Direction juridique : rouage clé de la transition vers la durabilité

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La transition vers la durabilité est un enjeu majeur pour toutes les entreprises. Ce mouvement global impacte toutes les fonctions de l'entreprise et toute la chaîne de valeur de ses produits et services, nécessitant une intégration holistique de ces principes. La Direction juridique est au carrefour de ces nouvelles contraintes mais il y a parfois un décalage entre ces nouvelles priorités et la réalité quotidienne. 

1. Rôle central de la fonction juridique sur les enjeux de durabilité

À titre introductif, il est opportun de préciser que de nombreuses terminologies au cours de ces dernières années ont émergé : RSE, assez connoté « marketing », ESG, plutôt connoté « réglementaire » et sustainability (traduit en français, durabilité) qui semble englober le sujet au sens le plus large. Au cours de cet article, il sera employé de manière équivalente ces différentes terminologies.

Initialement développé comme un droit souple dont l'entreprise pouvait ou non se saisir, les initiatives et incitations en matière de RSE se muent à présent en obligations qui couvrent un vaste champ de sujets et de thématiques propres à l’entreprise passant par le droit social, le droit de l’environnement et de l’énergie, jusqu’à la gouvernance juridique et fiscale.

Loi Pacte et loi sur le devoir de vigilance qui renforcent l’implication des entreprises en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement, directive CSRD qui oblige les entreprises à rendre compte de l'impact environnemental et durable de leurs activités commerciales, ainsi que de leurs initiatives ESG, Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR) qui vise à faire de même en normalisant le reporting des indicateurs ESG dans les services financiers, illustrent cette multiplication des règlementations qui créent une pression de plus en plus forte sur toutes les fonctions dirigeantes et opérationnelles /fonctionnelles des entreprises.

La direction juridique, qui joue déjà un rôle central dans la gestion des contentieux, la limitation des risques et la gestion des contrats, est également en prise directe avec ces nouvelles exigences légales, environnementales et sociétales de plus en plus complexes et qu’il s’agit parfois de conjuguer entre elles pour identifier le cadre applicable.

Dans ce contexte, les enjeux de sustainability ne remplacent pas les autres missions de la direction juridique qui restent tout autant stratégiques mais bouleversent l’agenda du juriste en s’ajoutant à un champ d’action qui s’élargit progressivement et impliquent une articulation encore plus fluide avec les autres compétences de l’entreprise pour :

  • Veiller à la sécurité juridique des projets et opérations, à la protection des actifs et des dirigeants de l’entreprise ;
  • Former les parties prenantes (administrateurs, acheteurs, …) à ces nouvelles règlementations ;
  • Participer à la mise en place des processus de contrôle spécifique aux exigences liées au développement durable et à l’identification des actions à effectuer sur l’ensemble de la chaîne de valeur ;
  • S’assurer de la bonne mise en place des dispositifs de durabilité tout en veillant au respect des règlementations sectorielles applicables à l’entreprise et son secteur ;
  • Anticiper et prévenir les risques et instruire les dossiers contentieux (Greenwashing, conformité des produits, compliance et devoir de vigilance, atteinte à l’environnement, etc.).

2. Un besoin urgent d’ajuster l’organisation de sa fonction juridique

Si la fonction juridique joue un rôle clé au sein du dispositif vers la durabilité, il ressort de notre étude « General counsel sustainability study » de 2022, basée sur un échantillon de 1000 Directeurs juridiques, que ces derniers sont encore relativement peu impliqués au quotidien sur les enjeux stratégiques liées aux programmes sustainability.

directionjuridique durabilite

Il est possible de l’expliquer par plusieurs raisons : le caractère multidisciplinaire (il n’y a pas un droit mais des droits du développement durable), la dimension réglementaire, voire normative du sujet et surtout la difficulté des juristes à trouver le temps d’absorber tous ces nouveaux sujets pour trouver leur place dans cet écosystème. Pendant que certains pourraient être tentés de n’intégrer qu’à la marge le sujet sustainability, les autres Directions (finance, compliance... et bien sûr RSE) n’attendent pas pour s’en emparer... Et pour cause, la sustainability, en tant que transformation majeure dans le modèle d’affaire des entreprises, représente une zone d’influence importante. Pourtant, si la Direction juridique souhaite garantir un haut niveau de sécurité juridique, elle doit être associée systématiquement à ces décisions et projets stratégiques.  

Face à ce changement majeur dans les organisations, la Direction Juridique doit donc repenser son fonctionnement, à la fois pour élargir son périmètre de couverture des sujets traités mais aussi pour servir de passerelle entre les Directions en structurant les process adéquats.

Alors à quoi pourrait ressembler la Direction Juridique Durable ? Il est possible de l’imaginer comme une vigie, intégrée dans (et entre) les différents processus métiers.

Afin de construire son nouveau modèle cible, la Direction juridique peut agir sur plusieurs leviers, notamment :

  • Les ressources tout d’abord, en structurant un nouveau pôle d’expertise, en investissant sur des « champions » pour piloter les sujets en mode projet ou encore en détachant des experts dans d’autres équipes, en fonction de l’organisation existante et du modèle cible recherché. L’objectif étant d’intégrer systématiquement la dimension sustainability dans les processus juridiques et dans les processus métiers, en aidant les opérationnels à formaliser les nouveaux process de contrôle des risques juridiques associés à la dimension ESG dans les différents projets, notamment la mise en place de mesures préventives et détectives, sur l’ensemble de la chaîne de valeur. Cela peut impliquer aussi d’améliorer la coordination inter-fonctions, notamment avec la finance, le marketing, la RSE ou même la compliance en mettant en place des plateformes de transmission rapide de l’information et de pilotage.
  • Les technologies, qui permettent à la Direction juridique à la fois de collecter des données structurées pour alimenter des rapports ESG (notamment sur les litiges ou la gouvernance) mais aussi de détecter les risques éventuels sur les contrats (absence ou présence de clauses clef). Il peut aussi être envisageable de connecter les workflows contractuels avec les outils d’audits ou compliance.

3. Conclusion

L’intégration de l’enjeu sustainability est un changement majeur dans « l’organisation profonde » des Directions juridiques. Il ne s’agit pas simplement d’une réorganisation « macro », décidée en haut lieu par le top management mais aussi d’une évolution quant au contenu des activités des juristes. Ce sujet est à la jonction du droit, de la stratégie et des convictions personnelles de chacun. L’accompagnement au changement des juristes doit être plus que jamais au cœur du dispositif. Ainsi, une première action peut être de travailler sur la prise en conscience des enjeux de durabilité, la sensibilisation des collaborateurs et la définition d’axes prioritaires de réflexion.

Arthur Sauzé, Head of Legal Operations consulting, EY Société d’avocats et Sabrina Marchal-Beaufeist, Senior-Manager droit public, EY Société d’avocats


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