Omnibus : Bruxelles allège les charges administratives pour les grandes entreprises

Décryptages
Outils
TAILLE DU TEXTE

Attendue depuis plusieurs mois par toutes ses parties prenantes, la teneur du projet législatif Omnibus, a été dévoilée par la Commission européenne ce mercredi 26 février.  Le plan, présenté comme un allègement bureaucratique sans précédent, promet 6,3 milliards d’euros d’économies en mettant un coup de frein à plusieurs règlementations sur la durabilité telles : la CSRD, le devoir de vigilance (CS3D), la taxonomie de l’UE et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM).

Sur le papier, le paquet législatif Omibus, présenté par la Commission européenne, est ambitieux dans la mesure où il vise à réduire les charges administratives des entreprises tout en mobilisant des investissements massifs pour la transition verte. Cependant, si les promesses de simplification – 6,3 milliards d’euros d’économies annuelles et 50 milliards d’investissements supplémentaires – séduisent à première vue, une analyse critique révèle des arbitrages préoccupants entre compétitivité économique et rigueur environnementale.

Un coup de frein au reporting en durabilité

Parmi les annonces majeures, la Commission prévoit de réduire drastiquement les obligations de reporting environnemental. Environ 80 % des entreprises (principalement les PME et ETI) seront exemptées de la directive sur le reporting de durabilité (CSRD), limitant les exigences aux plus grandes structures. Cette hiérarchisation répond aux plaintes récurrentes sur la complexité des normes ESG, particulièrement handicapantes pour les petites structures.

Cependant, cette exclusion massive pose un problème systémique : les PME représentent 99 % des entreprises européennes et opèrent souvent comme sous-traitants dans les chaînes de valeur des grands groupes. Leur exemption crée un angle mort dans le suivi des impacts environnementaux et sociaux, compromettant l’exhaustivité des données nécessaires à la transition réclamée par tous. Par ailleurs, le report de deux ans des obligations pour les entreprises restant dans le périmètre (2028 au lieu de 2026) retarde l’accès à des informations cruciales pour orienter les politiques climatiques.

De même, les règles de taxonomie verte seront allégées, réduisant de 70 % les exigences de reporting. Si la mesure est censée réduire la charge des PME, elle laisse surtout craindre un manque de clarté sur l’engagement réel des entreprises envers la transition écologique.

Moins de devoir de vigilance, plus de risques ?

Autre décision de simplification : la réforme du devoir de vigilance des entreprises sur leur chaîne d’approvisionnement. La fréquence des contrôles est revue à la baisse, passant d’une évaluation annuelle à une tous les cinq ans et les informations exigées des PME seront limitées.

Ce volet révisé de la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD) illustre une tension croissante entre impératifs économiques et éthique des affaires. La Commission vante une simplification des obligations de cartographie des chaînes d’approvisionnement et une réduction de la fréquence des audits de cinq ans. Si ces mesures réduisent effectivement les coûts de conformité, elles introduisent un aléa moral significatif.

En limitant les évaluations systématiques à un cycle quinquennal – avec des contrôles ponctuels –, le dispositif suppose une stabilité des pratiques des fournisseurs qui contraste avec la volatilité des marchés mondiaux. En supprimant certaines exigences de responsabilité civile, l’UE prend le risque de réduire les recours possibles pour les victimes d’abus environnementaux et sociaux commis par les entreprises européennes à l’étranger. Le renvoi des conditions de responsabilité civile aux législations nationales, aggrave ce risque en créant un patchwork juridique propice au forum shopping.

Le CBAM édulcoré, un cadeau aux importateurs ?

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (CBAM), censé éviter que les importations à forte empreinte carbone ne concurrencent injustement les entreprises européennes, sera fortement allégé. 90 % des importateurs, en majorité des PME, seront exemptés, ce qui pourrait affaiblir l’efficacité du dispositif. Si la Commission assure que 99 % des émissions seront toujours couvertes, la mesure pourrait ouvrir des brèches pour contourner les règles.

Un vote attendu, mais des interrogations en suspens

Ces propositions doivent encore être adoptées par le Parlement et le Conseil européen. Si la Commission vante un « choc de simplification », les ONG et les défenseurs du climat y voient surtout une régression en matière de responsabilité des entreprises et de transparence. En voulant alléger la bureaucratie, Bruxelles ne prend-elle pas le risque de sacrifier ses ambitions environnementales ?

Comme le résume Stéphane Séjourné, Vice-président exécutif de la Commission européenne, en charge de la stratégie industrielle et de la prospérité, il s’agit de « changer les méthodes sans altérer les objectifs ». Reste à savoir si cet équilibre précaire résistera à la pression des lobbies industriels et à l’inertie des transformations structurelles. La crédibilité du Pacte vert se jouera désormais dans sa capacité à concilier compétitivité et redevabilité – sans sacrifier la seconde sur l’autel de la première.

Samorya Wilson