Les actions de groupe : un mirage devient réalité

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 Matthieu Boccon-Gibod etSolène Garcin-Berson, Avocats, LexavouéLe droit français connait une forte évolution, longtemps attendue par certains, avec la création d'une procédure d'action de groupe qui permettra la réparation de certains dommages subis par les consommateurs du fait de pratiques illicites de professionnels.

Si, malgré l'institution en 1992 de l'action en représentation conjointe, il n’existait pas encore de "class action" en France, c’est que ce recours suscitait l’inquiétude d’une partie des acteurs de l’économie. La volonté politique n’avait pour l’instant jamais prévalu, ce qui explique que la réforme attendue ait toujours avorté en raison de prétendus obstacles. Il semblerait, toutefois, que l’on y soit, à présent parvenu. Le 13 septembre dernier, le Sénat a adopté le projet de Loi sur l'action de groupe en des termes quasiment identiques à ceux approuvés par l'Assemblée Nationale. Le projet de loi modifié a été transmis à l'Assemblée Nationale, pour être examiné en seconde lecture.

Si le travail législatif n'est pas terminé, il est déjà possible de parler de son résultat prévisible.

Tout d'abord, une action de groupe peut être définie comme l’action introduite par un représentant pour le compte de toute une série de personnes ayant des droits identiques ou similaires qui aboutit au prononcé d’un jugement ayant autorité de chose jugée à l’égard de tous ses membres. Elle se présente ainsi comme un mécanisme processuel permettant, dans le cadre de litiges où les victimes ont subi le même dommage, de rendre une seule décision dont tous les consommateurs placés dans une situation identique pourront se prévaloir.

De peur de ressembler au modèle américain dont les excès sont connus, le texte actuel a beaucoup circonscrit le champ d’application de l'action de groupe à la française. Elle sera limitée à la réparation des préjudices patrimoniaux résultant d’un dommage matériel subi par les consommateurs à l’occasion d’une vente ou d’une prestation de services (litiges de consommation) ou de la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles. Les personnes morales quelle que soit leur taille n’en bénéficieront pas. Elle ne permettra ni la réparation des préjudices moraux, ni la réparation des préjudices corporels. L’action ne pourra être introduite que par une association de consommateurs représentative au niveau national et agréée.

Dans une première phase, le juge statuera sur la responsabilité du professionnel au vu des cas individuels présentés par l’association requérante. Il définira le groupe des consommateurs concernés et ses critères de rattachement. Il déterminera les préjudices réparables ainsi que leur montant ou les éléments permettant leur évaluation. Lorsqu'une réparation en nature du préjudice lui paraîtra plus adaptée, le juge précisera les conditions de sa mise en œuvre par le professionnel. En matière de concurrence, le juge ne pourra retenir la responsabilité du professionnel que sur la base d’une décision, devenue définitive, constatant les manquements du professionnel par les autorités de la concurrence compétentes. Dans ce cas, les manquements seront réputés établis de manière irréfragable. Dans la même décision, le juge ordonnera les mesures de publicité à la charge du professionnel, afin d’informer les consommateurs susceptibles d’appartenir au groupe. Ces mesures ne pourront être mises en œuvre qu'une fois que la décision sur la responsabilité ne sera plus susceptible de recours ordinaire ou de pourvoi en cassation.

L’action de groupe est ensuite organisée selon une variante du système d’opt in. L’action est collective, mais seules les personnes manifestant leur volonté de se joindre à l’action seront concernées par les effets de la décision. En effet, le juge fixera les délais et les modalités de l'adhésion à l'action par les consommateurs.

Puis, dans la phase dite de « liquidation des préjudices », le professionnel procèdera à l’indemnisation individuelle des préjudices subis par chaque consommateur, soit directement, soit par l’intermédiaire de l’association ou du tiers que celle-ci pourra s’adjoindre avec l’autorisation du juge, selon les dispositions du jugement.

Une procédure simplifiée est prévue lorsque l’identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus - par exemple des abonnés - et que les préjudices individuels sont d’un montant identique. Dans ce cas, le juge peut condamner le professionnel à indemniser directement et individuellement les consommateurs. Après expiration des délais de recours, ces derniers seront informés individuellement de la possibilité qu’ils ont d’être indemnisés dans les termes de la décision.

Le même juge pourra être saisi en cas de difficulté à l'occasion des phases d'adhésion et de liquidation des préjudices, que la procédure soit simplifiée ou classique.
Par ailleurs, l’existence d’une action de groupe n’interdit pas le recours à la médiation. Seule l’association requérante pourra y participer. Tout accord négocié au nom du groupe devra être homologué par le juge et prévoir la publicité relative aux modalités de l'adhésion à l'action par les consommateurs.

L'action de groupe n'interdira pas non plus les actions individuelles en dommages-intérêts, notamment pour la réparation des préjudices n’entrant pas dans le champ défini par le juge de l’action de groupe ou pour ceux subis par des consommateurs qui n’auront pas souhaité se joindre à l'action.

Le projet de Loi devrait être rapidement adopté en seconde lecture par l'Assemblée puisqu'aucun des amendements déposés ne modifiera la nature du texte.En conséquence, les sociétés concernées et leurs conseils vont bientôt être confrontés à un nouveau type de contentieux de masse, complexe à gérer. Il pourrait d'ailleurs s'avérer plus dangereux que prévu pour au moins deux raisons : contrairement à ce qui avait été prévu à l'origine, le montant des demandes ne sera pas plafonné ; la Loi prévoit déjà une extension possible de son application à la santé et à l'environnement.


Matthieu Boccon-Gibod, Avocat Associé , Lexavoué Paris-Versailles et  Solène Garcin-Berson Avocat Lexavoué Paris-Versailles


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