Dan Roskis, avocat associé, et Antoine Rauwel, avocat collaborateur au sein du cabinet Eversheds Sutherland (France) LLP, reviennent sur le renforcement de la publicité des mesures d’injonction de la DGCCRF.
La loi nº 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat et le décret nº 2022-1701 du 29 décembre 2022 sont venus renforcer le dispositif du « name and shame » en France, en permettant la publication des mesures d’injonction de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF) en cas de manquement aux dispositions du droit de la concurrence et de la consommation, dans le cadre de ses missions.
Pour rappel, une mesure d’injonction consiste pour l’administration d’enjoindre au professionnel d’adopter, dans un délai défini, les mesures correctives nécessaires afin de se mettre en conformité avec la réglementation en vigueur.
Régime antérieur
Avant l’entrée en vigueur de la loi nº 2022-1158, la DGCCRF disposait déjà de la faculté de recourir à la publication de l’identité des entreprises sanctionnées (« name and shame ») lorsqu’elle imposait une sanction à certaines règles en matière de concurrence et de consommation.
En effet, la DGCCRF était habilitée à publier les décisions imposant le paiement d’une amende administrative en cas de :
- manquement au titre IV du live IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et/ou d'inexécution de certaines mesures d'injonction (art. L. 470-2 du code de commerce);
- manquement aux dispositions du code de la consommation et/ou d'inexécution des mesures d'injonction relatives à des manquements constatés (art. L. 522-1 et L. 522-6 du code de la consommation) ; et
- non-respect des délais de paiement entre professionnels, étant précisé qu’une telle publicité est obligatoire (art. L. 470-2 du code de commerce).
Par ailleurs, en matière de protection des consommateurs, l’administration avait déjà la possibilité de publier les injonctions faites aux professionnels sans attendre la décision de sanction administrative pour faire « cesser tout agissement illicite ou supprimer toute clause illicite ou interdite » (rédaction antérieure de l’art. L. 521-2 du code de la consommation).
De son côté, l’Autorité de la concurrence a la faculté d’ordonner la publication de ses décisions de sanction pécuniaire en cas de commission de pratiques anticoncurrentielles, d'inexécution des injonctions ou de non-respect des engagements qu'elle a acceptés (art. L. 464-2 du code de commerce).
Nouveau régime
Dorénavant, la nouvelle loi nº 2022-1158 du 16 août 2022 permet à la DGCCRF de publier ses mesures d’injonction dès leur prononcé en toute matière relevant des compétences de la DGCCRF, sans attendre nécessairement la décision d’amende administrative. La communication des mesures d’injonction prises la DGCCRF est ainsi renforcée.
À ce jour, la publication des mesures d’injonction par la DGCCRF est autorisée en matière de :
- micro-pratiques anticoncurrentielles (dites micro-PAC) : c’est-à-dire lorsque les pratiques anticoncurrentielles ne sont pas susceptibles d’affecter le commerce entre États membres de l’Union européenne et que le chiffre d’affaires annuel réalisé en France par chacune des entreprises en cause ne dépasse pas 50 millions d’euros et que le chiffre d’affaires cumulé des entreprises concernées n’est pas supérieur à 200 millions d’euros (art. L. 474-9 du code de commerce tel que modifié) ;
- pratiques restrictives de concurrence prévues au titre IV du live IV du code de commerce (art. L. 470-1 du code de commerce tel que modifié) : les pratiques restrictives visées concernent, entre autres, les règles relatives aux conditions générales de vente, les délais de paiement, la facturation, la soumission à un déséquilibre significatif ou l'obtention d'un avantage sans contrepartie ou disproportionné ; et
- Infractions en droit de la consommation : la DGCCRF peut désormais publier ses injonctions en cas de non-conformité avec la réglementation ainsi que ses « réquisitions numériques » auprès des opérateurs de plateformes en ligne et fournisseurs d’accès (art. L. 521-3-1 tel que modifié).
