Contrôle parental : clarifications sur les nouvelles obligations des fabricants à compter du 13 juillet 2024

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Portée par le député Bruno Studer, la loi n°2022-300 du 2 mars 2022 et son décret d’application n°2023-588 du 11 juillet 2023 imposent aux fabricants, distributeurs et vendeurs d'appareils connectés de nouvelles obligations en matière de contrôle parental. Effectives dès le 13 juillet 2024, ces mesures visent à garantir que tous les dispositifs permettant de naviguer sur Internet soient équipés de systèmes de contrôle parental gratuits et facilement accessibles. L'ANFR, chargée de veiller au respect de ces obligations, a récemment publié un rapport détaillant les exigences et les principaux défis pour les fabricants. Ces initiatives, bien que nécessaires, suscitent des interrogations quant à leur compatibilité avec les principes de libre circulation au sein de l’Union européenne.

Les enfants n’échappent pas à l’attrait aux technologies, aux écrans et à Internet. Les pouvoirs législatifs se sont donc emparés du sujet, à plusieurs reprises, que ce soit dans le cadre de la loi visant à protéger le droit à l’image des enfants ou celle visant à protéger les droits des enfants influenceurs.

Le gouvernement a également soutenu l’initiative de légiférer en matière de contrôle parental, partant du constat que certains outils actuels étaient encore trop peu connus ou utilisés des parents.

C’est dans ce contexte que, sous l’impulsion du député Bruno Studer (Renaissance), la loi n°2022-300 du 2 mars 2022 et son décret d’application n°2023-588 du 11 juillet 2023 sont venus imposer de nouvelles obligations en matière de contrôle parental à la charge des opérateurs économiques intervenant dans la fabrication, distribution et vente d’appareils permettant de naviguer sur internet.

Ces obligations seront effectives à compter du 13 juillet 2024.

L’ANFR (l’Agence Nationale des Fréquences, notamment en charge du contrôle de la puissance maximale des ondes émises par les appareils électroniques) s’est vue confier la mission du contrôle de ces nouvelles obligations.

Ces derniers mois, elle a consulté certains des principaux fabricants et parties prenantes afin d’évaluer les mesures déjà en place ainsi que les éventuelles difficultés identifiées pour s’y conformer. Le 20 mars 2024, elle a publié un rapport analysant l’état du marché français au regard de ces nouvelles exigences.

La rédaction de la Loi et du Décret Studer posait (et pose encore) plusieurs points d’incertitudes pour les fabricants (liste exacte des appareils concernés, nature précise des contenus devant faire l’objet d’un filtrage, modalités concrètes de mise en place de ce filtrage, etc.).

Bien que l’avis de l’ANFR n’ait pas de valeur normative et ne permette pas de pallier la carence du législateur, ce rapport permet néanmoins d’éclairer les fabricants sur l’interprétation que fait l’ANFR des dispositions de la loi et du Décret Studer, ainsi que sur certains des points les plus susceptibles de faire l’objet de contrôles et de sanctions.

Equipements terminaux concernés

La loi Studer vise « [l]es équipements terminaux destinés à l'utilisation de services de communication au public en ligne donnant accès à des services et des contenus susceptibles de nuire à l'épanouissement physique, mental ou moral des mineurs » [1].

L’ANFR déduit de cette disposition que les équipements qui devront comprendre un dispositif de contrôle parental seront tous ceux qui permettent de naviguer sur internet et qui disposent d’un magasin d’application, en ce compris « notamment » :

  • Les ordinateurs ;
  • Les smartphones ;
  • Les tablettes ;
  • Les télévisions connectées ;
  • Les montres connectées ;
  • Les systèmes de navigation embarqués ;
  • Les consoles de jeux ;
  • Les liseuses.

L’ANFR fait donc une interprétation très large du champ d’application de cette disposition, considérant même qu’un système de navigation embarqué (GPS), serait un équipement terminal « susceptible de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs » (puisque telle est la lettre de la Loi Studer) et que leurs fabricants seraient donc tenus d’y installer un dispositif de contrôle parental.

