Délai de prescription trimestriel en matière de presse : parties civiles, à vos agendas !

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Vigilance, encore et toujours. Dans deux décisions des 29 (Cass. Civ. 1ère, 29 mars 2023, n° 22-10.875) et 30 mars 2023 (CEDH, 30 mars 2023, Diémert c. France, req. n° 71244/17), la Cour de cassation et la Cour Européenne des Droits de l’Homme ont confirmé, qu’en matière de presse, pèse sur la partie civile l’obligation de veiller à interrompre la prescription. Il en ressort que cette règle ne manifeste pas un formalisme excessif et ne prive pas le demandeur de son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention. Dans une troisième décision (Cass. Crim., 10 mai 2023, n° 21-86.348), la Haute juridiction est également revenue sur le critère de l’ « impossibilité d’agir » et sur le régime restrictif de l’interruption de la prescription avant l’engagement des poursuites.

La Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) se sont visiblement passé le mot puisque fin mars 2023, les deux juridictions se sont, l’une après l’autre, penchées sur une des problématiques fondamentales du droit de la presse : la prescription trimestrielle.

En effet, alors que le 29 mars, la Première Chambre civile de la Cour de cassation[1] rendait une décision relative au délai de prescription en matière d’action en insertion forcée d’un droit de réponse, la CEDH se prononçait, le lendemain, sur la compatibilité des règles de courte prescription de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 avec l’article 6 de la Convention.

Pour parachever ce mouvement jurisprudentiel, la Chambre criminelle venait rappeler, le 10 mai 2023, le régime de l’interruption du délai de prescription avant l’engagement des poursuites.

1. L’alignement du régime de la prescription de l’action en insertion forcée d’un droit de réponse sur le régime de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881

Editrice du magazine Que choisir argent, UFC Que Choisir avait refusé de publier un droit de réponse formulé à la suite à la publication d’un article évoquant des cartes et programmes de fidélité développés par la société coopérative à capital variable EMRYS.

L’intérêt de cette affaire ne se trouve pas tant dans le refus de la haute juridiction, déjà formulé dans une précédente décision du 13 juillet 2022, de ne pas renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité[2], que dans le rappel du régime de prescription applicable en matière de droit de réponse : la Cour de cassation confirme l’alignement du délai de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881 sur celui de l’article 65 de la même loi.

La demanderesse au pourvoi invoquait :

  • en premier lieu, le fait que le délai de prescription trimestrielle, prévu à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ne pouvait être appliqué qu’à l’exercice d’une « action » publique ou civile, et non à celui d’un « droit », à savoir le droit de réponse prévu par l’article 13 de cette même loi.

La Haute juridiction écarte logiquement ce moyen dès lors que la sanction d’un refus d’insertion de droit de réponse nécessite, naturellement, l’engagement d’une « action » en justice[3], laquelle doit d’ailleurs respecter les mêmes exigences procédurales que celles prévues par l’article 53 de la loi de 1881.

  • Ensuite, un « formalisme excessif» de la Cour d’appel de Toulouse, qui se serait bornée « à considérer que cette action était soumise à la prescription trimestrielle, sans se prononcer sur l’existence d’un calendrier de procédure et la volonté persistante du demandeur de maintenir son action ».

Là encore, il n’est pas surprenant que la Cour de cassation n’ait pas accueilli ce moyen qu’elle juge d’ailleurs inopérant.

En effet, calendrier de procédure ou pas, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il appartient au « demandeur à l'action en insertion forcée d'un droit de réponse de s'assurer de l'accomplissement dans les délais requis des actes nécessaires à l'interruption de la prescription trimestrielle ».

En l’espèce, la Première Chambre civile saisit d’ailleurs ce moyen pour rappeler qu’en prévoyant un délai de prescription trimestrielle, le législateur a cherché à protéger la liberté d’expression tout en garantissant, par des règles suffisamment claires et accessibles[4], un recours effectif, dès lors que le demandeur « a la faculté d'interrompre la prescription par tout acte régulier de procédure manifestant son intention de continuer l'action. »[5].

  • Enfin, la demanderesse au pourvoi avait fait valoir, devant la Cour d’appel de Toulouse, que « le message RPVA de l’avocat des intimés, déposé à la cour le 11 juin 2021, serait de nature à interrompre la prescription, en ce qu’il y est sollicité le renvoi de l’affaire pour permettre à l’avocat plaidant de prendre connaissance et répliquer aux conclusions de l’appelante déposées le 10 juin 2021».

Pour la première fois, la Cour de cassation juge donc qu’un tel message RPVA « n'est pas de nature à interrompre la prescription trimestrielle », avant de constater qu’aucun « acte régulier de procédure manifestant son intention de poursuivre l'action » n’a ainsi été effectué et, partant que « la prescription était acquise ».

