Autopsie d’un crime : au-delà de l’extinction de l’action publique (Deuxième partie)

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IIᵉ Partie – L’autopsie psychologique : les investigations sur un mort vivant par Frédérique Fiechter-Boulvard, Maître de Conférences en Droit privé, Université Grenoble Alpes, Faculté de Droit, CRJ. (Cet article a pu voir le jour grâce aux échanges avec le docteur Nahmani, alors médecin légiste et psychiatre à l’hôpital Edouard Herriot, à Lyon).

Historiquement, l’autopsie psychologique consistait en une approche sociologique, quantitative, sur les causes de la mort par suicide. L’objet de la recherche consistait à recueillir suffisamment de données, notamment auprès des proches du défunt, afin d’identifier des facteurs du passage à l’acte suicidaire. Au-delà de l’approche statistique, la recherche qualitative cette fois, consiste en une approche individualisée du sujet placé dans un environnement personnel : « la question du diagnostic n’est pas primordiale, ni celle des facteurs de risque. Le point crucial est d’identifier ce que représente, pour un individu, un facteur de risque. Cette représentation varie en fonction de l’histoire personnelle, de l’histoire familiale, du contexte socio-culturel…» (P.Desaive, précité). C’est précisément parce qu’il s’agit d’une approche subjective, individuelle, que l’autopsie psychologique qualitative mérite d’être transposée dans le processus judiciaire.

Dans le cadre judiciaire, le suicide s’inscrit parmi les morts suspectes qui donneront lieu à investigation selon les termes de l’article 74 du code de procédure pénale : dans le cas de la découverte d'un cadavre, dès lors que la cause de la mort est inconnue ou suspecte, le procureur de la République, s’il le juge nécessaire, se fait assister de personnes capables d'apprécier la nature des circonstances du décès. Une enquête aux fins de recherche des causes de la mort est ouverte. En pratique, et le plus souvent, le suicide constaté donnera lieu à une extinction de l’action publique si celle-ci a été déclenchée et cela sans, nécessairement, qu’il y ait eu enquête. Il n’y aura pas d’examen du corps par un médecin légiste, ni d’examen toxicologique. L’incompréhension demeurera. Cela est également une réalité lorsque le défunt est auteur d’un homicide. Dans le cadre d’un procès qui ne pourra pas se tenir faute d’auteur vivant, famille de la victime et famille de l’infracteur défunt restent avec leurs interrogations nombreuses. L’auteur du crime s’est donné la mort après avoir commis des faits irréversibles. L’auteur est mort laissant une ou des victimes directes sans vie et des victimes par ricochet sans explication possible.

Les enquêtes judiciaires permettent de rassembler les preuves nécessaires à la découverte de la vérité. L’audition des proches, des témoins, l’exploration criminalistique de la scène de crime constituent indéniablement des éléments de réponse permettant d’élaborer le parcours criminel mais également d’identifier d’autres participants toujours vivants. L’autopsie psychologique mise en œuvre dans le cadre de la procédure pénale a ceci de spécifique qu’elle pose uniquement son regard sur la personne de l’auteur du crime ; celui dont il ne sera pas question si un procès a lieu à l’égard des complices ou des coauteurs, si ce n’est à propos de l’acte principal qu’il a commis, maillon juridiquement indispensable à l’établissement de la complicité.

Dans les affaires précitées, le médecin légiste et psychiatre a été sollicité, soit sur réquisition judiciaire du parquet pour expertise psychologique post-morte (Art. 77-1 al.1 CPP), soit sur ordonnance de commission d’expert du juge d’instruction (Art. 156 al. 1 CPP). Quel que soit le mode de saisine du praticien, la qualité de psychiatre de l’expert doit permettre d’identifier, a posteriori, une pathologie psychiatrique ou un trouble de la personnalité dans un contexte social ouvert. En ce sens, c’est l’individu dans son contexte familial, professionnel, intime, médical notamment qui est l’objet de toutes les attentions du médecin. Ce dernier dispose, à cette fin, de nombreux outils d’information.

