CEDH : condamnation d’un avocat pour diffamation envers un juge

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La Cour européenne des droits de l'Homme justifie la condamnation d’un avocat pour ses propos diffamatoires à l’égard d’un juge contenus dans la lettre envoyée à plusieurs juges du même tribunal.

En 2001, un avocat italien a envoyé un courrier au Conseil supérieur de la magistrature (CSM) dans lequel il se plaignait du comportement d’un juge du tribunal de Lucques. Il a ensuite communiqué le contenu de ce courrier par "lettre circulaire" à plusieurs juges du même tribunal, sans toutefois mentionner explicitement le nom du juge concerné.
Dans la première partie de sa lettre, il exposait des décisions adoptées par ce juge dans le cadre d’une procédure d’héritage. La seconde partie portait sur les conduites que les juges ne devraient, selon l'avocat, pas tenir, notamment "se tromper volontairement avec dol ou faute grave ou par manque d’engagement".

Le juge ayant porté plainte pour diffamation, le tribunal a condamné l'avocat en 2005 à quatre mois d’emprisonnement pour diffamation et injure. Il a estimé le l'avocat avait dépassé les limites de son droit à la critique en alléguant que le juge s’était trompé "volontairement", ce qui offensait de manière grave l’honorabilité du magistrat en question. Pour le tribunal, il ne faisait aucun doute que le juge était l’objet des accusations contenues dans la lettre circulaire. L'avocat a interjeté appel. En 2007, la cour d’appel a remplacé la peine privative de liberté prononcée à l’encontre de l'avocat par une amende de 400 €, et ce dernier a dû verser 15.000 € au juge pour préjudice moral. En 2008, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi.

Arguant d'une violation de l'article 10 de la Convention EDH, l'avocat a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Dans son arrêt rendu le 30 juin 2015, celle-ci invalide tout d'abord la thèse du requérant selon laquelle les critiques contenues dans sa lettre circulaire ne visent pas un juge mais le système judiciaire italien dans son ensemble. En effet, la lettre contient des passages entiers du courrier que le requérant a adressé au CSM pour se plaindre du comportement du juge, et résume les éléments essentiels du différend judiciaire dans le cadre duquel, selon le requérant, le juge a adopté des décisions injustes. Si la deuxième partie de la lettre circulaire est rédigée sous forme de "considérations générales" sur les conduites que les juges ne devraient pas tenir, elle ne peut, au regard de sa première partie, qu’être interprétée comme une critique de l’attitude du juge.

La Cour cherche ensuite à déterminer si les doléances visant le juge ont dépassé les limites d’une critique admissible dans une société démocratique.
Le premier reproche formulé par l'avocat à l’encontre du juge, à savoir avoir adopté des décisions injustes et arbitraires, ne constitue pas une critique excessive puisqu’il s’agit de jugements de valeur ne se prêtant pas, selon la jurisprudence de la CEDH, à une démonstration de leur exactitude. Ce reproche repose sur une certaine base factuelle puisque l'avocat a été le représentant de l’une des parties dans la procédure de partage d’héritage en cause.
En revanche, le second reproche, celui d’être un juge "ayant parti pris" et de s’être trompé "volontairement, avec dol ou faute grave ou par manque d’engagement", implique le mépris, de la part du juge, des obligations déontologiques propres à la fonction de juge, voire même la commission d’une infraction pénale.
En tout état de cause, la lettre circulaire dénie au juge concerné les qualités d’impartialité, d’indépendance et d’objectivité qui caractérisent l’exercice de l’activité judiciaire, sans que l'avocat n’ait à aucun moment essayé de prouver la réalité du comportement spécifique imputé au juge. Selon la Cour, ces allégations de comportements abusifs ne se fondent que sur la circonstance que ce magistrat avait rejeté les demandes formulées par le requérant dans l’intérêt de ses clientes. En outre, l'avocat n'a pas attendu l’issue de la procédure qu’il avait engagée contre le juge devant le CSM pour envoyer la lettre.

La Cour conclut à l'absence de violation de l'article 10 de la Convention EDH.

© LegalNews 2017 - Pascale Breton


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