De la grande distribution à internet : on n’exclut pas un mode de distribution

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ecrireMarie-Pierre Bonnet Desplan, Associée, Ernst & Young Société d'Avocats, nous propose un éclairage sur les modes de distribution des entreprises.

Une entreprise ne peut maîtriser les prix auxquels ses distributeurs revendent ses produits, au moins dans un système classique d’achat-revente puisqu’il existe d’autres systèmes de distribution donnant un peu plus de maîtrise au fabriquant. Ce que les entreprises savent moins, c’est qu’elles ne peuvent pas non plus choisir librement le mode de commercialisation des leurs produits ou, du moins, ne peuvent-elles exclure d’emblée un certain type de distribution : le droit de la concurrence y veille et sanctionne celles qui ferment la porte, directement ou par voie plus détournée, à une certaine catégorie de distributeurs.

Certes, la distribution sélective permet de sélectionner les revendeurs sur la base de critères qualitatifs définis et justifiés ; elle ne permet cependant pas d’exclure d’emblée un canal de distribution. Chacun doit pouvoir démontrer qu’il satisfait les critères, sans a priori.

Pendant longtemps l’indésirable fût pour un certain nombre de marques la grande distribution. Sans pouvoir l’exclure d’emblée, ces marques tentèrent donc de contourner le problème en définissant des critères qualitatifs de distribution sélective et les grandes enseignes s’attachèrent à leur tour à satisfaire ces critères en améliorant la qualité de leurs rayons et de leur service : les univers de parapharmacie en sont la parfaite illustration. L’histoire se répète et, comme le fût en son temps la grande distribution, internet apparaît comme un nouvel indésirable.

Pour autant, une telle pratique des marques n’est pas sans risque, comme l’illustrent deux décisions récentes, l’une de la Cour de cassation (1), l’autre de l’Autorité de la concurrence.

Exclure la grande distribution reste interdit.

Un producteur de vins avait résilié pour faute le contrat de distribution le liant à un grossiste au motif que celui-ci avait vendu ses vins à Metro et Monoprix, revendeurs qui ne figuraient pas dans l’une des catégories de revendeurs auxquels le grossiste était autorisé à vendre les vins, à savoir : les professionnels exclusivement spécialisés dans la vente de vins et spiritueux, la grande restauration, les associations bachiques, gastronomiques et autres clubs oenophiles.

La Cour d’appel de Lyon, puis la Cour de cassation condamnèrent une telle clause au motif qu’elle "excluait a priori les commerçants de la grande distribution".

En d’autres termes, il est nécessaire de définir les critères objectifs et qualitatifs que doivent remplir les distributeurs, puis de déterminer si tel ou tel revendeur, quelque soit le canal auquel il appartient, satisfait ou non lesdits critères. Il importe peu que les revendeurs de la grande distribution n’aient eu que peu voire aucune chance de satisfaire ces critères et donc d’être retenus dès lors qu’ils ne pouvaient être exclus d’emblée et qu’une analyse au cas par cas de leur situation sur la base des critères prédéfinis était nécessaire. C’est bien le terme "a priori" de l’attendu de la Cour de cassation qui est ici important.

Pour internet, la situation est un peu différente mais le raisonnement est le même.

Les marques sous distribution sélective, et seulement celles-là, ont en effet obtenu l’autorisation d’exclure le canal des "pure players". Elles ne peuvent cependant empêcher leurs points de vente physiques, lorsqu’ils sont agréés, de procéder eux-mêmes à une distribution internet à partir de leurs propres sites web.

C’est pour ce motif que la marque hi-fi vidéo haut de gamme Bang & Olufsen est aujourd’hui sévèrement condamnée par l’Autorité de la concurrence (2), illustrant au passage que la règle s’applique à tous, y compris aux marques que l’on pourrait qualifier de niche et que l’on pense a priori peu concernées par le commerce électronique.

Rédigé en 1989, alors qu’internet n’existait pas, le contrat de distribution sélective Bang & Olufsen interdisait la vente par correspondance. En 2000, la marque a diffusé une circulaire relative à la politique d’utilisation d’internet par ses distributeurs énonçant les informations pouvant être contenues sur les sites : le revendeur peut mentionner qu’il est qualifié pour donner des conseils sur les produits de la marque ; il peut inviter les clients à des démonstrations ; il peut renvoyer sur le site officiel Bang & Olufsen à l’aide d’un lien sur son site personnel.

Ainsi, la circulaire ne fait aucune référence à la possibilité ou non de vendre sur internet mais, selon l’Autorité de la concurrence, la liste est limitative. Par ailleurs, celle-ci relève en outre que l’utilisation des logos, marques et autres biens immatériels appartenant au groupe n’est pas autorisée sur les sites web personnels. S’appuyant également sur quelques déclarations des responsables de la filiale française de la marque lors de l’enquête, qui tentaient de justifier l’exclusion de la vente par internet par la nature même des produits, et de deux distributeurs du réseau, l’ Autorité de la concurrence en a déduit que l’interdiction de la vente par correspondance exprimée dans le contrat initial avait été étendue par la circulaire à la vente par internet. Même en l’absence de trace d’un refus effectif opposé à un distributeur, l’absence de permission expresse de vendre sur internet qui s’analyserait en un découragement suffit pour condamner la marque à une amende de… 900.000 euros.

Explicitement ou implicitement, les marques ne peuvent donc interdire la vente sur internet de leurs produits par leurs distributeurs agréés. Tel est le principe du droit de la concurrence et il s’applique à tous comme a sans doute voulu le réaffirmer avec force l’Autorité de la concurrence, faisant primer dans la présente affaire une analyse très juridique sur une analyse économique de la situation de la marque et de sa distribution, qui aurait peut-être abouti à des conclusions plus nuancées ou une amende moins élevée.

Aussi, même les marques qui ne se sentent pas aujourd’hui concernées par internet devraient être vigilantes : faudra-t-il aller jusqu’à affirmer expressément dans le contrat ou les circulaires cette faculté de vendre sur internet ou simplement vérifier que rien dans leur dispositif contractuel ou factuel ne constitue un frein à cette forme de distribution si certains de leurs distributeurs venaient à souhaiter l’utiliser ?

 

Marie-Pierre Bonnet Desplan, Ernst & Young Société d'Avocats


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NOTES

1. Com., 18 décembre 2012, n°11-27342
2. Autorité de la concurrence, 12 décembre 2012, n°12-D-23, Bang & Olufsen

 


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