Affaire Merah : pour sortir du grand-guignol

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Billet d'humeur de Stéphane Bonifassi, Avocat, sur l'affaire Merah.

L’article de Mathieu Suc dans Médiapart Procès Merah : l'avocat qui en faisait trop sur le « théâtre » qu’est, aux yeux du public, une audience d’assises doit attirer l’attention des avocats.

N’ayant pas assisté au procès Merah, je cite Matthieu Suc :

« Une victime, Radia Legouad, la sœur d’un des militaires musulmans assassinés par Mohamed Merah, pointe lors de sa déposition : « Il y a beaucoup de talents, ici, avec tous ces avocats, mais parfois, j’ai eu l’impression que c’était du théâtre. Moi, je suis venue seulement avec mes tripes… » “Acquittator”, qui s’épanouit dans l’adversité, est comptable, pour partie, de cette impression de grand-guignol qui a souvent envahi la cour d’assises. »

Théâtre, grand-guignol, le miroir qui nous est tendu à nous avocats (ainsi qu’aux magistrats) n’est pas flatteur. Et au-delà de la polémique sur « l’honneur » de défendre tel ou tel, nous ferions bien de réfléchir à l’image de notre profession dans une affaire de cette gravité.

Je n’entends pas ici distribuer des bons et des mauvais points à mes confrères, qu’ils soient en défense ou en partie civile, et je considère que dans ce jeu de rôle qui nous est imposé par notre procédure, tous ont fait leur métier et je dirais même qu’ils l’ont bien fait d’après ce que j’ai pu en lire.

Mais, le problème de notre procédure c’est qu’elle installe le règne de la confusion, confusion nous entrainant dans une surenchère spectaculaire, nécessaire à la sauvegarde des intérêts de nos clients mais contraire à une bonne justice.

Confusion d’abord liée au statut de magistrats des procureurs. L’entre soi entre juges et procureurs que crée le statut unique de « magistrat », entre soi si confortable, entre soi visible à tant de signes dans le décorum de la cour d’assises, entre soi dont les avocats sont exclus, pousse ces derniers à forcer leur voix (de « ténor »), leur « talent » (effets de manches) dans l’espoir de se faire entendre. Cette situation est une des sources du mauvais théâtre auquel nous participons.

Confusion ensuite à l’audience entre établissement de la culpabilité, douleur des victimes, quantum de la peine, personnalité de l’accusé. A force de mélanger ces sujets qui sont distincts, les débats dérapent. Et notre confrère Dupond-Moretti a raison de se plaindre de la mise en avant de la douleur des victimes pour obtenir la condamnation de son client mais, en l’état de notre procédure, les avocats des parties civiles en le faisant, font leur métier et défendent l’intérêt de leurs clients. Et de même, lorsque Dupond-Moretti met en avant la douleur de la mère de Mohammed Merah, douleur qui n’a rien à voir avec la culpabilité ou l’innocence de son client, là encore, dans le cadre de notre procédure telle qu’elle est, il fait son métier. Mais, la douleur des uns des autres, lorsque la culpabilité de l’accusé n’est pas établie, ne devrait tout simplement pas avoir, à ce stade, de place à l’audience. Et ces douleurs jetées à la figure des uns et des autres poussent, là encore, à des surenchères, à l’utilisation d’artifices, à la mise en avant de considérations qui n’ont pas leur place tant que les faits reprochés à l’accusé n’ont pas été établis.

Alors, pour sortir de ce grand-guignol, il serait peut-être bon de regarder ce qui se passe ailleurs, pour voir si d’autres feraient mieux que nous. Et en traversant simplement la Manche, outre l’absence de confusion entre juge et procureurs, on remarquera que l’objet du procès pénal, c’est dans une première phase, la culpabilité ou l’innocence de l’accusé. Et ça seulement. Et tout élément, considération, question qui sortent de ce cadre sont impitoyablement écartés par le juge. Ce n’est qu’une fois la culpabilité établie par une décision, que, dans une deuxième phase, l’évaluation de la peine, l’évaluation des réparations pour les victimes peuvent être discutées. Et, à mon avis, l’efficacité des débats et leur dignité, dans l’intérêt de la justice, en sortent grandies.

Une réforme de notre procédure pénale en ce sens me semble d’autant plus nécessaire que nous savons comme avocats, l’immense difficulté (voire l’impossibilité) de plaider en même temps un acquittement et la clémence de la Cour quant au quantum de la peine. Comment, pouvons-nous accepter une procédure à ce point néfaste à l’intérêt de nos clients ? Car lorsque nous avons plaidé un acquittement, nous avons, en fait, été, en cas de condamnation, dans l’impossibilité de plaider la peine, la laissant ainsi à l’entière discrétion du colloque entre magistrats du parquet et du siège. Est-ce là la marque d’un procès équitable ?

Stéphane Bonifassi, Avocat