Deux ans après l’entrée en vigueur de la loi Sapin II et la mise en place de l’Agence Française Anticorruption (AFA), plus d’une centaine de contrôle a été effectué auprès d’entreprises ou d’entités privées et publiques. Les premiers retours d’expériences et la « charte » publiée par l’AFA éclairent sur la façon dont les entreprises doivent se préparer et sur ce qui les attend en cas de contrôle.
L’AFA a notamment été instituée pour assurer le contrôle de la mise en place et de l’efficience des mécanismes de prévention et de détection des entités entrant dans le champ d’application de la loi Sapin II (article 17), soit environ 1.600 sociétés en France.
Ces contrôles qui sont déclenchés, à l’initiative et à la discrétion du Président de l’AFA, peuvent déboucher, le cas échéant, sur un signalement au parquet des pratiques constatées et/ou, en cas de manquement aux obligations de la loi Sapin II, sur un avertissement, voire sur la saisine de la Commission des sanctions de l’AFA (laquelle peut infliger, par une décision publique, une amende d’un montant maximum de 200.000 euros pour les personnes physiques et d’un million d’euros pour les personnes morales).
Au vu de ces enjeux et de la montée en puissance de l’AFA, il semble impératif pour les entreprises soumises à la loi Sapin II de se saisir de la question de leur préparation à un éventuel contrôle.
Comment se préparer ?
Au regard des attentes de l’AFA exprimées notamment dans sa « Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles » et compte tenu des premiers retours d’expériences d’entreprises contrôlées, la préparation d’une entreprise à un éventuel contrôle de l’AFA semble devoir impérativement anticiper différents éléments d’organisation.
Les entreprises doivent, en premier lieu, procéder à une évaluation régulière des outils mis en place conformément à la loi Sapin II et communiquer en interne sur la possibilité et les implications pratiques d’un éventuel contrôle de l’AFA (disponibilité des équipes, des documents, nécessité d’éviter toute entrave au contrôle).
Elles doivent ensuite préparer en amont l’ensemble des réponses et documents devant,en cas de contrôle,être adressés à l’AFA (dans un délai impératif de 15 jours seulement). Pour ce faire, elles se référeront au document intitulé « Questionnaire et pièces à fournir aux contrôles des entités assujetties à l'article 17 » (comprenant plus de 160 questions) mis en ligne sur le site de l’AFA.
Il conviendra également de documenter chaque action de l’entreprise se rapportant aux mécanismes et outils mis en place (réunions, modifications apportées, alertes, etc.) et de centraliser la conservation de l’ensemble des données et documents pertinents.
Enfin, chaque entreprise devra désigner, en son sein, les personnes qui seront les collecteurs et rédacteurs de ces réponses(au sein des directions financière, compliance, ressources humaines et opérationnelles),ainsi que la personne qui sera le contact de l’AFA dans le cadre du contrôle.
Contrôle de l’AFA : à quoi s’attendre ?
La « Charte des droits et devoirs des parties prenantes aux contrôles » livre un aperçu d’un contrôle mené par l’AFA.
Un tel contrôle démarre par la réception, par la société visée, d’une lettre de l’AFA précisant notamment l’objet, le périmètre du contrôle entrepris, ainsi que la composition de l’équipe d’agents de l’AFA en charge du dossier. Aucun contrôle inopiné n’est en principe prévu.
Dans le cadre de ces opérations de contrôle, les agents de l’AFA se voient conférés (article 4 al. 2 de la loi Sapin II) deux pouvoirs : (i) celui de demander la communication de tout document et (ii) celui d’entendre toute personne.Toute entrave à l’exercice de ces pouvoirs peut être punie d’une peine d’amende de 30.000 euros (l’article 4 al. 5 de la loi Sapin II).
Deux types de contrôles sont prévus (pouvant se succéder, sans ordre prédéfini) : des contrôles « sur pièces » (demandes de communication de documents par courrier) et des « contrôles sur place » (demandes de documents et vérifications réalisées dans les locaux de l’entité contrôlée).
S’agissant des contrôles sur pièces, la loi Sapin II (article 4 al. 1) permet aux agents de l’AFA de demander à l’entité contrôlée la communication de tout « document professionnel », quel qu’en soit la nature ou le support, ou de toute information utile. En pratique, ces demandes sont adressées par courrier et sont systématiquement assorties d’un délai de réponse court (le plus souvent, 15 jours). Ce sera le questionnaire évoqué ci-avant qui fera, en principe, office de toute première demande de documents.
L’AFA peut également opter pour des « contrôles sur place » (après envoi d’un courrier). Au cours de ces contrôles in situ, les agents peuvent se voir remettre et copier « tout document professionnel ». Ils peuvent également conduire des entretiens « avec toute personne dont le concours leur paraît nécessaire ». Ces contrôles et entretiens peuvent se dérouler en présence de l’avocat (ou de toute autre personne désignée par l’entité contrôlée), dès lors qu’ils concernent le représentant de l’entité contrôlée. Pour ce qui concerne les autres personnes au sein de l’entité contrôlée susceptibles interrogées, la présence (discrète) de l’avocat est en principe tolérée par les agents de l’AFA.
Contrairement aux enquêtes sous contrôle judiciaire ou « enquêtes lourdes » conduites en matière de concurrence ou en matière fiscale, les agents de l’AFA ne sont pas habilités à fouiller eux-mêmes les locaux de l’entité contrôlée, ni à saisir des documents ou demander la communication de documents privés. Il n’est d’ailleurs prévu aucun recours spécifique contre le déroulement des contrôles menés par l’AFA.
Comme indiqué, les agents de l’AFA pourront seulement prendre copie, sur place, des documents consultés, étant précisé qu’aucun des documents ainsi transmis à l’AFA ne peut ensuite être communiqué à un tiers. Les agents de l’AFA sont en effet astreints au secret professionnel pour « les faits, actes ou renseignements dont ils ont connaissance en raison de leurs fonctions, sous réserve des éléments nécessaires à l'établissement de leurs rapports » (article 4 al. 3 de la loi Sapin II).
S’agissant des documents protégés par le secret des correspondance avocat-client, les entités contrôlées ne sont pas tenues de les communiquer aux agents de l’AFA. En pratique, elles pourront toutefois être tentées de communiquer de tels documents, notamment s’ils apportent la preuve d’un contrôle effectif de la mise en œuvre des outils de prévention et de détection requis.
Les opérations de contrôle s’achèvent (au terme de plusieurs semaines ou mois) par l’établissement d’un rapport de contrôle (listant un certain nombre de recommandations). Ce rapport peut être éventuellement suivi, en cas de constatation de manquements, d’un avertissement du Président de l’AFA aux représentants de l’entité contrôlée, voire de la saisine de la Commission des sanctions de l’AFA.
C’est donc à une nouvelle contrainte réglementaire que les entreprises soumises à la Loi Sapin II doivent se préparer dans leur organisation juridique et administrative, à l’aune de ce qui se pratique déjà en matière fiscale ou de droit de la concurrence.
Alexandre Eberhardt - Le Prévost, avocat au cabinet De Pardieu Brocas Maffei