L’ANFR précise tout de même que les équipements terminaux ne permettant aucune navigation sur internet et ne disposant d’aucun magasin d’application sont exclus du champ d’application.

Modalités du contrôle parental

Pour les équipements terminaux neufs :

Chacun des appareils susmentionnés devra inclure un dispositif de contrôle parental, « gratuit », « aisément accessible et compréhensible » permettant au minimum[2] :

  • La possibilité de bloquer le téléchargement et l’accès à certains contenus, susceptibles de nuire à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs mis à disposition par les magasins d’applications. Ces contenus sont ceux dont la mise à disposition est légalement interdite au mineurs ou régis par l’article 32 de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998, soit concrètement, de manière non exhaustive, les contenus violents, pornographiques, de nature à porter atteinte à la dignité humaine, à inciter les mineurs à se livrer à des jeux les mettant en danger, promouvant l’alcool, les jeux de hasard, faisant place au crime, à la discrimination, à la haine etc. ;
  • La possibilité de bloquer l’accès aux contenus préinstallés et relevant des mêmes catégories de contenus que celles susvisées ;
  • La possibilité d’activer et de configurer ce dispositif de contrôle parental doit être proposée à l’utilisateur lors de la première activation de l’appareil. Comme l’explique le député Bruno Studer, l’idée derrière cette fonctionnalité est d’attirer l’attention des parents sur l’existence du dispositif de contrôle parental et de les confronter directement au choix de l’activer ou non.

Dans son rapport, l’ANFR précise que les obligations portent uniquement sur les contenus installés ou téléchargeables via les boutiques d’applications logicielles, et que sont donc exclus les sites internet du champ des contenus à bloquer. Cette précision est la bienvenue puisqu’elle ne se dégageait pas clairement de la lettre de la Loi ni du Décret Studer. 

Pour les équipements terminaux d’occasion[3] :

  • Les équipements terminaux d’occasion dont la mise sur le marché serait antérieure au 13 juillet 2024 ne seront pas soumis aux obligations susvisées. Les opérateurs les commercialisant seront (uniquement) tenus d’une obligation d’information quant à l’existence de dispositifs de contrôle parental pouvant être installés sur le terminal.
  • Les équipements terminaux d’occasion dont la mise sur le marché serait postérieure au 13 juillet 2024 seront soumis aux mêmes obligations que les équipements terminaux neufs.

Autres mesures

La Loi et le Décret Studer prévoient également :

  • Données personnelles des mineurs: le Décret Studer prévoit un encadrement strict des données personnelles des mineurs. Il précise notamment qu’aucune donnée collectée dans le cadre de la configuration du contrôle parental ne pourra être réutilisée par les opérateurs économiques concernés à des fins commerciales.[4] 
  • Exigences administratives: il prévoit par ailleurs l’établissement d’une documentation technique et d’un certificat de conformité pour chaque type d’équipement terminal.[5]
  • Contenus informatifs et préventifs: il précise également que la documentation requise devra être complétée de contenus informatifs et préventifs en matière[6] :
    • d’harcèlement en ligne ;
    • de pratiques addictives en ligne ;
    • d’exposition des mineurs aux contenus inappropriés, et
    • de surexposition ou d’exposition précoce des utilisateurs d’écran.

Principaux manquements constatés

L’étude de marché menée par l’ANFR lui a permis de constater que de nombreux dispositifs prévoient d’ores et déjà des fonctionnalités de contrôle parental. Elle a néanmoins constaté, lors de tests qu’elle a menés, certains écarts avec les exigences à venir :

