Contrats informatiques : panorama de jurisprudence 2012

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Eléonore Varet, Avocat, FranklinEléonore Varet, Avocat, Franklin, nous propose un panorama de jurisprudence en matière de contrats informatiques en 2012.

Le contentieux des contrats informatiques est relativement nourri en 2012 malgré une standardisation croissante des contrats IT liée au développement du cloud computing. Les projets informatiques restent un facteur de risques pour les entreprises et les enseignements de la jurisprudence sont donc précieux pour une bonne gestion de ces risques tant au stade de la contractualisation que de la gestion du contrat.

Le contentieux 2012 permet de mieux appréhender la portée de l’obligation de délivrance conforme et l’indivisibilité dans les contrats IT. Le dol connaît également de nouveaux développements. Enfin, outre le séisme provoqué par l’affaire Oracle c/Usedsoft, une importante décision est venue valider le principe de la vente d’un ordinateur avec logiciel préinstallé.

 

1. Obligation de délivrance conforme : attention à la régression et aux produits complexes

L’obligation de délivrance conforme en matière informatique s’entend habituellement de l’obligation de livrer un matériel ou une prestation conforme à ce qui a été convenu. Un manquement à cette obligation constitue donc une faute. C’est d’ailleurs le principal fondement juridique utilisé en pratique pour engager la responsabilité du prestataire.

L’étude de la jurisprudence rendue depuis quelques années en matière de contrats informatiques conduit à un constat paradoxal s’agissant de cette obligation essentielle qui pèse sur le prestataire.

D’un côté, l’obligation de délivrance conforme semble être appréciée moins strictement par les juges, et partant, son respect se révèle moins contraignant pour le prestataire. Cette tendance jurisprudentielle se confirme à mesure que les compétences des utilisateurs en matière de projets informatiques s’affinent. Elle est le juste reflet d’un rééquilibrage des relations entre clients et prestataires.

Cela dit, d’une part, ce constat doit être nuancé en présence de solutions complexes, l’appréciation des juges dans ces cas étant susceptible de varier radicalement. D’autre part, la non-régression par rapport à la solution précédemment utilisée par le client constitue une limite claire à ce glissement.

Concernant les produits complexes, la jurisprudence est contradictoire. Dans le cas de l’intégration d’un progiciel à un système informatique complexe, par exemple, certaines décisions exigent que le client démontre un certain degré de gravité des défauts pour qu’un manquement du prestataire à son obligation de délivrance conforme soit constaté. D’autres décisions, au contraire, semblent aller dans le sens d’une plus grande exigence vis-à-vis du prestataire en présence de solution complexe.

C’est le cas d’un arrêt de la Cour d’appel d’Orléans rendu le 8 mars 2012 (1) qui retient la responsabilité du prestataire au titre de son obligation de délivrance conforme de produits complexes en relevant que "l’obligation de délivrance de produits complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue", cette mise au point supposant d’assurer la compatibilité du progiciel fourni avec le système d’information du client.

S’agissant de la régression, dans un arrêt du 17 novembre 2010, la Cour d’appel de Paris avait retenu la responsabilité du prestataire au motif de l’absence de fourniture d’une fonctionnalité essentielle d’édition de devis dans des conditions au moins aussi satisfaisantes que celles offertes par la solution précédente.

La Cour d’appel de Lyon confirme cette position, dans un arrêt du 13 juillet 2012 (2), en retenant la responsabilité du prestataire pour manquement à son obligation de livrer un logiciel parfaitement achevé du fait de la disparition dans le nouveau système proposé à un commissaire aux comptes et expert comptable de certaines fonctionnalités du système antérieur.

2. L’indivisibilité : entre conception objective et subjective

Inscrite dans le Code civil relativement aux seules obligations, l’indivisibilité s’est vue progressivement appliquée par les tribunaux aux contrats eux-mêmes et constitue un fondement prétorien efficace pour obtenir l’anéantissement d’un ensemble de contrats juridiquement distincts. Cette notion pose toutefois le problème de la préservation des intérêts contradictoires du client désireux de voir une opération anéantie dans son ensemble et du tiers contractant qui n’a commis aucune faute.

