Alors qu'il vient d'annoncer son départ de l'EFB à l'occasion de la rentrée solennelle de l'EFB de la Promotion 2021/2022, Pierre Berlioz en explique les raisons et fait le bilan de ses trois ans en tant que Directeur de l'EFB.
Pourquoi quittez-vous la direction de l'EFB ?
J’ai remis ma démission au président de l’EFB car je ne me sentais plus en phase avec l’environnement institutionnel proche de l’école ni avec la direction dans laquelle la formation de la profession tend à s’orienter, progressivement mais, je le crains, inéluctablement.
J’ai en effet acquis peu à peu le sentiment qu’au-delà des nombreuses déclarations et pétitions de principe en la matière, la formation était en réalité un sujet d’intérêt mineur, sinon même marginal, de la profession et notamment d’une partie importante de ses instances, comme d’ailleurs des pouvoirs publics actuels.
Certes, la question de l’EFB agite souvent les campagnes électorales. Mais, passées les grandes déclarations des professions de foi, souvent d’ailleurs en décalage profond avec la réalité, du terrain comme des textes, dès lors qu’il s’agit de porter un projet concret et précis, la détermination s’émousse et le statu quo l’emporte.
Plus inquiétant encore, on sent à l’œuvre des mouvements de déconstruction de l’édifice de la formation, pour divers motifs, allant de son coût pour la profession à la volonté de permettre à tous les étudiants manifestant le souhait de devenir avocat de le faire au plus vite, en passant par l’idée qu’après la formation universitaire, sanctionnée par l’examen d’entrée à un CRFPA, seul le stage est véritablement utile à l’entrée dans la profession.
Si l’universitaire que je suis ne peut bien sûr que considérer que la formation dispensée à l’université est de qualité, elle n’est pas suffisante pour l’exercice de la profession d’avocat. Une formation complémentaire est nécessaire pour acquérir les compétences propres à la pratique de cette profession. Et le stage ne suffit pas à lui seul à le permettre.
D’abord, le stage n’apprend pas la déontologie. Ensuite, aussi riche soit-il, un stage ne permet pas d’appréhender toutes les dimensions de l’exercice de la profession, dans la mesure où il ne consiste qu’en un nombre limité d’expériences ponctuelles sur des travaux spécifiques. La vision plus globale et la prise de hauteur qu’apporte un enseignement, déduisant d’expériences diverses et multiples des lignes directrices susceptibles de servir de guide dans les différentes situations qu’un avocat peut rencontrer dans sa vie professionnelle, est donc nécessaire. Enfin, aucun stage n’étant pareil à un autre, il est impossible d’assurer par ce seul moyen une acquisition de compétences similaire pour tous les élèves. Une formation commune de base est donc indispensable.
Pour autant, prétendre faire de l'EFB une grande école, comme cela a pu être l'objectif affiché dans une période récente, non seulement ne correspond pas à la mission que lui confèrent les textes, mais en outre la conduit à coup sûr dans l'impasse, compte tenu de l’organisation de la formation des avocats et des moyens qui peuvent être les siens.
Une école d’avocat est, plus simplement, un centre de formation professionnelle. Comme je l’ai indiqué lors de ma première rentrée, en 2018 : « L’EFB n’est pas une école de droit, c’est l’école du métier de l’avocat ».Plus modeste, l’objectif n'en est pas moins éminent : former des avocats aptes à exercer dans le monde d’aujourd’hui et dans celui de demain.
Et il exige une grande rigueur et un investissement important, tant dans la conception que dans la mise en œuvre de la formation, aussi bien initiale que continue. Or, je ne perçois pas cette volonté aujourd’hui, mais plutôt une tendance inverse, comme une forme de fuite en avant, conduisant à se contenter de laisser flotter le navire entre deux eaux plutôt que de vraiment le faire naviguer. Ne souhaitant pas conduire l’école dans une direction que je n’approuve pas, j’ai donc décidé de partir.
Quel bilan dressez-vous de vos 3 ans à la tête de l'école ?
Ces 3 années ont été particulièrement riches, tant il y avait du travail à faire pour mettre l’EFB sur de bons rails, compte tenu de la situation qui était la sienne. Et je crois sincèrement que l’objectif a été rempli.
