Chant du cygne pour l'immunité des plateformes de partage en ligne

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Pour l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), l’exploitant d’une plateforme de partage de contenus en ligne n’est pas le responsable direct de la mise en ligne illégale par un utilisateur d’œuvres protégées. Les réformes en cours de la responsabilité des plateformes devraient prochainement changer la donne.

 

En novembre 2018, la CJUE a été saisie par la Cour fédérale de justice allemande de plusieurs questions préjudicielles dans deux affaires similaires portant sur la question de la responsabilité des plateformes Youtube et Uploaded à l’occasion de la mise en ligne illégale d’œuvres protégées par des utilisateurs. Dans la première affaire, un producteur de musique poursuivait Youtube et sa société mère Google en raison de la mise en ligne sur cette plateforme de phonogrammes sur lesquels ce dernier détenait des droits. Dans la seconde affaire, un éditeur poursuivait l’exploitant de la plateforme d’hébergement et de partage en ligne Uploaded, en raison de la mise en ligne de différents ouvrages scientifiques qu’il éditait.

En raison de la similitude des faits entre ces deux affaires, la CJUE a décidé de les traiter ensemble. Dans son avis rendu le 16 juillet dernier, l’avocat général écarte la responsabilité des plateformes sur la base du droit européen en vigueur au moment des faits.

La responsabilité des plateformes de partage au regard du droit actuellement en vigueur

L’avocat général considère que les plateformes de partage de contenus en ligne telles que Youtube ou Uploaded n’engagent pas leur responsabilité lorsque des utilisateurs procèdent à la mise en ligne illicite d’œuvres protégées sur ces plateformes.

Celui-ci s’appuie tout d’abord sur la directive 2001/29/CE du parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information du 22 mai 2001. Il relève que le considérant 27 de cette directive précise que « la simple fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication ne constitue pas en soi une communication au sens de la présente Directive », pour en conclure à l’absence de responsabilité des plateformes. Il rappelle également, conformément à  l’arrêt SGAE de la CJUE, que la personne qui réalise l’acte de communication est celle qui intervient de façon volontaire pour transmettre une œuvre à un public, ce qui n’est pas le cas du simple fournisseur d’installations permettant la communication au public. Il en conclu que, du fait de leur seul rôle d’intermédiaire, Youtube et Uploaded ne réalisent pas d’actes de communication. Ceux-ci sont réalisés par les utilisateurs qui mettent en ligne le contenu et qui doivent en supporter la responsabilité.

L’avocat général s’appuie également sur la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, dans le marché intérieur, dite directive « commerce électronique », dont est issu l’article 6 de la LCEN sur la responsabilité de certains prestataires de l’internet. Il rappelle que l’article 14 de cette directive prévoit qu’ « en cas de fourniture d'un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire (n’est) pas responsable des informations stockées à la demande d'un destinataire du service », dès lors qu’il n’a pas connaissance de l’activité illicite ou, s’il en a connaissance, qu’il n’a pas agit promptement pour retirer le contenu ou pour le rendre inaccessible. Il constate, qu’en l’espèce, les conditions de l’absence de responsabilité posées par ce texte sont remplies pour les deux plateformes.

Pour l’avocat général, le droit applicable aux faits des deux espèces conduit donc à dégager la responsabilité des deux plateformes, que ce soit sur le terrain de la propriété intellectuelle ou des règles du commerce électronique.

Vers une responsabilité des plateformes de partage

Cet avis apparaît conforme au droit applicable au moment des faits. Toutefois, dans un avenir proche, les mêmes faits seront susceptibles de conduire à une solution différente. La Directive 2019/790 du Parlement et du Conseil sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique adoptée le 17 avril 2019 et modifiant la directive 2001/29/CE institue en effet un nouveau régime de responsabilité des plateformes de partage de contenu en ligne, qui se substitue à celui de la directive commerce électronique.

La directive droit d’auteur prévoit que lorsqu'un fournisseur de services de partage de contenus en ligne effectue un acte de communication au public ou un acte de mise à disposition du public d’une œuvre ou d’autres contenus protégés, celui-ci doit obtenir une autorisation des titulaires des droits concernés.

Elle complète donc la définition de la notion de « communication au public » donnée par la précédente directive de 2001. A l’avenir, l’acte de « communication au public » consistera également dans le fait de donner « au public l’accès à des œuvres protégées par le droit d’auteur ou à d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs », ce qui est à l’opposé de la situation actuelle.

 D'une manière générale, le nouveau régime de responsabilité prévu par l’article 17 de cette directive a pour objectif de rééquilibrer le rapport de force entre les plateformes et les titulaires de droits et de favoriser la conclusion d’accords permettant la diffusion de contenus protégés. Il repose sur une inversion du dispositif issu de la directive commerce électronique : au principe d’irresponsabilité se substitue un principe de responsabilité qui impose aux plateformes de conclure, ou à tout le moins de faire leurs meilleurs efforts pour conclure, des licences avec les ayants droits. En l’absence d’un tel accord, et à condition que la plateforme ait fait ses meilleurs efforts pour y parvenir, la plateforme doit mettre en place un système de filtrage des contenus et, en dernier ressort, le système précédent de suppression des contenus sur demande est maintenu. Ce nouveau régime devra être transposé par chaque Etat membre au plus tard le 7 juin 2021

De plus, et d’une manière plus générale, le régime de la responsabilité des acteurs de l’internet est en cours de révision dans le cadre du Digital Service Act, projet porté par la Commission Européenne et dont l’objet est d’adapter le cadre réglementaire général des services numériques aux évolutions techniques et économiques intervenues depuis la directive commerce électronique de 2000. Le régime de la responsabilité des plateforme internet devrait en sortir modifié en profondeur.

A l’avenir, les plateformes de partage de contenus en ligne ne pourront donc plus se contenter de laisser leurs utilisateurs mettre en ligne des contenus appartenant à des tiers et de les retirer sur demande des ayants droits.

Jean-Christophe Ienné, avocat, directeur des pôles Propriété intellectuelle & industrielle, Médias & Audiovisuel et Internet | ITLAW Avocats  


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