Ce faisant, la Cour de cassation rappelle que c’est sur le demandeur que pèse la responsabilité d’interrompre la prescription trimestrielle et ce par un acte formel, ce que n’est pas un message RPVA, de surcroît lorsque ce message n’émane pas du conseil de la partie en demande.

Le demandeur assume donc un rôle moteur et essentiel, ce que reconnaît également la CEDH dont la position n’est pas très éloignée pour ne pas dire très proche de celle de la Cour de cassation à cet égard.

2. Le rôle actif et le devoir de vigilance de la partie en demande s’agissant de l’interruption de la prescription validés par la CEDH

Dans son arrêt « Diémert » du 30 mars 2023[6], la CEDH a examiné la compatibilité de l’article 65 de la loi de 1881 qui implique que la partie civile doit veiller à ce que la prescription n’intervienne pas en cours de procédure, avec l’article 6 de la Convention.

En l’espèce, alors qu’une relaxe avait été prononcée en première instance, le requérant avait interjeté appel des dispositions civiles du jugement. La Cour d’appel de Papeete étudia une première fois l’affaire lors de son audience du 9 octobre 2014 – à laquelle l’ensemble des parties étaient présentes – et renvoya l’affaire, à la demande du prévenu, à une audience fixée le 12 février 2015 ; renvoi auquel la juridiction procéda par simple mention au dossier.

Le 10 mars 2016, la Cour d’appel jugea l’appel recevable mais constata la prescription de l’action civile du requérant au motif que plus de trois mois s’étaient écoulés entre la première audience du 9 octobre 2014 et celle du 12 février 2015, sans qu’aucun acte de prescription valable ne soit intervenu dans l’intervalle.

     a) La position de la Cour de cassation : des règles de prescription compatibles avec les articles 6 et 13 de la Convention

Le 28 mars 2017, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au soutien duquel le demandeur invoquait une violation des article 6§1 (droit au procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif) de la Convention au motif que l’obligation de surveiller la procédure pesant sur la partie civile, pour éviter l’acquisition de la prescription, « n’est pas incompatible avec lesdits articles 6 et 13 « quand, comme en l’espèce, il n’existe pour elle aucun obstacle de droit ou de fait la mettant dans l’impossibilité d’agir ».

Ce faisant, la Cour de cassation a confirmé la jurisprudence constante aux termes de laquelle il revient à la partie civile de s’assurer que la prescription n’est pas acquise, « au besoin en faisant elle-même citer le prévenu ».

La Cour de cassation considère en effet, comme le rappelle la CEDH, que « le seul fait d’introduire l’instance ne suffit pas à suspendre la prescription, mais ne fait que l’interrompre » ; la prescription n’étant suspendue « au profit de la partie poursuivante » que « lorsqu’un obstacle de droit ou de fait la met dans l’impossibilité d’agir (Cass. Crim., 17 décembre 2013, n° 12-86.393) »[7].

La Cour de Strasbourg n’oublie pas de préciser encore qu’une décision de renvoi ou un renvoi à l’audience peut constituer un acte interruptif de procédure[8].*

     b) Les règles de prescription françaises traduisent un rapport raisonnable de proportionnalité entre la restriction qu’elles causent au droit à l’accès à un tribunal et les buts qu’elles visent

Devant la CEDH, le requérant faisait valoir que « l’interprétation de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 est excessivement formaliste » et relayait ainsi une opinion largement répandue s’agissant de la prescription trimestrielle en matière de presse, à savoir que « la prescription ne devrait plus être opposée au justiciable ayant saisi la juridiction compétente en temps utile »[9].

A cette remarque, le Gouvernement français a opposé les buts poursuivis par cette disposition qui « tend à garantir la sécurité juridique et à protéger la liberté d’expression »[10].

Au terme de son contrôle de la proportionnalité de la mesure[11], la Cour a donc estimé que « le requérant n’a pas eu à supporter une charge procédurale excessive ».

Dans le cas d’espèce, la question de savoir si ce raisonnement pourrait être discuté se pose, l’arrêt « Diémert » étant susceptible d’apporter aux opposants de la stricte prescription trimestrielle de quoi alimenter le débat.

En effet, si le caractère prévisible de l’obligation pesant sur le requérant de surveiller le déroulement de la procédure pour éviter la prescription de son action n’est pas contestable, il convient de relever, en l’espèce et comme le fait la Cour, que l’acquisition de la prescription découle, au moins pour partie, d’une négligence de la Cour d’appel de Papette – qui a reporté l’examen de l’affaire « au-delà de l’échéance du délai de prescription » – qu’elle qualifie de  « dysfonctionnement du service public de la justice ».