Deux conceptions de l’indivisibilité s’opposent traditionnellement, l’une "objective", reposant sur l’analyse globale de l’opération économique que l’ensemble de contrats tend à réaliser et sur l’interdépendance objective entre les diverses composantes contractuelles de l’opération envisagée, l’autre "subjective" reposant essentiellement sur la volonté commune des parties de rendre les contrats indivisibles.

Dans l’affaire Oracle du 13 février 2007, la Cour de cassation avait jugé, au visa de l’article 1131 du code civil, que les contrats de licence, de mise en œuvre, de formation et de maintenance portant sur le même ensemble logiciel « étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n'avaient aucun sens indépendamment les uns des autres ». La doctrine y avait vu la consécration de l’indivisibilité objective. Puis, quelques mois plus tard, l’affaire Exprim a jeté le doute. La Cour de cassation considérait cette fois, au visa combiné des articles 1131 et 1134 du Code civil, que la résiliation d’un contrat dont dépend directement un autre contrat prive ce dernier de la cause pour laquelle il a été conclu, entraînant sa caducité. La référence à l’article 1134 du Code civil (3) accréditait la thèse d’une indivisibilité subjective à rechercher dans la commune volonté des parties.

Un arrêt du 24 février 2012, rendu par la Cour d’appel de Paris à l’occasion d’un litige opposant la société Candy Sud et la société GFK (4), tend à concilier ces deux conceptions.

En l’espèce, Candy Sud refusait de payer des factures relatives à l’utilisation de la base de données Encodex de la société GFK au motif qu’elle n’avait pu l’utiliser du fait d’une incompatibilité de langage de développement avec l’outil de back office de la société Compario qu’elle utilisait. Concomitamment à la signature du contrat de licence d’utilisation, la société Candy Sud avait en effet signé un contrat de licence avec la société Compario pour la fourniture d’une suite logicielle destinée notamment à l’intégration de données sur son site internet.

Candy Sud était appelante d’un jugement du Tribunal de commerce de Paris l’ayant condamné au paiement des factures litigieuses et demandait, à titre principal, la résolution du contrat de licence d’utilisation de la base de données pour absence de cause au motif que ce contrat serait indivisible du contrat Compario, lequel n’avait jamais été exécuté. A ce titre, la société Candy Sud faisait valoir l’identité de date et de durée des accords, l’existence d’un partenariat entre Compario et GFK et la commune intention de rendre ces accords indivisibles, malgré l’absence de stipulation expresse.

La Cour d’appel n’a pas fait siens ces arguments et écarté l’indivisibilité en retenant, d’une part, que l’utilisation de la base de données via le "back office" Compario n’était qu’une modalité technique d’intégration de ces données sur le site internet de Candy Sud et qu’il n’est pas établi que l’exploitation du contrat de licence d’utilisation des données serait devenue impossible du fait de la défaillance du contrat signé avec la société Compario, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que les parties aient eu la commune intention de rendre leurs accords respectifs indivisibles.

La Cour d’appel de Paris refuse donc de reconnaître l’indivisibilité des contrats alléguée par Candy Sud, en mêlant approche "objective" et approche "subjective" de l’indivisibilité.

Peut-être faut-il finalement se ranger à une solution de compromis qui consisterait à faire résulter l’indivisibilité de la volonté des parties de faire du contrat de base la cause du contrat interdépendant ?

En pratique, il existe une interpénétration forte entre les deux approches, dès lors que la caractérisation de l’opération économique globale et de l’indivisibilité contractuelle en résultant se fait au travers du but recherché par les parties, entendu comme la cause subjective de leurs engagements contractuels respectifs.

 

3. Encore le dol

Dans l’affaire IBM/MAIF, le dol avait finalement fait pschitt. Après avoir été sévèrement condamnée en première instance sur ce fondement pour avoir gardé le silence sur le risque élevé de dérive d’un projet d’intégration, IBM avait vu cette condamnation infirmée en appel puisqu’il n’était pas établi qu’elle avait volontairement dissimulé à la MAIF des informations majeures relatives au calendrier, au périmètre et au budget du projet.

