Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, Noëlle Lenoir Avocats commente le recours de l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour Internationale de Justice.
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé à la Cour Internationale de Justice (CIJ) au titre de la Convention de 1948 sur la prévention et la répression du génocide une demande en indication de « mesures conservatoires », principalement pour obtenir la « suspension des opérations militaires [de Tsahal] à et contre Gaza » ; et ce, sans conditions.
La démarche est choquante, mais elle est aussi habile. Elle est choquante, car c’est la victime du pogrom du 7 octobre qui se trouve désormais au banc des accusés. Elle est habile car la Convention sur le génocide offre des facilités de procédure sans pareil.
- D’abord, tous les Etats contractants peuvent l’invoquer à l’encontre de n’importe quel autre État contractant. Il suffit, selon l’article 9, qu’il existe entre les deux Etats « un différend » sur l’interprétation juridique, l’application ou l’exécution de ladite Convention (ordonnance du 23 janvier 2020 dans l’affaire Gambie c/Myanmar).
- Ensuite, la Cour peut ordonner, sur la base de l’article 41 de son statut, des mesures conservatoires en urgence sans aborder le fond, i.e. sans preuve d’un génocide, pour peu que les droits invoqués soient « plausibles » et que le risque encouru par les titulaires de ces droits soit « irréparable ».
C’est sur ce dernier point que le bât blesse. En premier lieu, les droits invoqués par l’Afrique du Sud au nom des Palestiniens ne sont pas « plausibles » pour la bonne raison qu’Israël ne vise pas les Palestiniens comme « groupe national, ethnique, racial ou religieux » au sens de l’article 2 de la Convention. Son but est d’éradiquer une organisation reconnue comme terroriste par trente États et l’Union européenne (arrêt du 23 novembre 2021 de la CJUE rendu sur recours du Hamas). D’ailleurs, l’Union européenne vient à ce titre mardi 16 janvier 2024 de geler les avoirs du chef du Hamas à Gazan Yahia Sinwar. Quelques déclarations intempestives de politiciens israéliens d’extrême droite « encourageant la population palestinienne à émigrer » pour que soit assurée la sécurité des Israéliens, ne constituent nullement une tentative de génocide comme l’Afrique du Sud essaie en toute mauvaise foi de le faire accroire. Si vouloir démanteler une organisation terroriste était constitutive d’un génocide, c’est la France qu’il faudrait attraire devant la CIJ du fait des opérations Serval et Barkhane au Sahel. Ce sont les vingt pays – dont la France – parties à la coalition internationale contre les Houtis en mer Rouge qu’il faudrait poursuivre devant la CIJ pour qu’elle prononce à titre conservatoire la suspension des opérations.
La deuxième faille du recours de l’Afrique du Sud est que quiconque serait bien en peine de trouver un indice d’intention génocidaire chez les Israéliens, contrairement au Hamas dont la Charte fait du meurtre des Juifs une « obligation religieuse individuelle ». Comme l’a jugé la CIJ en 2015 dans l’affaire Croatie c/ Serbie, le génocide implique une « intention spécifique » et, dit la Cour, « pour déduire l’existence du dolus specialis d’une ligne de conduite, il faut et il suffit que cette conclusion soit la seule qui puisse raisonnablement se déduire des actes en cause » (voir aussi la déclaration d’intervention conjointe devant la CIJ d’un certain nombre d’États dont la France, en application de l’article 63 de la Cour, dans l’affaire Gambie c/Mynamar précitée). En outre, comme l’a rappelé la décision Procureur c/ Krstic de 2004 du Tribunal de l’Ex-Yougoslavie, cette intention « ne dépend pas du nombre de personnes tuées » (qui serait au demeurant à Gaza infiniment moindre si le Hamas ne se servait pas des civils comme bouclier humain).
Rien ne permet d’anticiper l’ordonnance que rendra prochainement la CIJ, même s’il apparaît, d’un point de vue juridique, que le raisonnement de l’Afrique du Sud ne satisfait pas aux critères de la jurisprudence de la Cour sur le génocide.
Noëlle Lenoir, avocate à la Cour, Noëlle Lenoir Avocats.