Humour ou impartialité, il faut choisir

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Une vendeuse est licenciée pour avoir eu des relations sexuelles sur les matelas proposés à la vente et avoir permis la diffusion de photographies de ces ébats,  accompagnées des références des modèles essayés pour la circonstance, sur un site destiné à recueillir les avis des clients. Le caractère insolite de ces faits a inspiré au juge, dans la formulation de la motivation de son arrêt, des termes manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité.

Une salariée licenciée a saisi la juridiction prud'homale pour contester cette rupture et obtenir paiement de diverses sommes.

La cour d'appel de Douai a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

S'agissant du grief par lequel l'employeur reprochait à la salariée d'avoir eu des relations sexuelles au sein du magasin où elle travaillait, l'arrêt d'appel a retenu que "l'adoption complaisante de postures galantes, voire certaines lascives, par la salariée s'exhibant dans des sous-vêtements suggestifs sous l'objectif de son amant, soucieux d'immortaliser ces rares instants par des photographies versées aux débats, ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il ne s'agissait que de préludes ; que la salariée, répondant certainement aux appels impérieux d'une conscience professionnelle sans faille, allait bientôt être animée du désir irrépressible d'apprécier à leur juste mesure, par l'emploi de procédé jusque-là, semble-t-il inusités dans le magasin, les qualités du matelas Darwin dont par ailleurs elle devait vanter les mérites en raison de ses fonctions de vendeuse, s'assurant par la même occasion que le titre 'Roi du matelas' dont se parait son employeur n'était point usurpé".
Les juges du fond ont ensuite considéré que "si les effusions échevelées auxquelles ont pu se livrer la salariée et son amant et dont celui-ci souligne avec impudeur la multiplicité, pouvaient ne pas être sans conséquence sur l'intégrité des différents matelas qui en ont été le théâtre, il n'est nullement démontré que ces derniers en aient réellement souffert au point d'en être rendus inutilisables, comme le soutient ce dernier avec malignité" et, encore, "qu'il n'est davantage établi qu'elles aient pu avoir lieu durant les horaires de travail et qu'elles aient perturbé le fonctionnement de l'entreprise puisque dans la lettre de licenciement la société reproche à l'intéressée d'avoir mis à profit sa pause déjeuner pour s'adonner à des plaisirs autres que ceux de la table" et, enfin, "que toutefois les ébats imputés à la salariée ne débordant pas de la sphère de sa vie privée, il ne peut être retenu à sa charge que l'usage amplement abusif du matériel de l'entreprise sans le consentement de son employeur".

Concernant le grief par lequel l'employeur reprochait à la salariée d'avoir adopté un comportement ayant abouti à la diffusion de ces photographies, avec de graves répercussions sur le fonctionnement et la réputation de l'entreprise, après avoir relevé que la salariée avait subi "d'inadmissibles actes de vengeance" suite à sa rupture avec M. X., que "la cour ne peut que manifester son étonnement face à la particulière complaisance dont a fait preuve l'employeur envers M. X. qu'elle avait pourtant licencié (…) pour des fautes graves consistant en la tenue de propos diffamatoires, injurieux et mensongers envers la société et sa hiérarchie par le biais du réseau social Facebook, et dont les actes de délation ont constitué le fondement principal de la présente procédure, qu'un tel comportement envers cet individu qui poursuivait de sa vindicte [la salariée] avec un acharnement suspect s'apparentait même à de la complicité [?], que cette attitude est d'autant moins compréhensible que M. X. s'était abandonné, sur le site ''Custplace'', destiné à recueillir les avis des clients de la société sur ses produits, à des révélations sulfureuses reproduites dans la lettre de licenciement".

Dénonçant l'"ironie déplacée" des juges du fond, l'employeur s'est pourvu en cassation.

La chambre sociale estime en effet, dans un arrêt rendu le 14 juin 2023 (pourvoi n° 21-23.107), que la cour d'appel a ainsi statué "en des termes manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité", en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.

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