Harmonisation des modalités de publicité
Le décret nº 2022-1701 du 29 décembre 2022, en vigueur depuis le 31 décembre dernier, est venu harmoniser les modalités de publicité des injonctions visées ci-dessus, en modifiant l’article R. 521-2 du code de la consommation ainsi que les articles R. 464-9-1 et R. 470-1 du code commerce. En substance :
- la publicité de ces mesures d’injonction peut être effectuée par voie de presse, par voie électronique ou par voie d'affichage, étant précisé que ces mesures peuvent être ordonnées cumulativement par la DGCCRF ou ses émanations (par exemple, DREETS) ;
- la diffusion ou l'affichage peut porter sur tout ou partie de la mesure d’injonction notifiée, ou prendre la forme d'un communiqué informant et expliquant au public le dispositif et les motifs de la mesure ordonnée ;
- La diffusion ou l'affichage peut être accompagné d'un message de sensibilisation du public sur les pratiques relevées ;
- la diffusion peut être faite au Journal Officiel, par une ou plusieurs autres publications de presse, ou par un ou plusieurs services de communication au public par voie électronique. Les publications ou les services de communication au public par voie électronique chargés de cette diffusion sont désignés dans la mesure d'injonction ; et
- l’affichage s'effectue dans les lieux et pour la durée indiqués par la mesure d'injonction ou de transaction. Il ne peut excéder deux mois. En cas de suppression des affiches apposées, il est de nouveau procédé à l’affichage.
En outre, à l’instar des modalités de publication des décisions de sanction administrative, le professionnel est informé, lors de la procédure contradictoire préalable au prononcé de l'injonction, de la nature et des modalités de la publicité envisagée.
Enfin, s’agissant des « réquisitions numériques », la DGCCRF peut désormais demander notamment aux opérateurs de plateformes ou fournisseurs d’accès que les utilisateurs des interfaces en ligne auxquels l'accès est empêché soient dirigés vers une page d'information du ministère chargé de l'économie, indiquant le motif de la mesure de limitation d'accès (art. R. 521-2 du code de la consommation tel que modifié).
Commentaire
Selon la DGCCRF, le renforcement de la publicité des mesures injonctions prises par la DGCCRF a pour objectif d’informer plus largement des manquements commis par les professionnels et de renforcer le caractère dissuasif des sanctions infligées en droit de la concurrence (pratiques anticoncurrentielles et restrictives de concurrence) et en droit de la consommation.
L’extension des mesures de publicité – notamment sur les réseaux sociaux - devrait permettre à la DGCCRF de communiquer sur les actions et mesures qu’elle entreprend au-delà des frontières.
Ainsi, ce renforcement favorisera la sensibilisation au respect des règles du code de commerce et de la consommation non seulement de la part d’entreprises françaises mais également d’entreprises étrangères commercialisant leurs produits sur le marché national. Ces entreprises ne sont en effet pas forcément au fait des dispositions d’ordre public en France.
À cet égard, le futur article L. 443-9 de la proposition de loi tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs, dite « Egalim 3 », prévoit, à ce stade et sous réserve des discussions en commission mixte paritaire, de rendre l’ensemble des dispositions relatives aux pratiques restrictives de concurrence d’ordre public, de sorte que ces règles s’appliqueraient à l’avenir « à toute convention entre un fournisseur et un acheteur, dès lors que les produits ou services concernés sont commercialisés sur le territoire français », ce qui n’est pas sans poser question au regard des principes de droit international.
En conclusion, si elle permet de sensibiliser les entreprises au respect du droit de la concurrence et de la consommation, l’extension des mesures de publicité à la disposition de la DGCCRF s’inscrit dans la tendance de « name and shame » venue d’Outre-Atlantique et visant à porter atteinte à l’image des entreprises sanctionnées.
Dan Roskis, avocat associé, et Antoine Rauwel, avocat collaborateur au sein du cabinet Eversheds Sutherland (France) LLP