Fin 2017, selon les propos mêmes du président du conseil d’administration de l’époque, la situation de l’EFB était critique, en raison principalement de l’état de ses finances. Son organisation était fragile, et son image était plus que dégradée. Les enjeux étaient donc de redresser ses finances, de renforcer son organisation, d’entretenir des relations saines avec les instances de la profession et d’améliorer son image.
Dans Le Monde du 8 février 2017, Frédéric Sicard déclarait : « J’évalue à 2,5 millions d’euros le déficit prévisionnel de l’école du barreau de Paris. J’ai même demandé à la Cour des comptes de venir pour faire un état des lieux ».Grâce à une gestion maîtrisée des dépenses et à une amélioration de la collecte et de la production des recettes, les exercices 2018, 2019 et 2020 ont finalement affiché un résultat largement positif, permettant même une politique budgétaire inédite pour l’EFB : la constitution de réserves pour investissement.
La même rigueur a été appliquée au fonctionnement de l’école : une structuration des processus internes, associée à la mise en place de différents outils collaboratifs, a permis un travail plus efficace, qui a porté ses fruits en mars-avril lors du confinement : un remarquable travail collaboratif des salariés de l’école a permis à l’EFB de s’adapter très rapidement à la situation pour assurer la continuité de son activité, notamment en basculant les cours et les formations à distance dans des délais très brefs.
Par ailleurs, une nouvelle relation a été nouée avec le CNB, reposant sur une collaboration étroite, qui a permis à l’EFB de faire valoir ses spécificités tout en assurant l’harmonisation voulue par le Conseil national.
Les liens avec les différents barreaux du ressort, qui s’étaient très largement distendus, ont également été renoués, avec notamment pour traduction concrète la mise en place d’un programme inédit de formation continue : les journées des barreaux.
Et une évolution des relations avec l’ordre des avocats au barreau de Paris a été engagée pour placer l’EFB dans une position, plus conforme à son statut, de partenaire et non de simple exécutant pour la conception et la mise en place d’opérations de formation. L’EFB souffre en effet d’une spécificité, qui la met dans une situation malheureuse : être présidée par le bâtonnier de Paris en exercice.
Cela crée d’une part un malentendu, renforcé par la croyance erronée que le barreau de Paris finance directement l’EFB. Ce n’est pas le barreau de Paris qui est la tutelle de l’école, mais le CNB, qui assure aussi son financement, en lui redistribuant une partie des cotisations que lui versent l’ensemble des ordres. Et cette présidence crée d’autre part une confusion entre les intérêts du barreau de Paris et ceux de l’école, le plus souvent au détriment de celle-ci.
J’ai tenté de convaincre que le bâtonnier de Paris, ne pouvant représenter que le barreau de Paris, compte tenu de l’importance de celui-ci, ne devrait pas être président de l’EFB. Je n’y suis malheureusement pas parvenu. Mais j’ai néanmoins réussi à mettre une certaine distance avec l’ordre, pour permettre à l’école de disposer d’une certaine autonomie, dont elle a impérativement besoin.
Enfin, et peut-être surtout, grâce au travail accompli tant en formation initiale qu’en formation continue, le discours relatif à l’école, qui confinait à un véritable EFB bashing, a changé. Cela s’est d’ailleurs traduit dans la campagne électorale. Il n’est plus question aujourd’hui de refaire l’EFB, voire de la révolutionner, mais de conforter et de prolonger le travail accompli pour améliorer encore la formation.
En matière de formation initiale, outre la refonte du programme pédagogique effectuée pour être en adéquation avec le programme élaboré par le CNB, de nombreuses actions ont été accomplies. J’en citerai particulièrement trois.
D’abord, l’année 2018 a vu la mise en place du Lab et du parcours talent & innovation. Le premier permet à l’ensemble des élèves, répartis en groupes de 6 (soit plus de 300 groupes), d’être sensibilisés aux enjeux liés aux mutations de la profession et initiés aux technologies et méthodes de la legaltech en travaillant à la conception d’un projet présenté à la fin du semestre devant un jury composé d’avocats et spécialistes de la legaltech. Le second offre à des élèves sélectionnés la possibilité d’approfondir ces thématiques et de travailler de manière plus développée sur un projet concret. Le Lab a été un succès, aussi bien auprès des élèves que de la profession et des médias, comme en témoigne la sélection de plusieurs projets dans différents concours et la mise en valeur de certains projets dans la presse.
