Contrôle des investissements étrangers : pérennisation de l’abaissement du seuil de prise de participation dans les entreprises françaises et élargissement du champ et des secteurs visés par le contrôle

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Clément Mogavero, avocat counsel au cabinet Ratheaux, propose un rappel sur le régime actuel des investissements étrangers et revient sur les points essentiels du décret du 28 décembre 2023 relatif aux investissements étrangers.

Tels les traditionnels vœux et résolutions que nous formulons, une nouvelle année ne va plus sans modification du régime juridique des investissements étrangers ! En effet, en conformité avec les annonces faites par Bruno Le Maire le 5 janvier 2023 et le 24 août 2023, le gouvernement français a, une nouvelle fois, par un décret du 28 décembre 2023 (et son arrêté ministériel) élargi le champ des secteurs d’activité visés par le contrôle et a surtout, comme nous pouvions nous y attendre, pérennisé l’abaissement à 10% le critère de détention des droits de vote d'une entreprise « stratégique » de droit français par un investisseur étranger non communautaire.

Cette tendance protectionniste s’inscrit dans le sillage des mesures récemment adoptées en 2020 puis 2021 dans le contexte de la crise sanitaire liée à la COVID 19. Nous rappelons que ce contrôle repose sur une procédure d’autorisation préalable du Ministère de l’Économie et des Finances prévue à l’article R. 151-2 du Code monétaire et financier. L’autorisation doit notamment être sollicitée par un investisseur étranger non communautaire lorsque l’investissement lui permet d’acquérir et de franchir un certain seuil de détention des droits de vote d’une entreprise française (seuil initialement fixé à 25%). La réglementation a connu de nombreuses modifications depuis son texte initial, la loi du 28 décembre 1966, tant au sujet du champ d’application du contrôle que de l’éventail de sanctions en cas de manquement. Le décret du 22 juillet 2020 constitue la pierre angulaire du renforcement du dispositif puisque c’est à partir de cette date et pour une durée prenant initialement fin le 31 décembre 2020 que le seuil de 25% de détention des droits de vote a été abaissé à 10% pour les investisseurs non communautaires. Cette mesure a ensuite fait l’objet de plusieurs prorogations temporaires jusqu’au 31 décembre 2023. Lors d’un précédent article sur le sujet, nous faisions état d’une éventuelle pérennisation de cette mesure, ce qui a finalement bien été confirmé par les dispositions du décret du 28 décembre 2023. Le seuil de 10% permet de soumettre au contrôle la situation d’une entreprise dans laquelle aucun actionnaire ne dispose réellement du contrôle et qui est donc davantage exposée à des prises de participations minoritaires opportunistes. Il faut toutefois souligner que l’abaissement de seuil ne vise que les sociétés cotées (pour les autres, il demeure fixé à 25%). L’objectif annoncé par Bruno Le Maire vise à la protection des intérêts fondamentaux dans les domaines industriel et technologique.

Dans l’hypothèse où l’investisseur envisagerait de prendre une participation supérieure à ce seuil, il devra déposer une demande d’autorisation auprès de la Direction du Trésor. Depuis le 2 octobre 2023, cette procédure s’effectue de manière dématérialisée via la Plateforme IEF. Bercy dispose alors d’un délai de 30 jours ouvrés à compter de la réception du dossier afin d’indiquer à l’investisseur soit que l'investissement ne relève pas du régime d’autorisation, soit qu'il en relève et est autorisé sans condition, soit qu'il en relève mais qu'un examen complémentaire, dans un nouveau délai de 45 jours ouvrés, est nécessaire. Le décret du 28 décembre 2023 ajoute que, sauf opposition du Ministre de l’Économie et des Finances, la dispense de demande d'autorisation naît à l'issue d'un délai de dix jours ouvrés à compter de la notification. 

L’un des points principaux du décret consiste en l’extension du champ d’application et des secteurs visés par le contrôle. Outre les entités de droit français, le texte a ainsi intégré les succursales immatriculées en France d’entités de sociétés de droit étranger dans le périmètre du contrôle. La liste des secteurs stratégiques a été étendue à la sécurité des établissements pénitentiaires, à l’extraction, la transformation et le recyclage des matières premières critiques, la recherche et le développement dans la photonique et aux technologies de production d’énergie bas-carbone. 

Pour l’année 2022, 194 projets d'investissements étrangers n'ont ainsi pas abouti. La Direction du Trésor en a toutefois autorisé 131, dont 53% sous conditions. Dans le seul secteur de la défense, 76 % des autorisations délivrées ont été conditionnées. Plus récemment, le 6 octobre 2023, Bercy a refusé d’autoriser le rachat par l’entité américaine Flowserve Corporation des sociétés Segault et Velan SAS (membres du groupe canadien Velan) fabriquant la robinetterie de sous-marins et des centrales nucléaires. 

Dans ce contexte, il est fortement recommandé que les parties à une opération de cession impliquant une société française et un investisseur étranger se posent – et anticipent dès le stade des négociations contractuelles - la question de la soumission de l’opération à la procédure de l’autorisation préalable.

Clément Mogavero, avocat counsel au cabinet Ratheaux