Selon les résultats de l’Observatoire 2022 des transitions sociétales du cabinet De Gaulle Fleurance, la RSE prend une importance croissante alors que 23 procédures ont été initiées sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance en France, soit 2 fois plus par rapport à mars 2021.
La RSE prend une importance croissante, sous l’impulsion de nouvelles règlementations ou sous la pression de l’opinion publique.
La France a été précurseur en mettant en place, dès 2017, un devoir de vigilance qui oblige les entreprises de plus de 5 000 salariés en France (10 000 salariés au niveau mondial) à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement, liées à leurs opérations ou à celles de leurs filiales et de leurs fournisseurs. Depuis la première procédure lancée en 2019, les actions se sont multipliées. Aujourd’hui, vingt-trois procédures (17 mises en demeure et 6 assignations) ont ainsi été menées sur le fondement de cette loi, soit deux fois plus par rapport à mars 2021.
« C’est une augmentation considérable », soulignent Pierrick Le Goff et Alexandra Nowak. « Et il n’y a pas de signes de tassement de cette tendance contentieuse qui devrait donc se renforcer».
Le devoir de vigilance a également été introduit en Allemagne, aux Pays-Bas et en Norvège. Le périmètre est parfois plus large qu’en France puisqu’il concernera les entreprises de plus de 1 000 salariés en Allemagne à partir de 2024. En Norvège, seront concernées les entreprises réunissant au moins 2 critères parmi les suivants : plus de 50 salariés, un chiffre d’affaires de plus de 7 millions d’euros, un bilan de plus de 3,5 millions d’euros.
Par ailleurs, un projet de directive européenne, la CSDDD, envisage d’étendre ce devoir de vigilance à toutes les entreprises européennes employant plus de 500 personnes et réalisant un chiffre d'affaires annuel net de plus de 150 millions d'euros. Seraient également concernées les petites entreprises des secteurs à haut risque, comme ceux du textile, de l'agriculture et de l'extraction minière. En revanche, le texte adopté par le Conseil européen, le 1er décembre 2022, exclut certaines activités financières, comme les activités d'investissements.
« Cette directive devra se mettre en place », estime Luc Vansteenkiste, président de EuropeanIssuers. « Car il ne suffit pas d’avoir les standards de durabilité de l’EFRAG (voir ci-après), il faut les inscrire dans un système de suivi qui vise à protéger concrètement l’environnement, les droits sociaux et la bonne gouvernance. Les entreprises sont très motivées par le projet. En revanche, les ONG et l’Europe font fausse route quand elles font peser le devoir de vigilance sur les épaules des banques qui représentent 60 % du financement en Europe (vs 30 % aux Etats-Unis). Les banques sont incapables d’avoir un jugement sur l’impact climatique des projets que les entreprises leur soumettent pour avoir un financement. Ces enjeux sont beaucoup trop techniques pour elles. C’est en réalité une responsabilité collective qui devrait incomber aux gouvernements, aux scientifiques, aux ingénieurs et qui en plus dépend, comme on le constate actuellement, d’imprévus géopolitiques. »
Droits humains : le respect des principes directeurs de l'OCDE
Autre symbole fort : les principes directeurs de l’OCDE applicables notamment en matière de protection de l’environnement et des droits humains donnent lieu à des tensions régulières. Le nombre de saisines des points de contacts nationaux (PCN), garants du respect de ces principes par les multinationales, dépasse la trentaine chaque année depuis 2018 (32 en 2021, 39 en 2020, 31 en 2019 et 47 en 2018).
« Le motif invoqué pour ces saisines est à plus de 80 % la violation des droits humains en 2021 (vs 74 % en 2020 et 61 % en 2019) », expliquent Pierrick Le Goff et Alexandra Nowak. « Jusqu’à présent, le secteur minier était principalement concerné (un tiers des saisines). Depuis 2021, le secteur de l’information et de la communication commence à être lui aussi visé par les ONG soucieuses du respect de la protection des données personnelles ».