Ensuite, un processus de structuration de l’activité pédagogique a été entrepris. Il est en effet inconcevable que l’EFB ne dispose pas, à la différence des autres écoles professionnelles du droit, d’une véritable direction de la pédagogie ayant les ressources, notamment humaines, nécessaires pour encadrer l’activité de ses intervenants et ainsi assurer la cohérence et la qualité des enseignements et le suivi des stages.
Dans cette perspective, un travail budgétaire a été engagé afin de dégager des moyens pour la conception des supports de cours et dossiers de foisonnement et d’examens et le recrutement de doctorants, post-doctorants ou jeunes avocats pour assister la direction de la pédagogie, les responsables pédagogiques et les concepteurs de ces supports et dossiers. En outre, un responsable de l’animation des équipes pédagogiques et une responsable du suivi pédagogique et de l’insertion professionnelle des élèves ont été nommés.
Enfin, pour fournir aux élèves un service plus étoffé durant ces périodes de leur formation, et développer davantage les liens entre les enseignements d’une part et les stages et PPI d’autre part, un dispositif d’enseignants référents est mis en place. A compter de la rentrée 2021, chaque élève avocat aura un enseignant référent, responsable du suivi pédagogique de son PPI et de son stage, et qui pourra le conseiller sur son projet professionnel.
En matière de formation continue, le travail à accomplir était aussi très important. En effet, alors que cette mission est la seconde que lui confie la loi, et qu’elle est nécessaire à son équilibre financier, l’EFB n’était pas vraiment identifiée comme un acteur dans ce domaine. La formation continue représentait donc un axe stratégique essentiel.
Elle a été organisée autour de deux types de formations : les conférences d’une part, d’une durée de 2h, principalement dédiées à la formation de base et à l’actualité dans les différents domaines du droit et de l’exercice professionnel, les ateliers d’autre part, d’une durée de 4h, en petit groupe, pour un travail d’approfondissement faisant appel à une participation active des apprenants.
Plusieurs évènements emblématiques ont été mis en place dans ce cadre. J’en citerai essentiellement trois.
D’abord, l’année 2020 a vu la mise en place des journées des barreaux, soit 15 formations sur deux jours et à laquelle plus de 1700 avocats issus de la plupart des barreaux du ressort ont assisté. Organisées en partenariat avec plusieurs ordres du ressort (Meaux, Evry, Sens et Créteil), ces journées concrétisent la volonté de l’EFB de se tourner davantage vers les différents barreaux du ressort, pour leur offrir des formations adaptées, après avoir recueilli auprès d’eux l’expression de leurs besoins. Compte tenu de leur succès, ces journées seront renouvelées en 2021, sur un rythme semestriel.
Ensuite, des cycles de la régulation ont été organisés en partenariat avec le cercle Montesquieu et quatre régulateurs, l’AFA, l’Autorité de la concurrence, l’Hadopi et la CNIL. Constitués de 4 à 6 modules, chacun de ceux-ci animés conjointement par un avocat, un directeur juridique et un membre de l’une de ces autorités, ils offrent une formation de haut niveau dans les principaux domaines de la conformité à un public composé d’avocats et de juristes d’entreprise.
Enfin, une formation a été coconstruite avec l’ENM et l’AFJE : MAJ. Constituée de 3 cycles de 3 modules chacun, consacrés à la négociation, à l’enquête et à la RSE, cette formation est animée conjointement par un magistrat, un avocat et un juriste d’entreprises, et s’adresse à un public composé de ces trois professions.
Ces différents partenariats ont permis d’ouvrir l’école et de l’inscrire comme un acteur important de la formation dans le monde du droit, en démontrant sa capacité à innover et même à être précurseur. C’est une chose dont je suis particulièrement fier.
Quelle est la mesure dont vous êtes le plus fier ?
La mesure dont je suis le plus fier n’est pas la plus visible de l’extérieur, mais c’est celle qui compte le plus à mes yeux : avoir insufflé un esprit d’équipe, autour d’un projet d’entreprise, partagé par l’ensemble des salariés.
