Dans leur stratégie de développement, toutes les structures d’avocats se sont posées ou se posent la question de leur expansion internationale. Face aux exigences d’accompagnement des clients sur leurs nouveaux marchés et face aux opportunités et aux contraintes de la mondialisation, l’internationalisation n’est pas un luxe mais une obligation.Dans ce dossier spécial, le Monde du Droit a analysé les choix internationaux de quatre cabinets d’avocats. Ces structures ont été sélectionnées pour leur représentativité, chacune ayant opté pour une stratégie différente.
Le cabinet français d'un réseau international intégré
C’est ainsi que pourrait se définir le cabinet Stehlin & Associés dans le cadre de son appartenance à l’Alliance Osborne Clarke (« l’Alliance »). Marc Stehlin dont la vocation internationale a toujours été marquée préside depuis 3 ans l’Alliance qui compte 8 cabinets européens présents dans 15 villes européennes ainsi qu’un bureau commun à l’Alliance à Palo Alto en Californie.
Le cas de l’Alliance Osbourne Clarke est intéressant car il s’agit d’un réseau de cabinets indépendants qui fonctionnent de manière intégrée à la demande de ses clients. Chaque membre de l’Alliance est représenté au Conseil d’Administration du GIE qui regroupe les cabinets de l’Alliance.
Le GIE dispose d’un budget avec lequel des opérations de marketing sont faites au nom de l’Alliance, ce qui a permis de développer des clients qui sont communs à plusieurs cabinets membres de l’Alliance. Les membres ont ainsi adopté pour leurs sites internet et leurs documents de présentation, une charte graphique commune qui donne au GIE une identité propre et forte. L’Alliance dispose elle-même d’un site sur le net et publie chaque année un certain nombre de documents de marketing.
Par ailleurs, lors de chaque opération de marketing réalisée individuellement par un cabinet membre de l’Alliance, celui-ci « vend » les services de chaque cabinet de l'Alliance. Stehlin & Associés a donc choisi un mode opératoire à l’international qui est un véritable projet économique avec les autres membres de l’Alliance.
Pour pallier aux difficultés qui pourraient résulter du nombre limité de ses membres, l’Alliance dispose également d’un réseau de « best friends » dans une quinzaine de juridictions.
« L’Alliance permet à chacun de ses membres de traiter tout dossier ayant une composante transnationale comme s’il faisait partie d’un cabinet intégré avec des bureaux des diverses juridictions », nous dit Marc Stehlin.
Marc Stehlin qui est également Avocat au Barreau de New York, a toujours cultivé des relations importantes avec des entreprises nord-américaines ayant des activités en Europe. Pour ces clients et pour d’autres (la moitié des clients du cabinet est composée d’entreprises étrangères), il devait impérativement disposer d’une capacité d’intervention internationale et parvenir à s’aligner sur les services offerts par les grandes structures internationales : le choix du réseau intégré de l’Alliance Osborne Clarke lui permet d’atteindre cet objectif.
Un réseau souple pour une présence mondiale
C’est le choix de Bernet Castagnet Wantz & Associés, cabinet fondé en 2003 par Jacques Wantz, ancien associé de Shearman Sterling, Laurent BERNET et Luc CASTAGNET. Le cabinet, bien que de dimension réduite, dispose d’une solide expertise en fusions acquisitions, financement, fiscalité, contentieux, arbitrage et droit international privé. Ainsi BCW & Associés assiste aussi bien de grands comptes sur leurs opérations de taille moyenne que des entreprises en fort développement, dans le cadre de leurs opérations de croissance externe. Le cabinet a aussi fait le choix de mettre l’accent sur des « niches » à fort potentiel, notamment les secteurs des énergies nouvelles, santé et radiodiffusion.
« Nous sommes très souvent sollicités pour les accompagner sur des opérations de complexités diverses ; il peut aussi bien s’agir d’opérations d’acquisitions transfrontalières classiques, nécessitant une parfaite maîtrise d’oeuvre et l’appui de conseils locaux, que de joint ventures ou d’investissements directs à l’étranger », précise Jacques Wantz.
En effet, la grande majorité des clients de BCW sollicitent l’intervention du cabinet pour l’ensemble des opérations liées à leurs projets internationaux. est donc amené à agir en maître d’oeuvre, à la fois sur les aspects de droit français, mais également pour coordonner les opérations d’acquisition ou de restructuration à l’étranger.
