Emmanuel Meril, avocat associé au sein du cabinet Lefèvre Pelletier à Shanghaï, décrypte pour Le Monde du Droit les risques pour les sociétés françaises de la lutte anti-corruption chinoise.
Le thème de la lutte anti-corruption en Chine a été longtemps un véritable marronnier dans les médias chinois et les discours officiels. Cependant si la lutte anti-corruption semblait auparavant frapper uniquement quelques cadres locaux systématiquement condamnés lors de procès médiatisés, désormais, les médias chinois se sont fait l’écho de plusieurs enquêtes lancées contre des sociétés étrangères.
Il semble en effet que le pouvoir central, souhaite faire passer le message que la lutte contre la corruption concerne désormais l’ensemble des acteurs économiques y inclus les sociétés étrangères. Certaines de ces dernières, souvent à l’initiative de leurs directions locales, se sont en effet tout à fait acculturées à la Chine en recourant au versement d’«enveloppes rouges», d’où les accusations récentes des autorités chinoises contre des multinationales notamment dans le domaine pharmaceutique ou de l’énergie.
Outre l’application de la législation chinoise de lutte contre la corruption, se pose également pour les groupes français la question de l’application à des pratiques ayant lieu en Chine, de la législation française.
I. L’arsenal répressif chinois
A. La mise en œuvre de la responsabilité des sociétés
Les activités menées en Chine par les sociétés étrangères et/ou leurs filiales sont visées principalement par la Loi sur la concurrence déloyale et le Code pénal chinois qui sanctionnent tous deux les pratiques de corruption.
La Loi sur la concurrence déloyale sanctionne expressément le fait pour une société d’offrir des avantages indus (argent, marchandises ou remises) à un tiers en contrepartie d’avantages commerciaux (corruption active) , ou le fait pour un tiers de recevoir de tels avantages à sa demande ou sur proposition de celui qui confère les avantages (corruption passive).
Une personne morale proposant par exemple des commissions afin de remporter un appel d’offre pourra se voir condamnée à payer une amende comprise entre 10.000 et 200.000 RMB (entre 1.200 et 24.000 Euros). Les gains illégaux pourront être également confisqués.
Le montant des amendes encourues est donc peu dissuasif pour les entreprises, ce qui relativise la portée de cette réglementation.
Le fait pour une personne morale de donner une somme d’argent à un tiers afin d’obtenir un avantage est réprimé dès que les avantages conférés s’élèvent à un montant supérieur à 200.000 RMB (environ 24.000 euros).
Ce montant est faible mais les peines encourues par les personnes morales sont, quant à elles, plutôt floues. Le montant minimum et maximum de l’amende n’est ainsi pas spécifié au sein du Code pénal.
La société pourra en outre essayer de se dédouaner en prouvant qu’elle a fourni des efforts raisonnables afin de prévenir et d’interdire de telles pratiques notamment au sein de son règlement intérieur. A titre préventif, il convient donc de bien vérifier que le règlement intérieur des filiales chinoises prohibe fermement et sanctionne des faits de corruption afin de pouvoir dégager la responsabilité des filiales en cas de problème.
Quoi qu’il en soit, les poursuites et les condamnations à l’encontre des entreprises étrangères sont longtemps restées exceptionnelles. Si à l’heure actuelle la forte couverture médiatique au sujet des poursuites contre les entreprises étrangères visées commencent à installer un doute à cet égard, les poursuites sont encore assez rares.
B. La mise en œuvre de la responsabilité des dirigeants
S’il semble plutôt favorable aux personnes morales, le Code pénal est cependant moins indulgent envers les personnes physiques qui se livreraient à de telles pratiques notamment car leur responsabilité directe est plus facile à établir. Ainsi une transaction d’un montant de 10.000 RMB (environ 1.200 euros) est suffisante si cette dernière a lieu entre personnes physiques pour voir la responsabilité pénale personnelle du salarié engagée en cas de corruption active, même si celle-ci a été réalisée au profit de l’employeur uniquement.
