L’arme invisible : le rôle central des sanctions financières et le pouvoir de SWIFT dans la diplomatie internationale

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Les sanctions financières, souvent occultées derrière le voile de la diplomatie traditionnelle, sont devenues l’une des armes les plus puissantes dans l’arsenal de la politique internationale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ces mesures ont connu une ascension fulgurante, se transformant en instruments de coercition capables de paralyser les économies et d’isoler les nations sur la scène mondiale. L’impact de ces sanctions est particulièrement visible à travers un acteur méconnu mais omniprésent : SWIFT, l’architecture clé des paiements internationaux. Toutefois, derrière cette infrastructure technique se cache une réalité politique complexe qui interroge la souveraineté des États et la transparence des mécanismes financiers mondiaux. Explications par Virna Rizzo, Avocate, Cohen Amir-Aslani.

1. SWIFT : le gardien involontaire de la géopolitique

Fondée en 1973, SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) n’était au départ qu’une plateforme technologique neutre, destinée à standardiser et à sécuriser les messages financiers entre banques à l’échelle mondiale. Cependant, au fil des décennies, ce réseau s’est imposé comme un acteur incontournable du système financier international, facilitant plus de 9,5 milliards de transactions par an. Sa position centrale dans les échanges mondiaux a rapidement attiré l’attention des gouvernements, qui y ont vu un levier stratégique majeur pour imposer des sanctions économiques.

Les sanctions financières, lorsqu’elles restreignent l’accès à SWIFT, deviennent une arme d’une efficacité redoutable. Elles ne se contentent pas de geler les actifs ou d’empêcher certaines transactions : elles coupent littéralement un pays ou une entité du système de paiement international, rendant toute interaction financière transfrontalière quasi impossible. Ainsi, l'exclusion d’un pays du réseau SWIFT équivaut, sur le plan financier, à une mise en quarantaine.

C’est précisément ce qui s’est produit en 2012, lorsque SWIFT a été contraint de déconnecter certaines banques iraniennes après des pressions américaines et européennes liées aux sanctions contre le programme nucléaire iranien. 

Ainsi, un réseau privé, certes coopératif, peut se retrouver au centre des décisions géopolitiques mondiales, plaçant ainsi la neutralité apparente de SWIFT sous un jour critique.

La capacité de SWIFT à rester une plateforme neutre a été mise à l’épreuve à plusieurs reprises. Par exemple, en 2022, après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs banques russes ont été exclues de SWIFT, cette fois en réponse directe à une régulation du Conseil de l’Union européenne.

L’alignement de SWIFT sur les décisions politiques des grandes puissances remet en question son indépendance et soulève une question fondamentale : peut-on vraiment parler de neutralité dans un monde où la technologie est de plus en plus imbriquée dans la sphère politique ?

2. Les systèmes alternatifs : une solution ou une illusion ?

Face à cette dépendance croissante vis-à-vis de SWIFT, certains pays ont cherché à créer des alternatives. La Russie, par exemple, a mis en place son propre réseau de messagerie financière, le SPFS (System for Transfer of Financial Messages), tandis que la Chine a lancé le CIPS (Cross-Border Interbank Payment System) pour encourager l’utilisation du renminbi dans les transactions internationales. Cependant, ces systèmes restent largement marginaux par rapport à SWIFT. Leurs utilisateurs se limitent principalement à des institutions nationales ou régionales, et leur influence sur la scène financière internationale demeure faible.

Pourquoi ces alternatives peinent-elles à s’imposer ? Tout d’abord, la portée mondiale de SWIFT, avec plus de 11 000 institutions connectées, est difficile à égaler. De plus, même les systèmes comme CIPS, qui visent à rivaliser avec SWIFT, continuent d’utiliser les normes de messagerie SWIFT pour assurer la compatibilité avec les acteurs internationaux. Cette réalité met en lumière un paradoxe : bien que certains pays veuillent s’affranchir de l’influence de SWIFT, ils continuent de dépendre de ses standards pour s’intégrer aux marchés mondiaux.

3. La distorsion de la concurrence bancaire et considérations finales

Les sanctions financières, en particulier celles impliquant SWIFT, créent également une distorsion dans la concurrence bancaire mondiale. Les banques opérant dans des pays soumis à des régimes de sanctions rigoureux, notamment au sein du Groupe d'action financière (FATF), sont lourdement pénalisées par des coûts de conformité élevés. En revanche, les banques situées dans des juridictions moins strictes ou non conformes aux règles du FATF peuvent continuer leurs activités sans subir ces mêmes contraintes, profitant ainsi des opportunités de marché dans les pays sanctionnés.

Cette disparité crée une situation profondément inéquitable, où certaines institutions peuvent plus facilement contourner les sanctions, exploitant des failles dans l’application des règles internationales. Ainsi, l’harmonisation des normes financières ne suffit pas : il est tout aussi crucial d’harmoniser la mise en œuvre et le respect des sanctions. Sans cette cohérence, le jeu de la concurrence est faussé, et les sanctions perdent de leur efficacité.

Pour assurer un véritable équilibre dans l’application des sanctions et éviter la création de systèmes parallèles qui fragilisent le cadre juridique international, il est impératif de repenser en profondeur les mécanismes de régulation et de gouvernance de ces sanctions. Cela nécessite une coopération plus étroite entre les États, les régulateurs financiers, et les institutions internationales, afin de garantir que l’instrument puissant des sanctions financières soit utilisé de manière juste, cohérente, et efficace dans la défense des valeurs démocratiques et des droits humains.

Virna Rizzo, Avocate, Cohen Amir-Aslani


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