Certes, comme la Cour le constate, le requérant, professionnel du droit et assisté d’un avocat n’ayant formulé aucune observation sur la demande de renvoi, pouvait faire citer le prévenu pour éviter de se voir opposer la prescription. Se pose, néanmoins, la question de l’absence de conséquence procédurale résultant de la « négligence » de la Cour d’appel, relevée par la CEDH.

Estimant que les torts sont partagés, la Cour considère pourtant qu’« il n’y a pas violation de l’article 6 § 1 de la Convention. »[12], confirmant et confortant ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation et rappelant, de manière subliminale, que l’avocat du requérant a un devoir de vigilance et doit veiller à l’interruption de la prescription tout au long de la procédure et notamment lors de la fixation du calendrier procédural.

3. Un devoir de vigilance à tous les stades de la procédure : du risque d’acquisition de la prescription avant l’engagement des poursuites

Dans son arrêt du 10 mai 2023[13], la Chambre criminelle a, tout en remettant en cause les motifs retenus par la Chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris, rejeté le pourvoi formé contre un arrêt du 17 septembre 2021, aux termes duquel avait été constatée l’extinction de l’action publique par l’acquisition de la prescription dans une procédure de diffamation et d’injure publiques.

     a) La prescription de l’action publique ne peut être opposée à une partie civile se trouvant dans l’impossibilité d’agir

Pour « déclarer éteinte par la prescription l’action engagée » par le demandeur, la Chambre de l’instruction avait considéré qu’aucun obstacle de droit n’avait empêché la partie civile d’agir entre la transmission du dossier à ladite Chambre et sa remise au parquet général, puis à l’avocat général pour réquisitions.

La Chambre criminelle, si elle rejette in fine le pourvoi, n’a pas validé cette motivation « dès lors que la partie civile, qui n’est recevable à présenter une demande d’acte qu’après l’ouverture de l’information, se trouvait, alors, dans l’impossibilité d’agir ».

Pour autant, la Cour de cassation ne censure pas l’arrêt de la Chambre de l’instruction au motif propre que la Haute juridiction était en mesure « de s’assurer, par l’examen des pièces dont elle a le contrôle » que l’action publique était prescrite bien avant la procédure d’appel.

     b) Le rappel du régime de l’interruption de la prescription avant l’engagement des poursuites 

La motivation de la Chambre criminelle est connue mais les justiciables ignorent souvent qu’une demande d’aide juridictionnelle ou le dépôt d’une plainte simple ne sont pas des actes interruptifs de prescription. Aussi, la Cour de cassation rappelle, dans le cas d’espèce, qu’« aux termes des dispositions de l’article 65 précité, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête articulant et qualifiant les faits dont elles sont l’objet sont interruptives de prescription. La prescription était donc acquise les 2 et 3 mars 2019, soit antérieurement à la plainte avec constitution de partie civile de M. [O], du 29 novembre suivant. »

***

Les trois décisions ici commentées sont emblématiques d’une jurisprudence exigeante ayant dégagé des principes très stricts à l’égard des demandeurs à l’action en droit de la presse, quelle que soit l’action engagée.

Au-delà du risque d’extinction de l’action publique au terme du délai de 3 mois suivant la publication des propos litigieux, tant la Cour de cassation que la CEDH valident un régime de prescription pesant exclusivement sur la partie civile qui, quand bien même elle a agi dans les délais, doit interrompre le délai de prescription trimestrielle à intervalles réguliers, et ce par des actes répondant à un formalisme certain.

Dura lex sed lex… jamais tant en droit de la presse et notamment sur ce sujet précis de la prescription, cet adage n’a été si bien adapté. Et, s’il n’est pas interdit d’en débattre, mieux vaut surveiller scrupuleusement nos agendas.

Céline Astolfe, associée, Lombard Baratelli Astolfe & associés et Lorraine Gay, associée, Cabinet Nouvelles

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[1] Cass. Civ. 1ère, 29 mars 2023, n° 22-10.875

[2] Cass. Civ. 1ère, 13 juillet 2022, n° 22-10.875

[3] Point 4 de l’arrêt.

[4] CEDH, ordonnance du 29 avril 2008, n° 24562/03 ; CEDH, ordonnance du 17 juin 2008, n° 39141/04.

[5] Point 7 de l’arrêt.

[6] CEDH, 30 mars 2023, Diémert c. France, req. n° 71244/17.

[7] Cf. §§ 20 et 21.

[8] § 24.

[9] § 31.

[10] § 32.

[11] La CEH rappelle (cf. § 34) que :

« Les principes applicables à l’examen des restrictions d’accès à un degré supérieur de juridiction ont été résumés par la Cour dans l’affaire Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 80-86, 5 avril 2018). ».

[12] Cf. § 49.

[13] Cass. Crim., 10 mai 2023, n° 21-86.348.