Génocide, vous avez dit génocide…

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Tribune de Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public – Titulaire de la Chaire Jean Monnet -Université de Limoges.

Dans un discours prononcé le 25 septembre 2023, le président Lula a qualifié la riposte d’Israël aux attaques terroristes menées par le Hamas de « génocide ». Outre que le chef d’Etat brésilien, soutien objectif de Vladimir Poutine, est particulièrement mal placé pour donner des leçons dans ce domaine, il ne faut non plus pas perdre de vue qu’il se réfère à un concept particulièrement difficile à manier.

En droit international, le génocide répond en effet à des critères extrêmement précis et n’a donc que très rarement été utilisé pour dénoncer des exactions commises contre tout ou partie d’une population clairement identifiable.

I - Le terme de « génocide », du préfixe grec genos, qui signifie « race » ou « tribu », et du suffixe latin cide, qui veut dire « tuer », a été employé pour la première fois en 1944 par un avocat polonais, Raphaël Lemkin[1], pour désigner le « crime sans nom », dont Winston Churchill s’était servi en août 1943, pour qualifier l’extermination systématique des juifs et des tziganes perpétrée en Union soviétique par les SS, à partir d’août 1941. Il s’agissait non seulement pour Lemkin de dénoncer la volonté des nazis de procéder à l’élimination méthodique de l’ensemble du peuple juif, mais également de désigner tous les massacres qui, dans un passé plus ou moins lointain, visaient à la destruction de groupes déterminés d’individus. Il a enfin été le premier à demander que le génocide soit considéré comme un crime contre l’humanité et qu’il puisse être jugé par une juridiction internationale.

Le crime contre l’humanité, dont il est assez difficile de donner une définition précise, peut toutefois être considéré comme toute forme d’atteinte, particulièrement grave et répétée aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, visant un ou plusieurs individus en vue de leur élimination.

C’est donc après la Seconde Guerre mondiale que le génocide a pour la première fois été reconnu comme un « crime de droit des gens rejeté par le monde civilisé », par l'Assemblée générale des Nations Unies, dans sa résolution 96 du 11 décembre 1946, qui se référait aux critères retenus par la Charte du tribunal international militaire du 8 août 1945 (art.6).

Ce nouveau concept juridique a ensuite été précisé par la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » du 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951[2] et ratifiée par 152 Etats (en juillet 2019).

La Cour internationale de Justice (CIJ) a d’ailleurs tenu à préciser que ce texte, consacrant des principes relevant du droit international coutumier général, liait tous les pays, qu’ils l’aient ou non ratifiée et que l'interdiction du génocide constituait une norme impérative du droit international (« jus cogens »), sans aucune possibilité de dérogation (avis consultatif du 28 mai 1951).

Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale du 17 juillet 1998, donne compétence à cette juridiction  pour sanctionner le « crime de génocide » (art.5, a)), dont il donne également la définition (art.6)[3] .

Le génocide, qui suppose de la part de ses auteurs, qui ne sont d’ailleurs pas obligatoirement des Etats, une volonté délibérée de détruire systématiquement et méthodiquement l’ensemble des membres d’un même groupe ethnique, racial, social, religieux ou culturel en tant que tel, autrement dit pris comme un être « en-soi » ; pour tenter de justifier ce crime particulièrement grave, qui peut d’ailleurs être commis en temps de paix comme en temps de guerre et qui est parfois d’ailleurs accompli conformément à le législation, ses instigateurs s’efforcent de tenter de déshumaniser leurs victimes, la plupart du temps qualifiées de « sous-hommes »….

Très souvent évoqué depuis la Shoah, le génocide n’a pourtant que très rarement être retenu par les instances internationales[4].

II- L’ONU n’a en effet accepté jusqu’à maintenant de ne reconnaître que quatre génocides :

D’abord le massacre par la Turquie des deux tiers de sa population arménienne (24 avril 1915-23 juillet 2023) ; ensuite et surtout l’élimination systématique de plus de six millions de Juifs par les nazis; plus récemment  l’exécution de plusieurs centaines de milliers de Tutsis au Rwanda en 1994 et de 8000 Bosniaques à Srebrenica en Bosnie-Herzégovine en juillet 1995.

Il reste toutefois beaucoup plus difficile de qualifier de génocide certaines exactions, qui, quelle que soit l’horreur qu’elles puissent inspirer, ne rentrent pas exactement dans les critères retenus par la « Convention » du 9 décembre 1948, qu’il serait d’ailleurs peut-être temps de réviser de manière à pouvoir  l’adapter à la situation actuelle.

Il n’a ainsi pas été possible d’assimiler à un génocide le comportement des autorités nigérianes lors de la guerre du Biafra de 1966 à 1970[5], dans la mesure où il n’a pas été démontré que le gouvernement fédéral ait eu une quelconque intention d’éliminer systématiquement les Ibos à l’origine de la sécession de l’Est du pays[6]. Il a en revanche parfois été question de qualifier de génocide les massacres commis par Kmers rouges entre avril 1975 et janvier 1979, entrainant la mort de près de 3 millions de personnes, dont un certain nombre d’enfants.

La qualification de génocide reste donc à utiliser avec la plus extrême prudence…

Jean-Louis Clergerie, Professeur émérite des Universités en Droit public – Titulaire de la Chaire Jean Monnet -Université de Limoges.         

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 NOTES

[1] Raphaël Lemkin, « Axis Rule in Occupied Europe », New York: Columbia University Press. 1944 ; cf. Anson Rabinbach, Raphael Lemkin et le concept de génocide, Revue d’Histoire de la Shoah, 2008/2, n°189, p.511 à 554.

[2] « Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe » (art. II), « qu'il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre » (art.1er).

[3] A savoir « l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membres du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de Meurtre de membres du groupe c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe ».

[4] Cf. sur ce point, Jean-Louis Clergerie, La crise du Biafra (préface Bernard Kouchner), PUF, 1994, p. 245.

[5] Sur ce point, cf. infra.

[6] Cf. Jean-Louis Clergerie, op.cité, 237 à 249.