Dans cet article, Le Monde du Droit revient sur la position des femmes dans les conseils d'administration des cabinets d'avocats.
Le 20 janvier 2010, la proposition de loi visant à instaurer dans un délai de six ans la présence d’au moins 40 % de femmes dans les conseils d’administration des 650 entreprises cotées (20 % dans un délai de trois ans) a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Le non-respect des seuils successifs « entraînera la nullité des nominations ». Cette proposition de loi s’est inspirée de l’exemple de la Norvège qui impose des quotas de femmes dans les conseils d’administration depuis 2003. Nous avons interrogé plusieurs avocates, dont certaines sont membres de conseils
d’administration et leur avons posé deux questions :
- Étiez-vous favorable à l’instauration de ces quotas dans les conseils d’administration ?
- Peut-on faire un parallèle avec la gouvernance des cabinets d’avocats ? Serait-il opportun ou envisageable d’instaurer des quotas de femmes associées dans les cabinets d’avocats ?
- Dominique de la Garanderie, première femme Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, Dominique de la Garanderie est membre du conseil d’administration de Renault S.A. et membre du conseil de surveillance de Holcim France-Benelux.
« Prioritairement, je suis favorable à la justice. Les statistiques actuelles concernant la présence des femmes administrateurs dans les sociétés cotées, démontrent
tout simplement l’injustice à laquelle il faut remédier.
A titre personnel, j’aurais préféré que les dirigeants, les conseils d’administration, les comités de nominations et de gouvernance, et les actionnaires spontanément,
prennent conscience de cette injustice, j’aurais préféré à une loi, une recommandation – qui s’avérait donc nécessaire- qui puisse inciter à cette réflexion et à une action positive.
Les quotas sont une réponse ponctuelle, immédiate, nécessaire, pour imposer une règle qui aurait dû être naturelle. Créer une obligation de résultat de 40 % me semble important. Le premier texte qui avait été annulé par le Conseil Constitutionnel était moins ambitieux (20 %), mais le rythme du renouvellement des conseils à venir est tout aussi important pour l’effectivité de la mesure.
La gouvernance des cabinets d’avocats ne répond pas aux mêmes règles. Il s’agit du partage du pouvoir et souvent du profit. Il n’y a pas d’actionnaires extérieurs,
comme dans les sociétés cotées qui sont visées par la future loi.
Il est tout aussi clair qu’il y a les mêmes anomalies dans notre profession quant à l’accès des femmes à des postes de responsabilité, c’est-à-dire, des places de managing partner ou d’associé dans de grands cabinets.
Les exceptions sont toujours remarquables et remarquées. Pour une population de 22.700 avocats, dont 50 % sont des femmes, nécessairement la situation devrait
évoluer. La grande chance des femmes avocats c’est qu’elles peuvent créer leur cabinet, développer leur cabinet à égalité avec les hommes.
Votre question concerne peut-être l’action positive et la contrainte, je ne vois pas le CNB, ou l’Ordre, prendre un règlement intérieur imposant 40 % d’avocats
associés dans les cabinets... Mais très sincèrement, je préférerais que nos confrères puissent analyser la société dans laquelle nous vivons et donner l’exemple d’une profession véritablement adaptée ».
- Daniela Weber-Rey, Associée du bureau de Francfort de Clifford Chance. Daniela Weber-Rey a été nommée en mai 2008 membre du Conseil d’administration de BNP Paribas, Paris.
« J’ai pu observer que cette discussion est à l’ordre du jour en Allemagne en général et en particulier au sein de la commission gouvernementale du Code allemand
de Gouvernement d’Entreprise, dont je suis membre. Personnellement, je suis contre une instauration de quotas au sein des entreprises. Je pense que la qualité d’un conseil d’administration découle tout particulièrement de sa composition et des qualifications individuelles de chacun de ses membres.
Par ailleurs, la Commission Européenne a adopté en octobre 2004 une recommandation qui pose un principe selon lequel un conseil d’administration doit être composé de membres qui, ensemble, possèdent les connaissances, la capacité de jugement et l’expérience nécessaires au bon exercice de leurs fonctions. Cette composition hétérogène du conseil sert l’intérêt social de l’entreprise. La diversité (et donc la mixité) n’en est qu’un aspect.
En Allemagne, nous avons décidé de promouvoir la diversité par le biais du Code allemand de Gouvernement d’Entreprise, étant entendu que cette “diversité” sousentend
la “mixité”, sans pour autant introduire un quota. Le Ministère de la famille soutient des mesures ayant pour but de déclencher un débat au sein des assemblées générales des entreprises allemandes. On permet ainsi à des femmes juristes de se présenter devant l’assemblée et de poser maintes questions relatives au choix des membres élus, le but étant d’exercer une pression sur le conseil qui doit veiller à la bonne composition de ses membres, notamment à la représentation de la gente féminine.
