Des loteries "100 % gagnant" si elles sont 100 % gratuites

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etienne petit_mathieuInterprétant le point 31 de l’Annexe 1 de la directive PCD du 11 mai 2005, qui répute agressive les promotions qui annoncent aux consommateurs qu’ils ont déjà gagné alors, qu’en réalité, pour obtenir leur prix, il doivent verser une somme ou supporter un coût, la Cour de Justice de l’Union Européenne retient, dans un arrêt du 18 octobre 2012, une lecture stricte du texte. Une décision lourde de conséquences pour les loteries "100 % gagnant", dont les enseignements vont au-delà des simples jeux.

CJUE 18 oct. 2012, C-428/11, Purely Creative Ltd et autres contre Office of Fair Trading

A l’origine ce cette affaire, plusieurs publicités adressées nominativement par courrier ou publiées dans la presse informant le destinataire qu’il avait gagné l’un des prix présentés. Des prix allant de presque rien ("les plus répandus", ce qui était précisé) à beaucoup plus. Mais pour connaître son prix, il fallait soit téléphoner en utilisant un numéro surtaxé (option mise en avant) , soit envoyer un SMS, soit adresser un courrier par la poste. Or, s’il était informé du coût à la minute et de la durée maximale de l’appel surtaxé, la publicité cachait au participant que la durée minimale d’un appel surtaxé était juste un peu plus courte que la durée maximale et que 80 % des revenus des appels étaient reversés à l’organisateur. Le consommateur ignorait également que pour les lots d’importance, des frais d’assurance et de livraison seraient exigés et que 99 % des participants gagnaient un lot d’une valeur inférieure aux dépenses engagées. Bref, tout était prévu pour que l’opération, dont l’objectif était de constituer ou de mettre à jour des bases de données prospects, soit entièrement financée par les participants.
Ainsi, s’il avait la chance de faire partie des 356 578 gagnants d’une croisière en Méditerranée pour quatre personnes, le consommateur pouvait réclamer son prix en remplissant un formulaire et en payant 14,95 livres pour l’assurance et le port. Il recevait alors un bon aller-retour lui permettant de bénéficier d’un transport au départ de l’Angleterre vers le lieu de départ de la croisière (Corse, Sardaigne ou Italie) pour un prix de 159 Livres. Sans compter le supplément cabine, la nourriture, les boissons et taxes portuaires. Au total, pour deux couples, un coût par participant d’environ 400 Livres…

A la suite du litige opposant les sociétés organisatrices à l’Office of Fair Trading, autorité indépendante chargée de la protection des consommateurs, la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation du point 31 de l’Annexe 1. Ce texte, repris à l’article L. 122-11-1, 8° du Code de la consommation, répute agressive la pratique consistant à donner la fausse impression que le consommateur a déjà gagné, gagnera ou gagnera en accomplissant tel acte un prix ou un autre avantage équivalent, alors que, en fait : soit il n'existe pas de prix ou autre avantage équivalent (en réalité, il n’a rien gagné) ; soit l'accomplissement d'une action en rapport avec la demande du prix ou autre avantage équivalent est subordonné à l'obligation pour le consommateur de verser de l'argent ou de supporter un coût (en réalité, pour obtenir son prix, il doit faire une dépense).

La décision de la CJUE, intéressante au moins à trois titres, a des conséquences pratiques importantes.

La pratique est déloyale, même si elle n’est pas trompeuse

Le point 31 de l’Annexe répute agressive la pratique qui donne « la fausse impression » que le consommateur a gagné « alors que, en fait », pour obtenir son prix, il doit verser une somme ou supporter un coût. Cela signifie-t-il que donner une « fausse impression » constitue une condition autonome de l’infraction ? Concrètement, si le message précise clairement, de manière lisible et intelligible, que le consommateur doit supporter un coût (un appel surtaxé, des frais de délivrance ou de livraison, etc.) pour obtenir son prix, la pratique est-elle encore déloyale ?
Oui, répond la Cour. Au terme d’un examen de la syntaxe grammaticale de l’article, elle considère que la deuxième partie du texte met en avant deux circonstances factuelles (n’avoir rien gagné ou avoir à supporter un coût pour obtenir son prix) qui explicitent la première partie de celui-ci. Une fausse impression est donc donnée lorsque l’une des deux circonstances factuelles est caractérisée.
Pour la Cour, l’adjectif « fausse » employé par la directive (et qui n’est pas repris dans la version française de l’article L. 122-11-1, 8° du Code de la consommation), n’est pas indispensable pour comprendre le texte : « la pratique interdite est constituée par l’action de donner l’une des impressions visées dans la première partie (vous avez gagné, vous gagnerez ou vous gagnerez en faisant), alors que ces impressions ne correspondent pas à la réalité ».
Cette interdiction est absolue et si elle est méconnue, la pratique est réputée déloyale sans qu’il soit nécessaire de se livrer à une appréciation des circonstances en cause, en s’intéressant à l’intention de tromper de l’organisateur ou au caractère trompeur du message. Concrètement, le fait que l’organisateur informe les participants qu’ils vont devoir payer pour savoir ce qu’ils ont gagné ou pour pouvoir prendre possession de leur prix, en indiquant des prix réels et expliquant correctement à quoi ils correspondent, n’y change rien.
L’apport de la décision dépasse ici la simple question abordée en ce que la Cour explique comment doivent être interprétées les 31 pratiques réputées déloyales de l’Annexe 1. Rappelant l’objectif de la directive, qui est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer "un niveau élevé de protection des consommateurs" (art. 1er) en assurant la sécurité juridique de tous, la Cour souligne que l’un des moyens permettant de l’atteindre a consisté à regrouper dans cette Annexe les pratiques qui sont, en toutes circonstances, déloyales et qui ne nécessitent pas une évaluation au cas par cas. Une interprétation qui imposerait d’établir un élément de tromperie ne permettrait pas d’atteindre cet objectif car elle conduirait à des "évaluations difficiles, effectuées au cas par cas, que l’inclusion de la pratique dans cette annexe I vise précisément à éviter" (pt. 46).
Donc, pas d’appréciation au cas d’espèce : les pratiques sont réputées trompeuses ou agressives et peu importe qu’elles l’aient été ou non.

