barreau traditionnel. Or les choses se sont finalement bien passées.».
De vives réactions chez les avocats
Révélés par nos confrères de Dalloz Actualité, les propos du ministre de la Justice Eric-Dupond-Moretti n'ont pas manqué de faire réagir. Ainsi, le Syndicat des Avocats de France (SAF) a dénoncé un « chantage indigne» tandis que la FNUJA, fermement opposée au statut d'avocat salarié en entreprise, a fustigé la méthode.
Cette proposition n'est pas plus acceptable pour les institutions.
La Conférence des bâtonniers, estime qu'« aucune condition à l’augmentation (insuffisante) de l’UV n’est acceptable ; l’avocat salarié serait dans l’impossibilité de respecter son obligation d’indépendance ; une expérimentation n’aurait pas de sens».
De même pour le Conseil national des barreaux (CNB) qui indique pour sa part que : « Nos concitoyens les plus démunis doivent conserver un accès au droit plein et entier. C'est le rôle social d'intérêt public de l'aide juridictionnelle. Une aide qui n'est pas l'apanage des avocats mais un droit pour tout citoyen d'être défendu, conseillé, accompagné. L'augmentation du budget de l'aide juridictionnelle de 54 millions d'euros présentée par le ministre de la Justice comme la « première marche » ne suffira pas à amortir cet afflux de nouveaux bénéficiaires, ni à rendre acceptable la rémunération due aux avocats qui travaillent à perte. Ce “marché” n’est pas acceptable. Les avocats, depuis des années, ne cessent de donner des compensations : en travaillant à perte et en subissant des délais de paiement qu’aucun fonctionnaire, aucun salarié, aucun entrepreneur n’accepterait. Il ne saurait y avoir de marchandage entre l’Etat, en charge du service public d’accès au droit, et les avocats. Le gouvernement doit l'aide juridictionnelle à la Nation, aux citoyens, aux justiciables, pas aux avocats. ».
Les juristes d'entreprise ont, quant à eux, accueilli avec satisfaction ces déclarations d'Eric Dupond-Moretti et sont prêts à travailler avec le ministre sur cette question : « Le ministre peut compter sur l’AFJE afin de contribuer avec toutes les parties prenantes à la définition et à la mise en œuvre d’une solution consensuelle, construite avec la famille des avocats et des juristes d’entreprise, dans le respect des spécificités et complémentarités de nos modes d’exercices professionnels respectifs » a indiqué dans un communiqué de ce jour l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE). « Nous restons plus que jamais ouverts à un travail collectif qui permettra de définir des règles de nature à renforcer l’Etat de droit. » ajoute Marc Mossé, Président de l’AFJE.
Enfin, le Cercle Montesquieu considère que l’avocat en entreprise constitue « une opportunité pour le marché du droit français », un « enjeu de souveraineté des entreprises », et se déclare favorable à une expérimentation.
Arnaud Dumourier (@adumourier)
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Voir aussi ci-dessous : L'édito d'Arnaud Dumourier : le retour de l’avocat en entreprise !