Ne disposant pas, à l’instar de grosses structures, de bureaux à l’étranger, BCW ne pouvait développer cette compétence à l’international sans l’appui de conseils intervenant dans chacun des pays concernés. « Chacun des associés disposait de contacts de l’Alliance Osbourne Clarke privilégiés avec des avocats étrangers, mais il nous était vite apparu qu’il était indispensable d’intégrer un véritable réseau de cabinets à l’international afin de faire face à la multiplicité des problèmes soulevés dans le cadre des opérations confiées par nos clients » ajoute encore Jacques Wantz.
C’est dans ce cadre que BCW & Associés a rejoint en 2006 le réseau d’avocats international non exclusif Lawyers Associated Worldwide (LAW) qui regroupe actuellement
près de cent cabinets implantés dans le monde entier, notamment en Asie, en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, en Europe et au Moyen-Orient.
Ce partenariat a permis au cabinet de consolider les relations que certains associés avaient déjà établi avec la plupart des membres du réseau LAW avant l’adhésion, et de développer de véritables synergies dans le cadre d’opérations pour lesquelles BCW & Associés a sollicité l’appui de plusieurs cabinets.
Pour BCW, le réseau LAW présente aussi un autre atout : il permet de confronter régulièrement les pratiques des uns et des autres et de partager les expériences dans le cadre de congrès régionaux et mondiaux ainsi qu’au travers de réunions et d’échanges informels avec les membres du réseau.
Jacques Wantz insiste aussi sur la similarité des profils des membres du réseau choisi : « LAW est constitué de cabinets de taille moyenne, réactifs et performants, travaillant sur des secteurs d’activités comparables aux nôtres, ce qui nous permet de collaborer étroitement, souvent dans l’urgence, sur des opérations complexes. »
La stratégie internationale de BCW & Associés indique que pour un cabinet avec un profil de « boutique-firm » haut de gamme, il était prioritaire de rechercher une solution alliant souplesse et réactivité tout en recherchant une communauté de profil et de culture avec les autres membres du réseau.
Le rapprochement avec une structure internationale pour accompagner sa clientèle dans la globalisation
Sur le marché français, Moquet Borde était depuis longtemps un acteur important. En 2004, le cabinet réalisait 80% de son chiffre d’affaires avec des entreprises cotées sur Euronext. La structure disposait de quatre bureaux : à Paris (50 avocats), à Lyon, à Budapest (30 avocats) et à Tallin (20 avocats). Pourtant, malgré une taille relativement importante et une implantation dans deux autres pays, le cabinet devait évoluer pour conserver sa clientèle et monter avec elle dans le train de la mondialisation.
Dès 2003, Moquet Borde a commencé à prospecter des partenaires potentiels aux Etats-Unis. En 2004, le rapprochement Moquet Borde / Paul Hastings a été concrétisé.
Pour Dominique Borde, il fallait répondre aux nouveaux besoins d’une clientèle avertie du monde dans sa globalité à la fois par sa conquête de nouveaux marchés géographiques et par la composition plus internationale de ses états-majors, « Apporter des solutions économiques et juridiques aux problèmes de développement dans les pays d’implantation de sa clientèle exige une parfaite connaissance locale du droit, des usages, de la pratique et de la culture dans chaque pays ainsi qu’un partage d’expériences » nous dit-il.
Pourquoi avoir choisi Paul Hastings ? Moquet Borde a d’abord décider de privilégier un cabinet américain plutôt que britannique pour répondre aux besoins plus importants des clients sur le sol américain, et suivant l’idée que la globalisation serait ainsi mieux assurée.
En second lieu, Moquet Borde souhaitait se rapprocher d’ un cabinet avantageusement implanté en Asie. En l’occurrence, Paul Hastings exerçait depuis 10 ans en Chine avec 3 bureaux et 160 avocats et au Japon depuis 25 ans avec 30 avocats.
Parmi les autres critères qui étaient importants pour Moquet Borde, il y avait des critères techniques, notamment la volonté de s’allier avec un cabinet compétitif sur les marchés des capitaux. En effet, si Moquet Borde voulait continuer à se mesurer aux cabinets anglais et américains déjà implantés à Paris, dans ce domaine, Dominique Borde et ses associés considéraient que l’expertise des marchés financiers était essentielle.
Venaient ensuite des critères de taille et d’organisation. Au moment du rapprochement, Paul Hastings regroupait 15 bureaux de taille comparable à celle du bureau de Moquet Borde à Paris, hormis Los Angeles et New York plus importants, et fonctionnait sur un modèle proche d’un groupement de cabinets fédérés. Enfin, Moquet Borde a privilégié une law firm disposant d’une taille critique indispensable pour prétendre à une ambition de globalisation.