En France, la mixité est un sujet qui préoccupe l’opinion publique depuis plus longtemps. Ceci n’avait jusqu’ici pourtant pas conduit aux changements requis.
Peut-être est-ce la raison qui a poussé le législateur à prendre des mesures en ce sens ?
Va-t-on observer une évolution semblable en Allemagne après cette avancée poursuivie par la France ? L’avenir nous le dira...
Je ne vois ni le besoin ni la possibilité d’instaurer de tels quotas au sein des cabinets d’avocats. Ces cabinets reposent sur le partenariat et non sur un fondement
hiérarchique tel qu’on l’observe au sein des entreprises. De ce fait, une femme à elle seule est en mesure d’obtenir les résultats attendus de par sa propre performance.
Ceci étant dit, nous sommes prestataires de service. Si nos clients revoient leurs structures internes en tenant compte de la mixité, il est évident que nous serons forcés de poursuivre notre chemin dans ce sens ».
- Laurence Dumure Lambert, Avocat associé, Mayer Brown, responsable du département droit social.
« Faible présence des femmes dans les conseils d’administration, écarts de rémunération, précarisation des emplois, le constat est accablant malgré les mesures législatives. Il y a eu six ou sept lois et malgré tout ce dispositif, rien n’a bougé en dix ans. C’est un constat d’échec. Nous avons les données statistiques, nous avons les lois, il nous manque juste les sanctions. Je pense qu’il nous faut à présent passer par les quotas.
Nous aussi, avocates, avons ces mêmes problématiques d’accès aux postes de direction dans les cabinets d’avocats. Il y a beaucoup de femmes avocates, peu sont associées et encore moins dans les grands cabinets. Les femmes elles-mêmes n’en ont pas toujours conscience. Certaines ne voient pas le problème et s’enferment dans une sorte de négation. Ce sont souvent des femmes qui ont créé leur propre cabinet. Mais si on fait parler des femmes qui essaient de devenir associées en corporate ou en finance dans une grosse structure, elles auraient sûrement des choses à nous dire.
Je suis une des rares avocates à avoir obtenu un temps partiel (4/5ème) dans un cabinet anglo-saxon dès 1992. Puisque je travaillais à temps partiel, on m’a fait comprendre que je ne pourrai pas avoir accès à l’association. J’ai alors pris une décision, je suis partie monter mon propre cabinet et développer ma clientèle. Je suis ensuite revenue dans une structure anglo-saxonne avec ma clientèle en tant qu’associée. C’est peut-être cela le bon schéma, développer sa clientèle et revenir en cabinet ».
- Marie-Anne Gallot Le Lorier, Ngo, Miguérès & Associés
« Je n’ai jamais été d’accord pour imposer des quotas dans les conseils d’administration d’entreprises, pas plus que parmi les associés dans les cabinets d’avocats. Je pense que ces mesures discréditent les femmes de valeur, parfaitement capables de s’imposer. Ainsi celles qui réussiront seront arrivées à de tels postes en raison de leurs compétences, et non du fait de leur qualité de femme, et elles valoriseront ainsi toutes les autres femmes. Le système des quotas me semble donc plutôt de nature à dévaloriser les femmes, dont on dira qu’elles n’arrivent à de tels postes qu’en raison des quotas fixés, et non grâce à leur capacité propre ».
- Christine Vialars, Lerins Avocats
« L’instauration de quotas dans les conseils d’administration de grandes entreprises est peut-être une idée intéressante. Mais fixer ce quota à un pourcentage fixe me paraît, comme beaucoup, être une idée discriminatoire. Elle serait de plus, à mon sens, totalitaire.
Nos conditions de vie, et surtout d’accès aux études supérieures ont largement évolué. Je suis donc certaine que les femmes trouveront naturellement leur place dans les conseils d’administration, de par leurs seules qualités professionnelles, sans qu’il soit utile que le pouvoir politique impose un pourcentage du nombre de ces femmes dirigeantes, bien au contraire. Cette mesure aurait en effet nécessairement un effet négatif sur l’avancement des hommes, et nous reviendrions ainsi à l’ancien système de domination d’un sexe par l’autre !
Et il va sans dire que pour les cabinets d’avocats, dont la qualité ne dépend précisément que de la valeur humaine et professionnelle de chaque membre, l’instauration de quotas de femmes serait une mesure restrictive des libertés de choix de chacun, totalement contraire aux principes naturels et fondamentaux de notre profession ».