RSE : le droit souple progresse
La guerre en Ukraine a vu se développer des initiatives dépassant le simple cadre réglementaire. De nombreuses entreprises ont ainsi décidé de se retirer de Russie ou d’y réduire leurs activités alors que les régimes de sanctions ne leur interdisaient pas formellement de rester en Russie. Les enjeux de RSE et de réputation ont souvent guidé ces choix.
« C’est un changement de paradigme », analysent Pierrick Le Goff et Alexandra Nowak. « La méthode vertueuse du « name and fame », prime sur la méthode du « name and shame ». Dans un domaine historiquement de droit dur (les sanctions économiques internationales à l’encontre de certains pays), le droit souple prend soudainement une part de plus en plus prépondérante. Le phénomène est inverse de celui que l’on constate sur le devoir de vigilance : droit dur vers droit souple, au lieu de droit souple vers droit dur. »
Le succès de la raison d’être créée en 2019 par la loi Pacte, illustre aussi le progrès du droit souple en matière de RSE. La quasi-totalité des entreprises du CAC 40 revendiquent aujourd’hui une raison d’être.
Des indicateurs de durabilité dès 2024 pour les entreprises
De son côté, l’Europe accélère cette transition avec une règlementation de plus en plus étayée sur tous ces enjeux de RSE. L'Union européenne a été précurseur avec la directive NFRD (non-financial reporting Directive) qui dès 2017 a concerné 10 000 grandes entreprises européennes cotées de plus de 500 salariés. Puis, sont venus s’ajouter deux règlements visant à faire progresser la finance durable : le règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (SFDR) en 2019, ainsi que le règlement établissant la taxonomie en 2020. Ce dernier est une classification des activités économiques ayant un impact favorable sur l'environnement dont l’objectif est d'orienter les investissements vers les activités « vertes ».
Dernière étape en date, le Conseil de l’Union européenne a donné son approbation finale à la directive sur la publication d'informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD), après son adoption par le Parlement européen le 10 novembre 2022. Elle modifie la directive NFRD et concernera 5 fois plus d’entreprises (55 000), soit toutes les grandes entreprises cotées ou non qui réunissent au moins deux de ces critères : plus de 250 salariés, au moins 40 millions d’euros de chiffre d’affaires, un bilan supérieur à 20 millions d’euros. Elle entrera en vigueur progressivement à partir de 2024.
Le Groupe consultatif européen sur l'information financière (EFRAG) a été chargé par la Commission européenne d’élaborer des normes européennes d’information sur les aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance et a livré mi-novembre des projets de normes européennes destinées à la mise en œuvre de la CSRD. Ces indicateurs sont établis selon le principe de double matérialité : une matérialité d’impact qui mesure les effets de l’entreprise sur l’environnement et l’humain ; une matérialité financière qui mesure les risques et les opportunités de l’environnement (y compris dans sa dimension humaine) pour les entreprises d’un point de vue financier.
Les entreprises ont appelé à un alignement entre l’UE et l’International Sustainability Standards Board (ISSB) qui élabore des normes internationales d’information sur la durabilité afin d'éviter le double reporting qui augmenterait les coûts de mise en conformité. Si l’ISSB ne produit des indicateurs que sur la matérialité financière, l’organisation a choisi, comme l’EFRAG, de prendre en compte non seulement les émissions directes des entreprises liées à l’utilisation de leur énergie et à leurs propres installations (périmètres ou scopes 1 et 2), mais aussi les émissions indirectes de l’ensemble de leur chaine de valeur (périmètre ou scope 3 incluant les fournisseurs de l’entreprise).
« Devoir de vigilance, nouveaux indicateurs de durabilité… ces réglementations redessinent profondément le monde des affaires, les entreprises et leur valorisation », analysent Louis de Gaulle et Henri-Nicolas Fleurance, respectivement président et directeur général de De Gaulle Fleurance. « Elles vont conduire les entreprises européennes à revoir leur modèle d’affaires. C’est une évolution à laquelle elles doivent se préparer dès aujourd’hui afin de pouvoir la transformer en opportunité et en avantage compétitif. ».