« Cette opération était particulièrement complexe compte tenu des nombreuses problématiques juridiques et des contraintes dans la recherche de solution »

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Eugénie Amri et Géraud Saint Guilhem, avocats associés du cabinet Veil Jourde, expliquent le rôle du cabinet Veil dans le cadre de la restructuration de la compagnie aérienne réunionnaise Air Austral et sur les caractéristiques de cette opération.

Pouvez-vous nous rappeler le contexte de cette opération ?

Air Austral rencontre des difficultés depuis la crise sanitaire de la Covid‑19. Les secteurs du transport, du tourisme et du voyage ont été particulièrement touchés par cette crise, accentuée par la volatilité des cours du pétrole brut et du taux de change Euro‑Dollar US. Air Austral n’a pas échappé à ce phénomène.

En raison des difficultés conjoncturelles rencontrées dès le début de la crise sanitaire et des importantes échéances susceptibles d’impacter de façon durable sa trésorerie, Air Austral s’est engagée dans un processus de refinancement.

Les négociations ont abouti à la signature d’un premier protocole de conciliation le 6 juillet 2020, homologué par jugement du Tribunal mixte de commerce de Saint‑Denis de la Réunion du 8 juillet 2020.

La crise sanitaire ayant perduré ultérieurement à la signature de ce pemier protocole de conciliation, les hypothèses de reprise d’activité envisagées dans le plan d’affaires n’ont pu se réaliser.

Dans ce contexte, Air Austral, en accord avec son actionnaire de référence, a initié une stratégie de renforcement de ses fonds propres par une ouverture de son capital et la recherche d’investisseurs, laquelle ne pouvait vraisemblablement aboutir qu’en cas de renégociation de sa dette.

La recherche d’investisseurs a d’abord été menée par la banque d’affaires Rothschild & Co. Aucun investisseur n’a été en mesure d’émettre une offre ferme compte tenu des contraintes de marché et du secteur, dans un contexte économique incertain.

Un rapprochement avec la compagnie aérienne Corsair a par la suite été envisagé. De nombreux investisseurs ont été contactés ou recontactés dans le cadre de ce nouveau schéma, sans que les discussions n’aient pu aboutir.

Ce sont finalement des entrepreneurs de l’Ile de la Réunion qui se sont mobilisés aux côtés de la Région de la Réunion.

Quel a été votre rôle dans cette opération ?

Nous avons conseillé la Région Réunion et la SEMATRA (société d’économie mixte détenue par la Réunion), actionnaire de référence d’Air Austral détenant 99% de son capital, concernant les aspects de droit des sociétés, de privatisations et de restructuring. Le cabinet Fréget Glaser est quant à lui intervenu en matière de droit public, de droit de la concurrence, de privatisations et d’aides d’Etat. Notre confrère Djalil Gangate est enfin intervenu à nos côtés.

Le rôle de notre client était clé dans le cadre de cette restructuration compte tenu de sa qualité d’actionnaire de référence d’Air Austral et des principes de la restructuration capitalistique (entrée d’un nouvel actionnaire au capital en qualité d’actionnaire majoritaire) et financière (apport de new money et abandons de créances).

Naturellement, cette restructuration n’aurait pas été possible sans les efforts de l’ensemble des parties prenantes qui, dans le cadre des discussions menées sous l’égide du CIRI et du conciliateur, ont toutes compris la nécessité de préserver l’activité clé d’Air Austral dans les Outre-mer français.

Quelles sont les caractéristiques de cette opération ?

Par jugement du 25 janvier 2023, le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de La Réunion a homologué le protocole de conciliation conclu le 23 décembre 2022, sous l’égide du CIRI et du conciliateur d’Air Austral, entre Air Austral, l’Etat français, l’actionnaire de contrôle d’Air Austral, différents créanciers publics et partenaires bancaires français et les nouveaux investisseurs.

La restructuration consistait principalement en :

  • une restructuration capitalistique, la société RUN AIR (consistant en un consortium d’investisseurs privés réunionnais) entrant au capital d’Air Austral en qualité d’actionnaire majoritaire, aux termes d’une privatisation autorisée par la Commission des Participations et des Transferts et par la Commission européenne au titre du contrôle des concentrations ;
  • un apport de nouvelles liquidités (new money) d’un montant total de 55 millions d’euros, dont un apport de la SEMATRA financé par la Région Réunion (15 millions d’euros), le Département de la Réunion (5 millions d’euros) et la CCI de la Réunion (5 millions d’euros) et un apport par RUN AIR (30 millions d’euros) ;
  • une restructuration de l’endettement avec des rééchelonnements de créances et des abandons de créances consentis par les créanciers publics et privés (dont la SEMATRA au titre de ses créances en compte courant dans Air Austral) ;
  • des aides de l’Etat français d’un montant total de 136,8 millions d’euros de l’État français (une aide à la restructuration pour un montant de 119,3 millions d’euros et une aide de 17,5 millions d’euros en compensation des dommages subis à la suite de la pandémie de la Covid-19, toutes deux approuvées par la Commission européenne le 5 janvier 2023).

Cette opération était particulièrement complexe compte tenu des nombreuses problématiques juridiques (privatisations, droit des sociétés, droit public, droit de la concurrence et aides d’Etat, restructuring) et des contraintes dans la recherche de solution (incertitudes liées à la crise sanitaire, niveau d’endettement de la société et concurrence dans le secteur aérien).

Il a fallu obtenir les décisions favorables de la Commission des Participations et des Transferts et de la Commission européenne, le tout dans un cadre un calendrier contraint par la situation de trésorerie et la nécessité d’apporter très rapidement de nouvelles liquidités. Tous nous ont donné le feu vert. Il a enfin fallu convaincre le tribunal que la restructuration permettait bien d’assurer la pérennité de l’activité d’Air Austral, ce qui a été fait, compte tenu du jugement d’homologation rendu le 25 janvier 2023.

Nous nous réjouissions que cette restructuration permette d’assurer la pérennité de la société réunionnaise et celle de ses très nombreux emplois directs et indirects dans les Outre-Mer.  

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)