Dans le domaine médico-légal stricto sensu, sa mission sera effectuée grâce au rapport de levée de corps et au rapport d’autopsie. Le premier consiste en une analyse in situ du cadavre, qu’il s’agisse de celui de la victime ou de celui de l’auteur décédé. Le second consiste en une investigation plus fine encore pratiquée sur l’un ou les corps selon les cas. Dans la mesure où l’auteur de l’homicide décédé n’est plus à la disposition de la justice, l’autopsie psychologique nécessite que d’autres informations soient recueillies. L’expert pourra faire la demande d’accès à des informations auprès de l’autorité qui l’a sollicité. Il pourra demander la lecture de procès-verbaux, le courrier du défunt contenant des aveux avant de se donner la mort et qui pourra renseigner à la fois sur son état psychique, sur le caractère suicidaire de son décès et, avant cela sur les causes, mobile et circonstances de l’homicide commis préalablement. Plus généralement, l’expert est habilité à procéder à l’ouverture ou à la réouverture des scellés pour accomplir sa mission (Art. 163 al.2 CPP).

Dans le domaine médico-légal élargi à l’autopsie psychologique, et s’agissant d’éléments de la vie privée de l’intéressé, le médecin pourra solliciter les autorités pour consulter le journal intime, le téléphone portable ou encore l’ordinateur susceptibles de donner toute information utile sur l’état d’esprit de ce dernier, cette fois dans sa vie quotidienne. Pour ce faire, le praticien pourra également consulter le dossier médical de l’intéressé, solliciter les proches, la famille. Des investigations pourront également être menées dans la vie sociale de l’infracteur décédé. Qu’il s’agisse du parcours scolaire ou du parcours professionnel de l’intéressé, les éléments recueillis peuvent être éclairants (Art. 164 CPP).

Dans l’affaire de la jeune fille de 12 ans, le médecin légiste mènera un travail minutieux destiné à répondre à des questions essentielles sur le passage à l’acte : y a-t-il eu planification du crime ? Y a-t-il des explications possibles au choix de la victime ? Y a-t-il un trouble psychique à l’origine du passage à l’acte ? Y a-t-il des indices de troubles existant antérieurement aux faits criminels ? Autant d’interrogations auxquelles le médecin légiste est invité à répondre grâce à la collaboration des forces de l’ordre sous ordre du parquet ou du juge d’instruction. L’importance de l’autopsie psychologique est d’autant plus notable dans les affaires criminelles impliquant des mineurs victimes d’infractions sexuelles suivies d’homicide et de suicide de l’auteur. Elle permettra d’alimenter les recherches sur le passage à l’acte, selon qu’il y a eu agressions sexuelles létales ou non létales. Dans l’affaire du jeune homme ayant tué toute sa famille, le juge d’instruction a sollicité le médecin légiste par ordonnance de commission d’expert afin de répondre à des questions sur les crimes commis, lesquelles emportent nécessairement des questions sur la personnalité de l’auteur. Y a -t-il eu spontanéité ou cheminement réfléchi dans la mise en œuvre des crimes commis ? Quel a été le facteur déclenchant de l’action ? L’auteur était-il atteint d’un trouble psychique existant auparavant et se révélant par l’action criminelle ?

On le comprend dans ces différentes situations, l’analyse psychologique post mortem ne se réduit pas à un examen psychologique ou psychiatrique au sens étroit du terme. Le passage à l’acte suicidaire ne se réduit pas à cette dimension subjective. La tâche de l’expert sera plus approfondie. C’est peut-être cet aspect de l’investigation qui risque de constituer un obstacle à la généralisation d’une telle procédure. Ne risque-t-on pas de mettre à mal le principe de l’extinction de l’action publique du fait du décès de l’auteur de l’infraction ? (IIIᵉ Partie).

Frédérique Fiechter-Boulvard, Maître de Conférences en Droit privé, Université Grenoble Alpes, Faculté de Droit, CRJ.

Voir aussi :

Autopsie d’un crime : au-delà de l’extinction de l’action publique (Première partie : L’autopsie d’un crime :  remède au procès qui ne se tiendra pas)