  • Absence de proposition d’activation dès la première mise en service: seule une partie des équipements testés proposent déjà une activation du système de contrôle parental dès la première activation de l’appareil.
  • Age minimal pour la création d’un compte de contrôle parental: une plateforme testée par l’ANFR ne permettait pas d’activer le contrôle parental pour les enfants de plus de 13 ou 15 ans, ce qui conduirait pour l’ANFR à sa non-conformité.
  • Mauvaise catégorisation d’applications : l’ANFR donne l’exemple de certaines applications ayant visiblement été mal catégorisées, notamment certaines explicitement interdites aux mineurs mais demeurant accessibles malgré l’activation du contrôle parental.
  • Configuration non-intuitive du contrôle parental sur une console de jeu: l’ANFR a relevé que la mention « approprié jusqu’à 18 ans » proposée par une console de jeu, était contre-intuitive puisque pour bloquer les contenus interdits aux moins de 18 ans, il fallait sélectionner « appropriés jusqu’à 17 ans ». Selon l’ANFR ce dispositif de contrôle parental n’était donc pas conforme en ce qu’il n’était pas aisément accessible et compréhensible et compréhensible.
  • Dénomination non explicite de la fonctionnalité de contrôle parental : l’ANFR considère que lorsque la fonctionnalité ne mentionne pas expressément quelle est relative au « contrôle parental », elle peut ne pas être conforme aux exigences d’accessibilité et de compréhensibilité applicables à compter du 13 juillet 2024.

Sanctions

Calquée sur la procédure existant en matière de dépassement du DAS (Débit d’Absorption Spécifique – puissances maximales autorisées pour les appareils radioélectriques) la procédure de sanction en matière de contrôle parentale s’avère particulièrement dissuasive. Elle prévoit[7] :

  • Mise en demeure: Lorsque des manquements aux obligations susmentionnées sont constatés par l’ANFR, après une procédure contradictoire, elle met en demeure le fabricant et l’opérateur économique concerné de prendre, dans un délai qu’elle détermine, toutes les mesures correctrices appropriées pour mettre les appareils en conformité ou les retirer du marché.
  • Rappel des produits ou Retrait du marché : si les produits n’ont pas été mis en conformité à l’issue de la période déterminée dans la mise en demeure, l’ANFR peut ordonner le retrait temporaire et/ou le rappel des produits du marché national.
  • Amende : l’ANFR peut par ailleurs prononcer, à l’issue d’une procédure contradictoire, une amende administrative de 1.500 € pour une personne physique et 7.500 € pour une personne morale (15.000€ en cas de concours de manquements).

*           *           *

L’introduction de ces obligations marque une nouvelle étape dans la protection des mineurs même si elles ne pourront naturellement pas se substituer à la vigilance des parents, mais sont présentées comme un outil supplémentaire à leur disposition.

D’un point de vue juridique, au-delà de certaines questions relatives à l’implémentation technique de la loi et du décret Studer qui restent en suspens, l’existence même de ces nouvelles obligations à la charge des fabricants et opérateurs vendant leurs produits en France porte à questionnement. Comment cette nouvelle réglementation, d’une initiative purement française, se justifie-t-elle au regard du principe de confiance mutuelle et de libre circulation des biens dans l’Union Européenne ?[8].

Ce point interroge nécessairement les opérateurs économiques internationaux en ce que cette recrudescence de règles nationales, particulièrement observée en France, participe certainement du phénomène de fragmentation du marché unique de l’union européenne, et apparait sérieusement questionnable au regard de la jurisprudence récente de la CJUE.

Sylvie Gallage-Alwis, avocate associée, Signature Litigation et Nicolas Ndiour, avocat collaborateur, Signature Litigation 

 __________________________

[1] Nouvel article L. 34-9-3.I : du Code des Postes et des Télécommunications.

[2] Nouvel article R. 20-29-10-1 I du Code des Postes et des Télécommunications

[3] Nouvel article Art. R. 20-29-10-9 du Code des Postes et des Télécommunications

[4] Nouvel article R. 20-29-10-1 II et III du Code des Postes et des Télécommunications

[5] Nouveaux articles R. 20-29-10-2 à R. 20-29-10-6 du Code des Postes et des Télécommunications

[6] Nouvel article R. 20-29-10-9 I du Code des Postes et des Télécommunications

[7] Nouvel article R. 20-29-10-8 et article L.43 II bis du Code des Postes et des Télécommunications

[8] Voir par exemple, en matière de sociétés d’informations, l’arrêt de la CJUE Google Ireland, Meta et Tik Tok C. Autriche – affaire C‑376/22


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