Comment se vit un procès hors norme ?

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L’Erika, l’usine AZF, les accidents aériens du mont Sainte-Odile ou du Concorde... le cabinet Soulez Larivière est de tous les procès des grandes catastrophes industrielles ou aéronautiques. De par l’ampleur des dossiers, le nombre des parties civiles et la couverture médiatique, ces procédures sont
devenues ce qu’on appelle désormais les procès "hors norme". On parle des experts, des magistrats, et bien sûr des victimes. Mais pour les avocats, que dit-on ? Comment vivent-ils un procès " hors norme"? Chantal Bonnard, associée du cabinet Soulez Larivière, a suivi avec Daniel Soulez Larivière, ces grands dossiers, notamment celui de l’Erika et de l’usine AZF. Une expérience humaine difficile, avec quelques interrogations à la clé.

Les procès "sensibles" d’autrefois sont devenus les procès "hors norme" d’aujourd’hui. Certainement un fait de société tenant à la place nouvelle donnée aux victimes dans le procès pénal. Le premier procès de cette nature en France a été celui de Furiani, en 1992. Le nombre des victimes à l’audience y était considérable. Comme l’a été ensuite le nombre des victimes au procès du Mont Sainte-Odile ou du tunnel du Mont-Blanc. Le procès le plus "hors norme" de tous a certainement été celui de l’usine AZF, avec 1.600 victimes à l’audience, constituées parties civiles.

C’est sans doute cet aspect humain, douloureusement humain, qui marque en premier les avocats habitués des grands procès fleuves.

De ce grand nombre de parties présentes, découlent des modalités particulières d’organisation. Et puis sur la durée, le traitement habituel reprend le dessus : un dossier comme un autre, juste un peu plus long, juste un peu plus lourd.

Prenons le dossier de l’usine AZF, dont Chantal Bonnard a été l’un des avocats. Le procès, qui s’est tenu dans une salle des congrès, réaménagée et déminée tous les matins, n’en était plus un, c’était devenu un colloque.

Est-on serein dans ces cas-là ? Non certainement pas, disent les avocats, parce que tout devient inhabituel et difficile. Ils sont obligés de parler et de plaider dans des micros. Tout est mis en scène dans une salle immense avec des écrans géants. Il y a là quelque chose de très théâtral. Ce ne sont pourtant pas les Assises. Il ne s’agit pas de faire des effets de manches, mais bien de plaider devant des magistrats professionnels sur des questions très techniques, face à un public passionné et en douleur.

Serait-ce alors une grand-messe dont on aurait besoin pour expier quelque chose ? Cela tient-il au fait que la société n’intègre pas la mort et qu’il lui faut trouver un autre rituel de deuil ? Serait-ce une façon pour les victimes de faire reconnaître l’existence de leur douleur devant témoin ?

Sans doute un peu tout cela à la fois et aussi peut-être tout simplement une façon pour les victimes d’exister elles-mêmes, observe-t-on du côté des avocats.

Ces grands procès créent, en effet, du lien social. Le temps de l’audience, on se sent solidaire d’un groupe avec lequel on a partagé des évènements forts et douloureux, depuis des années parfois.

Pour l’avocat, avec ce poids des victimes à l’audience, difficile d’exercer son métier de la même manière que pour une affaire "ordinaire". Il y a des moments où l’on est tenté de se retenir de poser des questions ou d’intervenir parce qu’il y a des questions qui ne sont plus décentes à ce moment-là.

Tout devient compliqué, l’avocat se retrouve loin de son cabinet, de ses collaborateurs, de ses autres clients qu’il ne peut contacter qu’aux suspensions d’audience. Se construit alors une antenne éloignée du cabinet grâce aux moyens technologiques, un ordinateur, une connexion internet, pour continuer à exister vis-à-vis des autres clients et du bureau. Cela suppose d’être bien structuré et d’avoir une équipe soudée.

La préparation du dossier est, elle aussi, un long marathon. Les dossiers de l’usine AZF ou du crash du Concorde, matériellement, remplissent une pièce entière, en volume et en cotes. Ce n’est humainement plus lisible. Il devient matériellement impossible de tout lire de la première à la dernière page. Ce qui rend obligatoire l’utilisation d’un logiciel qui scanne tout le dossier en texte intégral. Ainsi lorsqu’on cherche un mot, le logiciel le surligne dans toutes les cotes où il apparaît. Ce travail important, nécessite bien entendu de faire appel à un informaticien à plein temps.

Aujourd’hui ce sont les tribunaux qui scannent les dossiers. Au départ c’étaient les cabinets d’avocats. Le dossier de l’Erika a été le premier dossier numérisé au Palais à Paris. Mais avant qu’il ne soit numérisé par le Palais, il l’avait déjà été par les avocats du dossier, ce qui veut dire qu’il a fallu prendre des copies de l’entier dossier pour les scanner ensuite. Un travail titanesque.

Les dossiers arrivent désormais sous forme de disquettes du Palais, qu’il faut ensuite convertir pour qu’elles soient compatibles avec les traitements de texte des cabinets lesquels permettent cette lecture intégrale avec un logiciel souvent plus performant que celui du Palais.

