CEDH : les limites de la liberté d'expression de l'avocat face à la partialité des magistrats

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Malgré les doutes sérieux sur la partialité des juges ayant condamné l'avocat de la veuve d'un magistrat pour diffamation publique, il ne peut dépasser certaines limites dans la critique publique de la justice.

En 1995, un magistrat est retrouvé mort à quatre-vingts kilomètres de la ville de Djibouti. Bien que l'enquête de gendarmerie ait conclu au suicide par immolation, la veuve du magistrat déposa plainte avec constitution de partie civile pour assassinat.
Une information judiciaire fut alors confiée à 2 juges d'instruction, dessaisis quelque temps plus tard, le dossier étant alors confié à un autre magistrat. Me M., avocat de la veuve du magistrat assassiné, jugeant le comportement des premiers juges impartial et déloyal, a adressé une lettre à la garde des Sceaux en 2000 réclamant l'ouverture d'une enquête de l'inspection générale des services (Igas). Le lendemain, un article parut dans Le Monde relatait ces faits ainsi que des dysfonctionnements dans la transmission des pièces de procédure dans un article intitulé "Affaire Borrel : remise en cause de l'impartialité de la juge M." Les deux magistrats déposèrent alors plainte pour diffamation publique.

Le tribunal de grande instance de Nanterre a fait droit à leur demande et Me M. est déclaré complice de diffamation publique, décision confirmée par un de la cour d'appel de Versailles du 28 mai 2003.
Par un premier arrêt du 12 octobre 2004, la Cour de cassation a censuré les juges du fond et renvoyé devant la cour d'appel de Rouen. Celle-ci, dans un arrêt du 16 juillet 2008 a confirmé le jugement de première instance, et déclaré le requérant coupable de complicité du délit de diffamation envers un fonctionnaire public.
Saisie à nouveau, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 novembre 2009, a confirmé les juges du fond, au motif que si toute personne a droit à la liberté d'expression et si le public a un intérêt légitime à recevoir des informations relatives aux procédures en matière pénale ainsi qu'au fonctionnement de la justice, l'exercice de ces libertés comporte des devoirs et responsabilités et peut être soumis, comme dans le cas de l'espèce où les limites admissibles de la liberté d'expression dans la critique de l'action de magistrats ont été dépassées, à des restrictions ou sanctions prévues par la loi qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de la réputation des droits d'autrui.
L'avocat a alors saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) pour violation de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'Homme relatif au droit à un procès équitable, l'un des magistrats qui siégeait dans la formation de la Cour de cassation de 2009 ayant, plusieurs années auparavant, publiquement apporté son soutien à l'un des juges qui avait porté plainte pour diffamation à son encontre, et de l'article 10 relatif à la liberté d'expression.

Dans un arrêt du 11 juillet 2013, la CEDH juge que l'impartialité de la Cour de cassation peut susciter des doutes sérieux et les craintes de Me M. à cet égard pouvaient passer pour objectivement justifiées. Il y a donc eu violation de l'article 6 §1 de la Convention.
Néanmoins, en s'exprimant comme il l'a fait, Me M. a adopté un comportement dépassant les limites que les avocats doivent respecter dans la critique publique de la justice. Elle ne retient donc pas la violation de l'article 10.

© LegalNews 2017 - Delphine Fenasse


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