Aucune dépense, même minime, à la charge des gagnants

Est réputé déloyal le fait d’exiger du gagnant qu’il "verse de l’argent" ou "supporte un coût". La règle, qui ne souffre aucune exception, interdit de faire supporter le moindre coût, pas même l’achat d’un timbre poste ou le coût d’une communication téléphonique ordinaire : "un prix pour lequel le consommateur est tenu d’effectuer un paiement quelconque ne peut pas être qualifié de prix".
La décision va très loin en interdisant, pour ce type de loteries, les canaux de participation multiples dont l’un au moins est gratuit. En effet, pour la Cour, puisque c’est la perspective même de prendre possession du prix qui influence le consommateur et qui peut l’amener à choisir le moyen le plus rapide pour savoir ce qu’il a gagné, alors que c’est le plus cher (par exemple, un appel surtaxé), on ne peut accepter qu’il y ait "plusieurs méthodes proposées au consommateur par le professionnel, dont au moins l’une d’elles serait gratuite". Il faut donc un mode de communication des résultats gratuit et exclusivement gratuit.

L’information portant sur la nature des prix

Un autre enseignement de cette décision, qui concerne l’ensemble des loteries et jeux concours, porte sur la description des dotations et l’information qui doit être fournie aux participants. Une information « claire et adéquate » appréciée en fonction du destinataire référent ou du groupe de destinataires référents, qui précise en quoi consiste le prix. Une information disponible et des textes lisibles, clairs et compréhensibles par leurs destinataires avec, en cas de divergence, une appréciation par les juridictions nationales.
La cour prend l’exemple de la croisière offerte en dotation : il faut indiquer les dates du voyage, les points de départ et d’arrivée, les conditions de logement et de nourriture. Autre exemple : si l’on offre  "d’assister à un match", sans autre précision, cela induit la prise en charge des frais de déplacement, alors que l’expression "un billet d’entrée" pour un match ne l’induit pas.

Les conséquences pratiques de cette décision

La solution ne concerne pas toutes les loteries promotionnelles, mais seulement les loteries 100 % gagnantes, c’est-à-dire celles pour lesquelles le message annonce que tous les destinataires gagnent quelque chose. Dans ce cas, aucune dépense ne peut être demandée aux participants pour savoir ce qu’ils ont gagné ou obtenir la délivrance de leur prix. Aucune dépense, pas même le coût d’une communication téléphonique ordinaire ou un timbre poste, même si, à côté, il est prévu un mode parfaitement gratuit : fini le double canal de participation.
La solution ne remet pas en cause, en revanche, la possibilité de réserver la participation aux seuls acheteurs du produit porteur de l’offre puisque ce n’est pas l’éventuelle dépense exigée du consommateur pour pouvoir participer qui est interdite (la question des frais de participation), mais les frais imposés pour connaître son prix ou obtenir sa délivrance.
L’interdiction d’imposer la moindre dépense aux gagnants conduit-elle à interdire la remise d’un bon de réduction à titre de lot ? La question est posée. On sait qu’elle avait été, il y a longtemps, à l’origine d’une divergence entre la Cour de Caen, qui le refusait, considérant qu’il fallait acheter, et donc dépenser, pour pouvoir bénéficier de son lot (CA Caen, 4 mars 1992), et la Cour de Rennes qui, au contraire, l’admettait, dans la mesure où le participant n’engageait, pour pouvoir gagner, aucune dépense (CA Rennes, 8 oct. 1992). A priori, le point 31 de l’Annexe 1 ne devrait pas s’y opposer puisqu’il ne s’agit ici ni d’une dépense engagée pour savoir ce que le consommateur a gagné ni pour prendre possession de son prix, ce qui devrait exclure la qualification "d’action en rapport avec la demande du prix". Mais on ne saurait exclure, en l’état, une interprétation plus rigoureuse consistant à juger que pour profiter du gain promis, le consommateur doive payer. La prudence s’impose.

Ce qu’il faut en retenir :

• La solution ne concerne que les loteries 100 % gagnantes, c’est-à-dire celles pour lesquelles le message annonce que tous les destinataires gagnent quelque chose.
• Elle concerne toutes les loteries 100 % gagnantes, que la participation soit ouverte à tous ou réservée aux seuls acheteurs, ce qui reste possible.
• Aucune dépense ne peut être demandée aux participants pour savoir ce qu’ils ont gagné ou obtenir la délivrance de leur prix.
• Aucune dépense, pas même le coût d’une communication téléphonique ordinaire ou d’un timbre poste
• Aucune dépense même s’il est prévu, en plus d’un mode payant de communication des résultat, un mode parfaitement gratuit.

 

 

Etienne PETIT, Juriste, Cabinet Mathieu & Associés - Auteur du "Guide du nouveau droit de la publicité et de la promotion des ventes" (Edition Gualino, février 2012).

 

 


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