CEDH : charge de la preuve des mauvais traitements infligés par un policier à un avocat dans l’exercice de ses fonctions

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La charge de la preuve des faits survenus lorsqu’un avocat se trouve dans un poste de police incombe aux autorités, même si l’avocat s’y trouve dans un autre contexte que celui de la privation de liberté proprement dite, c'est-à-dire dans l’exercice de ses fonctions.

En 2010, un avocat roumain se rendit avec un client dans un poste de police pour obtenir des renseignements sur le contenu d’un dossier pénal ouvert à l’encontre de celui-ci. Selon ses dires, une dispute survint avec un policier, qui aurait alors enfermé l’avocat une dizaine de minutes dans un bureau afin de le contraindre à signer un procès-verbal. Il lui aurait également tordu un doigt en voulant l’empêcher d’utiliser son téléphone portable. L’état de son doigt fut médicalement constaté, mais les juridictions internes rejetèrent la plainte de l'avocat, retenant qu’il n’y a pas d’éléments certains conduisant à engager la responsabilité pénale du policier du chef des infractions alléguées.

L’avocat a alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), alléguant une violation de l’article 3 (traitements dégradants) de la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH). 

Le 5 avril 2016, la CEDH a conclu à l’unanimité à la violation de l’article 3 de la Convention EDH. Elle estime qu’il y a eu traitement dégradant en l’espèce.
La CEDH réitére sa jurisprudence antérieure en rappelant que la charge de la preuve des faits survenus lorsqu’une personne se trouve entre les mains de la police ou d’une autorité comparable revient aux autorités. Ce principe s’applique même si la personne s’y trouve dans un autre contexte que celui de la privation de liberté proprement dite, comme une vérification d’identité ou un simple interrogatoire.
Elle ajoute que l’interdiction de l’utilisation de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue strictement nécessaire par le comportement de la personne l’intéressée s’applique lorsque cette dernière est privée de sa liberté ou se trouve confrontée à des agents des forces de l’ordre.
Elle précise qu’il revient à la police de respecter le rôle des avocats, de ne pas s’immiscer indûment dans leur travail, ni de les soumettre à aucune forme d’intimidation ou de tracasserie par conséquent, à aucun mauvais traitement. Cette obligation doit d’autant plus s’appliquer pour assurer la protection des avocats, agissant en leur qualité officielle, contre les mauvais traitements.
La Cour EDH estime donc que le principe réitéré dans sa jurisprudence antérieure quant à la charge de la preuve survenus au poste de police trouve à s’appliquer en l’espèce et que la charge de la preuve incombait aux autorités.

La CEDH estime qu’en cas de contradiction des versions des parties, on ne saurait déduire la véracité de la déclaration du policier du seul fait que l’enquête n’a pas apporté d’élément la contredisant. Par conséquent, la Cour EDH juge suffisamment établi que le requérant a subi une entorse à l’annulaire de la main gauche alors qu’il se trouvait au poste de police.
Elle note ensuite que le gouvernement soutient que la lésion subie par le requérant n’a pas atteint le seuil minimal de gravité requis pour tomber dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. Toutefois, la CEDH estime que la lésion en cause n’était pas superficielle dans la mesure où il lui a été recommandé de poursuivre les soins médicaux pendant cinq à sept jours.
Elle tient enfin à relever que le traitement infligé au requérant n’a aucunement été rendu nécessaire par son comportement. À supposer même que le requérant ait fait preuve d’une attitude irrespectueuse envers le policier, rien n’indique qu’il ait eu un comportement violent rendant nécessaire l’utilisation de la force physique à son encontre.


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