« Cette nécessité de taille critique est criante pour assumer des frais de structure lourds : le back office (centre de documentation inventoriant les textes publiés de chaque juridiction de chaque pays par exemple) et les investissements technologiques (systèmes d’information avec visio conférence etc...), et une organisation éprouvée facilitant le partage de connaissances et d’expériences entre équipes internationales », résume Dominique Borde...
Paul Hastings, de son côté, recherchait une position forte en Europe continentale pour compléter d’une part le positionnement géographique de son bureau de Londres, d’autre part les compétences de Londres en particulier sur les domaines de l’antitrust, du M&A (capital market et private equity), de la fiscalité et du contentieux transnational (exemple Vivendi). Ce dernier point avait son importance puisque le contentieux représentait 30% du chiffre d’affaires de Moquet Borde.
Selon Dominique Borde, Moquet Borde a beaucoup gagné dans ce rapprochement.
D’abord, le cabinet bénéficie maintenant d’un accès immédiat à toute zone géographique du globe grâce à un back office parfaitement structuré et des investissements technologiques dernier cri. Deuxièmement, le cabinet s’est enrichi par un important un apport de connaissances et un partage d’expériences. Dominique Borde illustre le deuxième point avec notamment les questions de gouvernance d’entreprise apparues tôt aux US, et la connaissance des fonds d’investissement, phénomène d’origine américaine que connaissait très bien Paul Hastings aux USA. En revanche,
Dominique Borde reconnaît que Moquet Borde a perdu une certaine singularité qui pouvait se manifester par une flexibilité plus grande sur le choix des travaux ou dossiers pris en charge par le cabinet. En effet, le centre de décision est à présent partagé et les usages et pratiques locaux s’accommodent parfois difficilement des règles globales de fonctionnement de la law firm, dont chacun reconnaît néanmoins la nécessité.
« L’ex-Moquet Borde » va continuer de profité de la dynamique internationale mise en place par Paul Hastings puisque le cabinet vient de se marier avec le cabinet indépendant allemand Smeets Haas Wolff basé à Francfort.
Une stratégie résolument européenne
Nous avons décidé de clore ce dossier avec le cabinet Field Fischer Waterhouse, dont le bureau parisien, récemment ouvert comprend déjà une vingtaine d’avocats, dont 7 anciens associés du cabinet Dubarry : Stéphane Bénézant, Louis-Bernard Buchman, Mario Celaya, Valérie Dubaile, Bruno Ducoulombier, Rémi Kleiman et Philippe Netto.
Ce cabinet a opté pour une stratégie de développement résolument européenne et se présente dans toute sa communication comme un « cabinet européen ». Celui-ci compte près de 350 avocats et 300 salariés répartis entre l’Angleterre, l’Allemagne, la Belgique et maintenant la France. Field Fischer Waterhouse entretient également une relation d’exclusivité avec des cabinets associés en Espagne et en Italie.
Field Fischer Waterhouse a fait le choix de se positionner comme un cabinet de droit des affaires full service qui s’est développé sur de solides pratiques locales avec une intégration fonctionnelle des équipes et de l’organisation.
Pour refléter sa volonté de créer un cabinet européen, le Managing Partner du bureau belge est un français, celui du bureau parisien est espagnol, et c’est une associée écossaise qui dirige le bureau à Londres.
Souhaitant se démarquer des importantes structures anglaises ou américaines, Mario Celaya, managing partner du bureau parisien explique : « Nous sommes désormais en mesure d’offrir l’organisation et l’efficacité habituelle des cabinets d’outre-manche ou américains, tout en préservant une relation personnalisée avec nos clients qui restent sensibles à cette approche et non seulement à la qualité des prestations et aux conditions financières ».
Il ajoute : « L’appartenance à un seul et même cabinet européen donne à tous ses membres l’envie de travailler en commun pour le succès collectif : partage des connaissances,
développement des clientèles nationales existantes et nouvelles, mise en place d’équipes transnationales sur les dossiers, ... L’expérience montre que ces objectifs ne peuvent habituellement pas être atteints au sein des réseaux de cabinets quels qu’ils soient ».
Si les options pour réussir à l’international sont nombreuses, chacune des structures que nous avons interrogées avait mûrement réfléchi sa stratégie de développement international. Les décisions prises dans ce domaine sont lourdes de conséquences et doivent avant tout être compatibles avec l’identité et la culture des associés. Dans ce domaine, s’il vaut mieux privilégier le mariage de raison au coup de foudre, l’affectif n’est jamais très loin.