Le dol fait de nouveau irruption dans les contrats informatiques en 2012. Dans un arrêt rendu le 26 janvier 2012, la Cour d’appel de Lyon (5) a en effet confirmé la condamnation de GTI Industrie sur le terrain du dol pour avoir volontairement trompé son client sur la certification SAP de la solution vendue, tant dans sa plaquette commerciale que dans son offre.

Dans cette affaire, le groupe Norsud avait décidé de se doter d’un EPR et avait donc lancé un appel d’offres, notamment auprès de la société GTI Industrie (aujourd’hui Cegid). L’offre globale de ce prestataire pour la fourniture et l’installation de serveurs, la fourniture des licences et l’intégration de la solution avait été acceptée mais, lors de la mise en œuvre, des dysfonctionnements persistants n’avaient pas permis la réception fonctionnelle de la solution.

Le groupe Norsud a donc demandé en référé la désignation d’un expert judiciaire. Suite à la remise du rapport, la société Cegid a assigné le groupe Norsud en paiement de ses factures impayées tandis que la défenderesse formait une demande reconventionnelle afin d’être indemnisée de son préjudice évalué à près de 2,5 millions d’euros.

Le groupe Norsud ayant démontré qu’il avait retenu la solution proposée par Cegid en raison de la référence à un partenariat avec SAP qui lui donnait l’assurance de la fiabilité et de la pérennité de la solution, a obtenu l’annulation pour dol du contrat conclu. Pour la Cour, la référence omniprésente dans les documents commerciaux de Cegid à SAP, dont la notoriété a été un élément déterminant du consentement de Norsud, a vicié son consentement puisque la solution proposée n’était en réalité pas certifiée SAP.

Cette décision invite les prestataires à modérer leur discours commercial et à ne pas succomber à la pression de la mise en concurrence au point d’inclure dans leurs offres commerciales des informations inexactes…

 

4. Validité de la vente d’un ordinateur avec logiciel préinstallé

La 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait précisé dans un arrêt du 15 novembre 2010 relatif aux ventes liées que l’article L. 122-1 du code de la consommation qui, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 mai 2011 de simplification et d’amélioration du droit posait une interdiction de principe des ventes liées, devait s’interpréter à la lumière de la Directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales.

Le 12 juillet 2012 (6), cette même chambre de la Cour de cassation a confirmé que la vente d’ordinateur avec un logiciel préinstallé ne constitue pas une pratique commerciale déloyale si le consommateur est dûment informé de la possibilité d’acquérir l’ordinateur « nu » et des difficultés liées à cette installation.

La Cour de cassation revient ainsi sur l’arrêt de la Cour de d’appel de Versailles du 5 mai 2011 qui avait donné satisfaction à l’UFC Que Choisir contre Hewlett Packard en condamnant cette pratique. L’association estimait que la pratique de vente d’ordinateurs pré-équipés d’un logiciel d’exploitation caractérisait une pratique commerciale déloyale et avait assigné HP aux fins de la voir condamner à cesser ce type de ventes.

La Cour de cassation juge au contraire que la Cour d’appel n’a pas caractérisé la déloyauté de la pratique dénoncée, soulignant que le consommateur se voyait offrir la possibilité d’acquérir un ordinateur « nu » et que ce dernier était informé de la complexité de l’opération d’installation d’un logiciel d’exploitation.

Aux termes de la Directive, une pratique commerciale n’est déloyale que si elle figure sur la liste « noire » ou si sa déloyauté est effectivement démontrée. Il est désormais acquis que la vente liée n’est pas une pratique déloyale en soi.