Cette adhésion et ce dynamisme collectif se sont notamment manifestés lors du confinement, au cours duquel j’ai pu voir une cohésion, une solidarité et une motivation sans faille des équipes, pour faire en sorte que les cours puissent être assurés à distance dans les plus brefs délais, accompagner les intervenants dans la prise en main des nouveaux outils de formation, et sécuriser autant que possible les stages des élèves.
Lorsque, comme moi, on est passionné de voile et que l’on est admiratif de ces marins, tels qu’Éric Tabarly, Loïc Peyron ou Franck Cammas, qui savent fédérer un équipage et l’entraîner derrière eux par toutes les mers du globe et jusqu’au plus fort de la tempête, c’est une immense satisfaction d’avoir obtenu cela.
Et je dois vous avouer que j’ai ressenti un profond serrement de cœur face à l’émotion manifestée par mes plus proches collaborateurs lorsque je leur ai annoncé mon départ. C’était un moment très fort.
Que souhaitez-vous à votre successeur ?
Je lui souhaite évidemment de réussir dans sa tâche, en parvenant à hisser encore le niveau de qualité des formations dispensées à l’école et à développer l’activité de formation continue. Je suis sincèrement convaincu qu’il dispose d’un très bel outil à cette fin, grâce à des équipes dont je tiens à redire le dévouement, l’implication et le sérieux. Il lui faudra toutefois pour cela, comme je l’ai indiqué, parvenir à structurer encore davantage la partie pédagogique, qui est la principale faiblesse de l’école.
Je lui souhaite à cet égard de rencontrer moins de résistance que j’en ai connu. Il règne encore un esprit trop individualiste dans la profession d’avocat, qui constitue un obstacle important à un véritable travail collectif, pourtant indispensable pour assurer la cohérence et la qualité de la formation. Le recours à des compétences extérieures, pédagogiques avec des doctorants ou post-doctorants, techniques avec des spécialistes du numérique, du management ou de la communication par exemple, se heurte aussi trop souvent à des oppositions, au motif que seuls les avocats ont la compétence pour concevoir et mettre en œuvre la formation des avocats et que les avocats pourraient tout assumer, alors que ce n’est évidemment pas le cas et qu’une plus grande force réside dans l’alliance des compétences.
Je lui souhaite également de parvenir à infléchir les projets de réforme qui ont été récemment présentés, car je suis convaincu qu’ils ne vont pas dans le bon sens. Il en va même, selon moi, de la survie des écoles d’avocat. Les exigences à l’entrée doivent être relevées et mieux adaptées. La répartition des élèves entre les écoles doit être améliorée, afin qu’une école n’ait pas un effectif supérieur à celle de toutes les autres réunies. Ces conditions sont indispensables pour que toutes les écoles, y compris l’EFB, puissent n’assurer que des cours en petits groupes. Quant à la formation, elle doit être conçue de pair et en cohérence avec la formation universitaire et la formation continue, afin d’offrir à chacun un parcours de formation permettant d’acquérir les compétences nécessaires au moment opportun. Cela suppose donc au préalable d’établir un référentiel des compétences sur la base duquel le programme pourrait être conçu, en lien avec un recensement régulier des besoins de la profession.
Je lui souhaite encore de parvenir à installer définitivement l’EFB dans la position qui devrait être la sienne, de pivot de la formation continue, pour l’ensemble des barreaux du ressort. Il ne s’agit pas bien sûr pour l’école d’assurer toutes les actions de formation continue de la profession dans le ressort, mais de jouer le rôle de pilote et de coordinateur de ces actions, afin que soit mise en place une politique de formation complète et cohérente, au service de l’ensemble des avocats du ressort. Ce ne serait finalement qu’assurer l’exacte application de la loi de 1971.
Je lui souhaite enfin de continuer à travailler avec autant de partenaires enthousiastes et compétents que j’ai eu le bonheur d’en rencontrer sur ma route. Au-delà de la satisfaction personnelle que cela apporte, cette inscription de l’école dans l’ensemble de l’écosystème du droit, et l’ouverture que cela lui apporte, lui est indispensable pour assumer pleinement sa mission.
Quel est votre prochain challenge ?
Je vous donne rendez-vous très bientôt pour le savoir…
Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)