On n’imagine plus aller rechercher manuellement un document dans la masse du dossier. Les avocats ont leur ordinateur portable avec eux y compris aux audiences, et peuvent ainsi rechercher la cote qui vient d’être citée, ou tout autre document.

Dans ces dossiers "hors norme", il faut aussi savoir gérer sa relation avec les medias et aider le client à définir une politique de communication. Pour un dossier comme celui de l’usine AZF, il était impossible de ne pas communiquer. Le procès pouvait être suivi en temps réel sur le blog mis en place par la Dépêche du Midi. Après chaque audience, il y avait un point presse.

Physiquement, les avocats le savent, il faut de l’endurance pour mener de tels procès. Accepter de dormir 5 heures par nuit pendant 4 mois, accepter sur ses épaules tout le poids du procès. Et pouvoir, si possible, disposer ensuite du temps nécessaire pour évacuer toute la tension... avant le procès suivant.

Le procès du crash du Concorde est prévu pour durer jusqu’à la fin du mois de mai. Ce ne sera certainement pas, malheureusement, le dernier procès de cette nature.

Pour autant, pour le cabinet Soulez-Larivière, l’outil pénal ne serait pas le meilleur pour découvrir la vérité technique. Dans une catastrophe il n’y a pas un seul et unique responsable, c’est toujours plus compliqué. Alors dans cette dérive vers des procès davantage "hors norme", où donc se situe l’intérêt des uns et des autres, puisque généralement ni les parties civiles ni les prévenus ne sortent jamais vraiment satisfaits de ces procédures ?

CRASH DU CONCORDE : LE PROCES PENAL


Après huit ans d’instruction, le procès de l’accident où un concorde s’est écrasé juste après son  décollage et qui avait fait 113 morts (100 passagers, l’équipage de 9 personnes et 4 victimes au sol lors de son écrasement sur un hôtel de Gonesse), dans le Val-d’Oise, le 25 juillet 2000, a débuté le 2 février 2010 devant le tribunal correctionnel de Pontoise.

Le procès devra déterminer s’il y a des responsables dans cette catastrophe. L’enquête a montré que l’explosion d’un panneau de réservoir de 32x30 cm était liée à l’éclatement d’un pneu, lui même dû à la présence sur la piste d’une lamelle en titane perdue par un DC-10 de Continental Airlines. Le BEA (Bureau Enquêtes et d’Analyses pour la Sécurité de l’Aviation civile) a considéré cet accident comme imprévisible compte tenu qu’un tel phénomène n’avait jamais eu lieu dans l’histoire de l’aéronautique.

Seront jugés pour homicides et blessures involontaires :

- Claude Frantzen, ancien directeur du SFACT à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) représenté par le cabinet Soulez Larivière & Associés, avec Daniel Soulez Larivière, associé, et Astrid Mignon-Colombet, collaboratrice. La DGAC française et la CAA britannique ont co-délivré les certificats de navigabilité du Concorde, et assuré ensemble son suivi de navigabilité. Rappelons que dans l’affaire du Mont Saint Odile, Soulez Larivière & Associés a obtenu la relaxe de Claude Frantzen.

- la compagnie américaine Continental Airlines, exploitant du DC-10 ayant perdu la lamelle de titane, dont l’avocat est Olivier Metzner, du cabinet Metzner Associés. Deux employés de la compagnie sont également poursuivis : Stanley Ford, chef de l’équipe d’entretien chargée du DC-10, et son subordonné John Taylor, chaudronnier, qui a posé la pièce défectueuse sur le DC-10. Stanley Ford sera représenté par Emmanuel Marcigny du cabinet Metzner Associés et John Taylor par François Esclave du cabinet Veil Jourde.

- le constructeur, L’Aérospatiale, devenue ES, avec deux ex-responsables du programme Concorde, Henri Perrier et Jacques Herbe, seront représentés par Thierry Dalmate du cabinet Morgan Lewis, Von Nick Le Guillou du cabinet Bird & Bird et Christian Buffet du cabinet HMN & Partners.


Parmi les 19 parties civiles,

- la compagnie Air France, l’exploitant de l’appareil, sera représentée par Fernand Garnault du cabinet Garnault Rembauville Bureau Tassy.

- le Syndicat National des Pilotes de Lignes qui sera représenté par Roland Rappaport, avocat au barreau de Paris.


LES CHIFFRES CLÉS :

Le procès doit durer quatre mois à raison de trois jours par semaine. Des débats en trois langues sont prévus (français, allemand et anglais) et des cabines ont été installées pour les interprètes. Douze interprètes se relaieront durant le procès. Quelque 150 journalistes et 50 techniciens sont attendus. Une retransmission vidéo est donc prévue dans une salle réservée à la presse. Pas moins de 90 tomes de dossiers, 534 pièces à conviction seront présentées. La salle des assises du tribunal de Pontoise a été entièrement aménagée et insonorisée. Avec le gardiennage, le nettoyage, la signalétique et les portiques, l’ensemble des aménagements aura coûté 481.884 euros. Les frais de justice déjà exposés lors de l’instruction (expertises, traductions, conservation des scellés...) s’élèvent eux à 3,2 millions
d’euros auxquels vont s’ajouter les frais à venir (indemnités des parties civiles, des témoins, des experts et citations), soit 163.000 euros.


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