De même, les peines encourues sont plus coercitives pour les personnes physiques que pour les sociétés. En fonction de la gravité du cas, une personne physique pourra ainsi être condamnée à une amende, à la confiscation de ses biens, à une détention de 6 mois, à une peine d’emprisonnement allant de 6 mois à 15 ans, voire à la perpétuité. La peine de mort peut également être prononcée à l’encontre de fonctionnaires si le montant des pots de vin acceptés est très important.
Le Code pénal ne prévoyant pas de dispositions spécifiques à l’encontre des dirigeants, ces derniers engageront leur responsabilité pénale conformément au droit commun à savoir s’ils sont considérés comme « directement responsables » des infractions. Le dirigeant verra donc sa responsabilité pénale engagée que s’il est prouvé qu’il a participé ou qu’il a expressément approuvés ou ordonnés les faits reprochés. Une simple connaissance des faits de corruption ne suffit pas à prouver la responsabilité directe du dirigeant suspecté. Une des principales inquiétudes des groupes est de voir engagée la responsabilité personnelle du représentant légal (celui-ci résidant souvent à l’étranger et occupant un poste à responsabilité également au sein de la maison mère) pour des faits de corruption effectués à son insu. Cependant, ce dernier ne sera jamais puni, ce même en cas de condamnation de la société, à moins d’avoir participé aux actes de corruption.
II. L’arsenal répressif français
Le Code pénal français sanctionne la corruption active (fait de corrompre) et la corruption passive (fait d’être corrompu), permettant ainsi de poursuivre séparément le corrupteur et le corrompu mais aussi de ne pas lier leurs sanctions.
En matière de corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, la responsabilité pénale d’une société française ne pourra être engagée que pour des infractions commises pour son compte par ses organes ou représentants. Autrement dit, la filiale chinoise doit agir pour le compte de la société mère en France pour que la responsabilité de cette dernière puisse être engagée. A cet égard, les tribunaux français ont déjà retenu la responsabilité d’une société française en matière de corruption par l’intermédiaire de ses représentants qui avaient mis en œuvre la politique commerciale de ladite société et avaient participé pour son compte à un système de versement de commissions. C’est pourquoi, afin d’échapper à la mise en œuvre de leur responsabilité pénale en France, certains groupes ont tendance à localiser leur département compliance et à faire payer d’éventuelles commissions par leurs filiales étrangères.
Par ailleurs, la jurisprudence française donne une interprétation assez restrictive des notions d’organe et de représentant, ainsi que des activités engagées pour le compte de la société. Ainsi, en pratique, la condamnation des sociétés françaises pour des actes de corruption commis par leurs filiales à l’étranger demeure relativement rare. Sur ce point, le dispositif français de lutte contre la corruption fait d’ailleurs l’objet de nombreuses critiques de la part de l’OCDE.
Dans le secteur public, la corruption active est le fait pour quiconque de proposer directement ou indirectement des avantages quelconques afin d’obtenir d’un agent public (i) soit qu’il accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou facilité par celle-ci, (i) soit qu’il abuse de son influence réelle ou supposée en vue d’obtenir toute décision favorable d’une autorité publique. De même, le fait d’acquiescer à la demande d’un agent public qui réclame un avantage indu est également un acte de corruption active.
A contrario, la corruption passive est le fait pour un agent public de solliciter ou d’agréer directement ou indirectement un avantage quelconque pour effectuer un des actes susmentionnés.
Ces infractions sont également définies dans le secteur privé dans des termes équivalents.
Concernant les sanctions, la corruption d’un agent public national ou étranger est passible de 10 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende et de 5 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende en matière de corruption privée.
Par ailleurs, une action civile en réparation du préjudice causé par l’acte de corruption peut éventuellement être portée devant les tribunaux. Néanmoins, en raison de la difficulté de la preuve pesant sur le demandeur, ces actions demeurent peu répandues en pratique.
Emmanuel Meril, avocat associé au sein du cabinet Lefèvre Pelletier à Shanghai