 

5. Oracle c/Usedsoft : vers un marché d’occasion des biens immatériels ?

Par un arrêt du 3 juillet 2012 (7), la Cour de justice de l’Union européenne a étendu le principe d’épuisement des droits au téléchargement en ligne et retenu qu’un éditeur ne peut s’opposer à la revente de ses licences « d’occasion ». Cet arrêt a précisé que l’épuisement du droit de distribution exclusif de l’éditeur à la première « vente » s’étend à la copie du logiciel, telle que corrigée et mise à jour, et que le nouvel acquéreur de la licence d’utilisation d’occasion peut, en tant qu’acquéreur légitime de cette copie, la télécharger à partir du site internet de l’éditeur. Cette solution a provoqué un véritable séisme dans l’édition logicielle dont elle remet en cause le modèle économique, fondé sur une définition précise des droits d’utilisation concédés.

Dans cette affaire, Oracle, éditeur américain dominant du marché, avait introduit une instance devant le Tribunal de Munich (Landgericht München I) tendant à ce qu’injonction soit faite à l’entreprise allemande UsedSoft de cesser la commercialisation à bas prix de licences préalablement rachetées aux clients d’Oracle. Le Tribunal de Munich ayant fait droit à cette demande et l’appel interjeté par UsedSoft ayant été rejeté, cette dernière a introduit un recours en révision devant la Cour suprême fédérale allemande (Bundesgerichtschof). Sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne était donc invitée à apporter un éclairage sur l’interprétation des notions d’épuisement des droits et d’acquéreur légitime, au sens de la directive 2009/24 du 23 avril 2009 sur la protection juridique des programmes d’ordinateur.

Partant du constat que l’épuisement du droit de distribution est attaché, aux termes de l’article 4, paragraphe 2 de la Directive 2009/24, à la « première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur » la CJUE consacre l’autonomie de cette notion en droit européen. Elle en donne une interprétation large en retenant que le téléchargement d’une copie d’un logiciel via le site de l’éditeur constitue bien une « vente » de cette copie, dès lors que la licence afférente stipule un droit d’usage à durée indéterminée moyennant le paiement d’un prix jugé approprié, c’est-à-dire en rapport raisonnable avec la valeur économique de la copie du logiciel. La Cour en conclut que le droit de distribution de ladite copie s’épuise bien par cette première vente et que tout acquéreur ultérieur de la licence est un « acquéreur légitime », autorisé à effectuer une copie du logiciel si cela est nécessaire pour l’utiliser.

Concrètement, les acquéreurs successifs de la licence peuvent donc télécharger une nouvelle copie du logiciel (telle que mise à jour dans le cadre d’un contrat de maintenance conclu par l’acquéreur initial) sur le site de l’éditeur, sans que celui-ci ne puisse trouver à y redire.

Cette solution légalise donc le marché parallèle des « licences d’occasion », tout en exigeant des acquéreurs successifs qu’ils rendent inutilisable la copie dont ils disposent préalablement à toute revente et qu’ils ne la fragmentent pas en termes de nombre d’utilisateurs dans le cadre de la revente.

Bien que cette solution ait explicitement été rendue au regard de la directive relative à la protection des logiciels, qualifiée de lex specialis, la généralité de certaines considérations de la CJUE invite à s’interroger sur sa portée et son application éventuelle à toute œuvre protégée par un droit d’auteur ou un droit voisin. Un certain nombre de points sont laissés sans réponse. Il appartiendra donc à la CJUE et aux juridictions nationales de préciser les contours de cette solution.

A suivre donc en 2013…

 

Eléonore Varet, Avocat, Franklin

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NOTES

1. Cour d’appel d’Orléans, chambre commerciale, 8 mars 2012, n°.11-02238, Carty c/Neroisel

2. Cour d’appel de Lyon, 1ère chambre civile, 13 juillet 2012, n°.11-01312, Afirec c/ Cegid

3. Article 1134 du code civil : "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi".

4.  Cour d’appel de Paris, Pôle 5, 2ème chambre, 24 février 2012, GFK c/ Candy Sud

5.  Cour d’appel de Lyon, 1ère chambre civile, 26 janvier 2012, Cegid c/ SAS Norsud

6. Cour de cassation, 1ère civ., 12 juillet 2012, no. 11-18807

7.  CJUE, 3 juillet 2012, affaire C-128/11, UsedSoft GmbH / Oracle International Corp.


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