Au lendemain de la remise du rapport Perben relatif à l’avenir de la profession d’avocat, la mesure souhaitée par certains d'exercer la profession d’avocat en entreprise est-elle définitivement enterrée ? Analyse et perspective d’avenir d’Olivier Cousi, bâtonnier de Paris.
Le rapport de la Mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, qui a été remis mercredi 26 août 2020 à Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice (voir : « Rapport Perben : les treize recommandations relatives à l’avenir de la profession d’avocat qu’Eric Dupond-Moretti ne laissera pas dormir “ dans un tiroir du sommeil de l’injuste ” », Le Monde du Droit, 27 août 2020, ne compte aucune proposition, parmi les 13 formulées, recommandant l’instauration de l’exercice de la profession d’avocat en entreprise. Pour autant, les membres de la Mission reconnaissent qu’une telle mesure aurait pu faire partie des préconisations énoncées « au nom d’une refonte de la politique de l’offre que la Mission appelle de ses vœux ». Pourquoi refuser un tel axe de croissance à une profession à laquelle il est reproché de ne pas avoir su s’adapter, à laquelle il est demandé se de réinventer, d’innover ?
Fervent défenseur de ce mode d’exercice, Olivier Cousi, bâtonnier de Paris, s’en explique : « Ce que dit le rapport est tout à fait exact. Il constate qu’aujourd’hui il n’y a pas d’unanimité sur la notion d’avocat en entreprise au sein de la profession. En effet, au sein du CNB, il n’y a pas une position commune sur cette question. Je le regrette ».
Alors faut-il être « pour » ou « contre » l’avocat en entreprise ?
« La réponse n’est pas une réponse binaire ou d’opposition, mais une réponse de marché et c’est là où le rapport Perben est intéressant. Augmenter l’offre dans un marché du droit, cela veut dire : permettre la fluidité des allées et venues en entreprise et en juridiction, mais aussi des formations communes. Cela veut donc dire : une communauté de juristes ».
On rappellera, qu’au cours du Legal Digital Day (1er Salon virtuel dédié à la transformation numérique et digitale des métiers du droit) qui s’est tenu le 9 juillet 2020, Olivier Cousi s’était distingué en dévoilant l’ambition du barreau de Paris de vouloir étendre la communauté des avocats et la communauté des juristes au sens large, de porter la création d’une grande communauté juridique : « Il faut concevoir le droit et les métiers du droit comme une activité économique unique et une communauté d’individus unique ». Et de compléter en soulevant la question de l’avocat en entreprise : « Je ne désespère pas, en 2021, de faire comprendre et entendre aux avocats, aux juristes d’entreprise et aux pouvoirs publics que des efforts communs doivent être faits pour qu’un élève qui sort de l’EFB, puisse se dire de manière tout à fait sereine : “ je vais aller faire mon travail d’avocat dans une entreprise mais, demain, je reviendrai dans un cabinet ”. Cette fluidité, on en a besoin. Peut-être que cette crise de la Covid va faire bouger les lignes sur ce sujet ».
Au lendemain du rapport Perben, le barreau de Paris a-t-il revu ses ambitions ? Le projet d’instaurer l’avocat en entreprise est-il enterré ?
« AH NON ! Et le rapport ne l’enterre pas : il dit qu’il n’est pas mûr. Et il a raison car nous n’avons pas encore défini la bonne formule de ce qu’est un avocat en entreprise », déclare avec une certaine vigueur Olivier Cousi.
Alors quels sont les points de blocage ?
Le rapport est très clair sur ce point : « Les objections sont relatives à l’indépendance, au secret professionnel et au risque de concurrence dans le domaine judiciaire. Il n’existe aucune chance de voir évoluer cette position si ces préventions et ces craintes ne sont pas prises au sérieux, et s’il n’y est pas répondu de manière complète » (rapport, p. 13).
« Nous devons encore mener des réflexions », déclare le bâtonnier. « Mais cette fluidité, il faut la mettre en œuvre. Je continue d’espérer de faire comprendre que cette logique de marché, d’ouverture de marché, d’augmentation de l’offre de droit, correspond (et le rapport Perben le dit très bien) à une augmentation de la demande. Les avocats doivent être présents au sein des entreprises, à travers les juristes d’entreprise, à côté des juristes d’entreprise, dans un système de statut différencié, comme le dit le rapport Perben », rappelle Olivier Cousi. En effet, les membres du rapport précisent : « A condition de ne pas rechercher un alignement absolu des deux statuts, il n’est probablement pas totalement impossible de répondre aux objections élevées par de nombreux opposants et de proposer des solutions, qui pourraient exploiter les différences reconnues ».
Une définition claire du statut d’avocat en entreprise ainsi qu’une adhésion suffisamment importante des avocats sont donc les deux conditions indispensables pour permettre aux futures générations d’avocats de pouvoir construire l’offre de marché qui répondra aux besoins de demain mais aussi de pouvoir s’adapter aux réalités économiques qui menacent l’avenir de la profession.
« Je souhaiterai que nous soyons constructifs. Etre constructif n’empêche pas l’esprit critique, la vigilance. Il ne s’agit pas de céder sur le principe, de céder sur nos revendications. Mais à partir du moment où il y a un travail qui est fait comme le rapport Perben, où nous avons un garde des Sceaux qui nous a dit être à notre écoute, il faut que l’on soit constructif avec la perspective d’avancer dans le bon sens. Nous devons poursuivre nos travaux en 2021 : tout est possible ! Avec les associations des juristes d’entreprise, nous pensons que c’est une réponse qui viendra des jeunes. Il y a des générations entières qui sont formées ensemble et, de manière indifférenciée, par les mêmes écoles de formation des avocats. Par la suite, ils deviennent avocat ou vont en entreprise puis deviennent avocat… et vice versa. A un moment ou à un autre, cette population va considérer, et elle le considère déjà, qu’ils font le même métier, ils ont les mêmes activités, les mêmes contraintes. C’est comme cela que nous allons nous rapprocher, par l’intermédiaire des plus jeunes », conclut Olivier Cousi.
Audrey Tabuteau